Vous redoutez que votre cocontractant n’exécute pas ses obligations ? A certaines conditions, strictes, vous pouvez mettre anticipativement un terme au contrat !

Droit de l'entreprise

Me Laurence Adam , avocate au Barreau de Liège-Huy

En mars 2022, vous avez décroché un contrat de travail. Vous vous êtes engagé à disposer d’un véhicule, qui est indispensable pour l’exécution de votre contrat. Vous vous êtes rendu chez le concessionnaire le plus proche et avez spécifié au vendeur que vous deviez impérativement disposer du véhicule commandé avant le 1er septembre 2022. Tout en mentionnant cette date comme date limite de livraison sur le bon de commande, le vendeur vous a indiqué que le véhicule serait livré le 1er juin 2022. 

Le 30 mai 2022, vous vous étonnez d’être sans nouvelles du concessionnaire et appelez le vendeur qui vous apprend que le véhicule sera livré avec un léger retard, soit le 15 juin 2022. La veille de cette nouvelle date de livraison, vous appelez à nouveau le garage pour en connaître les détails pratiques. Le vendeur vous indique que le véhicule n’est toujours pas arrivé en ses locaux, que tel sera assurément le cas la dernière semaine du mois de juin et qu’il ne manquera pas de vous avertir, vraisemblablement vers le 23 ou le 24 juin 2022.

Le 30 juin 2022, vous êtes toujours sans la moindre nouvelle quant à la date de livraison du véhicule que vous avez commandé, le vendeur n’ayant pas pris la peine de vous tenir informé de l’évolution de la livraison. Que pouvez-vous faire, alors que votre contrat de travail démarre dans deux mois… ? 

A ce jour (et pour quelques mois encore), vous n’avez, en qualité de créancier de l’obligation, d’autre choix que d’attendre, inexorablement, la date du 1er septembre 2022. Ce n’est effectivement qu’à ce moment que votre débiteur, le concessionnaire, sera en état d’inexécution de son obligation de livraison du véhicule. 

Or, les conséquences d’une telle inexécution seraient particulièrement graves pour vous, en raison des engagements que vous avez pris vis-à-vis de votre nouvel employeur. 

C’est à ce genre de situations que le législateur belge a voulu remédier en introduisant dans le Code civil, une disposition relative à la résolution anticipée des conventions. Soyez attentif au fait que ce nouveau droit entrera en vigueur le 1er janvier 2023.

Qu’est-ce que la résolution d’un contrat ? 

La résolution du contrat est une des sanctions à la disposition du créancier d’une obligation en cas d’inexécution imputable au débiteur. La notion d’ « imputabilité » suppose l’existence d’une faute du débiteur.

Un contrat, lorsqu’il est résolu, cesse de sortir ses effets. Le contrat n’existe purement et simplement plus.  

Dans quelles conditions le créancier d’une obligation contractuelle peut-il recourir à la résolution anticipée du contrat ?

Le futur article 5.90 du Code civil énonce cinq conditions : 

  
1) La gravité du manquement du débiteur est, en principe, laissée à l’appréciation du juge à qui le créancier demande qu’il prononce la résolution anticipée du contrat. 

Le manquement que le vendeur du véhicule risque de commettre peut être considéré comme  grave s’il s’agit, comme dans notre exemple, de l’inexécution de l’obligation principale du vendeur, soit celle de livrer le véhicule commandé. 

   
2) Outre l’urgence (le contrat d’emploi de l’acheteur prendra cours dans quelques semaines), l’acheteur peut faire valoir les circonstances exceptionnelles suivantes : 

  • la nonchalance du débiteur qui confine à l’incompétence et à la mauvaise foi : il ne semble pas se soucier de l’exécution de ses obligations, ne tient pas l’acheteur informé des reports successifs et ne se renseigne que sur interpellation de l’acheteur, 
  • le fait que si l’acheteur ne peut pas mettre fin au contrat qui le lie au concessionnaire, il s’exposera à des conséquences graves, soit le non-respect des engagements qu’il a pris vis-à-vis de son nouvel employeur. 


3) La circonstance qu’il soit « manifeste » que le débiteur ne s’exécutera pas à l’échéance constitue à nouveau une condition qui s’appréciera au cas par cas. 

L’acheteur du véhicule pourra faire état de la négligence de son débiteur, le concessionnaire, qui, après lui avoir assuré que le véhicule serait, sans aucun doute possible, livré le 1er juin au plus tard, a déjà reporté trois fois la date de livraison. Par ailleurs, un mois s’est déjà écoulé depuis la date de livraison promise, l’acheteur n’a aucune indication quant à une livraison à bref délai et nous sommes à la veille des vacances d’été. En d’autres termes, il est quasiment certain, ou, à tout le moins, hautement probable, que le véhicule ne sera pas livré à temps.

 
4) La mise en demeure de donner, « dans un délai raisonnable », « des assurances suffisantes » de la bonne exécution de ses obligations par le débiteur renvoie à une appréciation au cas par cas tenant compte, entre autres, des circonstances de l’espèce, et principalement du degré d’urgence pour le créancier de l’exécution de l’obligation. 

Ainsi, l’acheteur du véhicule pourrait-il notifier au concessionnaire qu’à défaut pour ce dernier de lui transmettre, sous délai de huitaine, une confirmation de l’importateur que le véhicule commandé sera effectivement livré le 11 juillet 2022, il mettra un terme au contrat. 


5) Il ne s’agit pas de permettre au créancier de mettre un terme au contrat dès qu’il soupçonne la moindre inexécution par son débiteur de ses obligations, cette inexécution fût-elle sans grande conséquence pour le créancier.  

L’inexécution doit en effet être essentielle et entraîner des conséquences suffisamment graves pour le créancier

Tel est le cas dans l’exemple de l’acheteur du véhicule puisque la méconnaissance par le concessionnaire de son obligation, essentielle, de livrer le véhicule dans tel délai, a pour conséquence de mettre le créancier en porte-à-faux par rapport à son nouvel employeur, voire de l’exposer à un risque de résolution de ce contrat d’emploi, à défaut pour l’acheteur de répondre à une condition essentielle du contrat, soit le fait d’être motorisé. 

Comment, en pratique, obtenir la résolution du contrat pour inexécution anticipée ?

Si la mise en demeure visée ci-dessus reste infructueuse, l’acheteur pourra introduire une procédure judiciaire à l’encontre du concessionnaire et demander au Tribunal saisi du litige de prononcer la résolution du contrat aux torts du vendeur. Il pourra également demander la condamnation du vendeur à des dommages et intérêts si la seule résolution du contrat ne permet pas de réparer le préjudice subi. 

Toutefois, même en saisissant le Tribunal sous le bénéfice de l’urgence, le créancier, la plupart du temps, n’obtiendra pas une décision « à temps ». Le législateur a été attentif à cette contrainte de temps puisqu’il a prévu que le contrat peut également être résolu par « notification » du créancier. Cette notification doit être faite selon certaines modalités et intervient aux « risques et périls » du créancier.

Enfin, les parties pourraient également prévoir dans le contrat des hypothèses de résolution anticipée du contrat et/ou modaliser la mise en œuvre de cette sanction. 

Ces deux derniers modes de résolution du contrat sont qualifiés de non judiciaires dès lors qu’ils permettent de faire l’économie de l’intervention d’un Tribunal. Toutefois, a posteriori, un Tribunal pourrait, sur recours du cocontractant pour irrégularité et/ou abus de droit, déclarer la notification de résolution inefficace. Dans cette hypothèse, le contrat continue de sortir ses effets et doit être exécuté par les parties. Si le créancier qui a résolu le contrat de manière irrégulière ou abusive n’a pas exécuté les obligations lui incombant, il engage à son tour sa responsabilité contractuelle. 

Quels sont les effets de la résolution anticipée du contrat[1] ?

Sous réserve d’une intervention ultérieure d’un Tribunal, le contrat n’existe plus. Le créancier est délié de ses obligations : l’acheteur ne devra donc plus prendre possession du véhicule, ni en payer le prix. L’acheteur pourra dès lors conclure un autre contrat et acquérir, par exemple, un véhicule de stock auprès d’un autre concessionnaire. Par ailleurs, la résolution s’opère de manière rétroactive à la date du manquement. 

La résolution pour inexécution anticipée est efficace vu qu’elle permet au créancier de limiter son dommage en obtenant malgré tout l’objectif recherché (l’acheteur pourra acquérir un autre véhicule et exécuter correctement les obligations qu’il a souscrites vis-à-vis de son nouvel employeur). Le créancier agit ainsi davantage « au préventif » (éviter de subir un préjudice) plutôt qu’ « au curatif » (réparer le dommage consécutif à une inexécution, consommée, du débiteur). Il s’agit, nous l’avons dit, de droit futur. Que cela ne vous empêche toutefois pas d’inviter votre conseiller juridique à d’ores et déjà y réfléchir lors de la rédaction d’un contrat et ce, tant dans vos relations B2C que B2B !

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[1] Nous n’abordons pas ici la question des restitutions, qui dépasse largement l’objet de la présente nouvelle.