Réplique au discours de rentrée

Discours
 width= Mon cher orateur, « Qui dit ce qui lui plait, entend ce qui ne lui plait pas ». Six siècles avant notre ère déjà, Alcée nous donnait la clé. N’y a-t-il pas à votre discours quelque paradoxe ? Car enfin, après avoir brocardé l’hypocrisie – et vous brocardez large, mon cher orateur : celle de l’église catholique, celle de nos amours illusoires, celle qui gouvernerait le barreau – après l’avoir déplorée, écartelée, clouée au pilori et soumise au supplice de la roue, voilà que vous terminez votre propos mezzo voce par ces mots « pourquoi ne pas tenter de nous en tenir au minimum incompressible d’hypocrisie nécessaire à toute vie en société, mais uniquement à ce minimum incompressible ? Hypocrite oui ! mais juste ce qu’il faut ». Etrange faiblesse, n’est-il pas ? Voilà que l’hypocrisie tant éreintée, trouve grâce et se doit d’être. Et voilà que seul l’excès d’hypocrisie dont vous vous faites juge serait à condamner. Ce remord, cher orateur, est tardif et impuissant. C’est que, comme l’écrivit Confucius jadis : « Quatre chevaux attelés ne peuvent ramener dans la bouche des paroles imprudentes ». Revenons un instant à l’entame de votre discours. Kevin Carter fut-il hypocrite ?  Ou serait-il mort de notre hypocrisie ? L’étrange analyse que voilà ! Lorsqu’il cadre sa photographie, lorsqu’il appuye sur l’obturateur, et en amont même lorsqu’il quitte Johannesburg et se rend à Ayod, qui peut croire que Kevin Carter serait dans un mouvement duplice, faux, fourbe, déloyal, ou simplement dissimulateur ? Personne sans doute. Mais la question n’est pas celle de l’hypocrisie, elle n’est pas celle du masque, elle est au contraire celle de l’engagement, de l’indignation, ou du témoignage ; je vais y revenir. Et Kevin Carter serait-il mort de notre hypocrisie ? Que nenni ! Il a posé un choix, le choix ultime ; il a écrit en quelques mots violents et décousus la folie des hommes qui le hantait, il n’a nullement écrit la bêtise de ceux qui l’auraient jugé. Mais bien plus, cher orateur : vous voyez dans notre appétit trivial face aux images de famine qui nous cernent, la preuve de notre hypocrisie, et moi – laissez-moi vous le dire : je n’y vois rien ! Je n’y vois rien et je ne veux rien y voir parce que, à vous suivre, c’est notre humanité elle-même, notre empathie, nos engagements, qui se trouveraient disqualifiés. Ne mélangeons pas les genres, ne confondons pas les concepts. Ils nous sont indispensables ces témoins courageux, correspondants de guerres, de famines, de misères, passeurs de réalités qui nous demeureraient sans eux étrangères.  Ils éveillent et nourrissent nos consciences et nous en avons autant besoin que de pain, là où ils laissent à d’autres l’art de la guerre, de la médecine, des ponts et de l’agronomie. Au sujet de la guerre de Somalie de 1991, André Fontaine a ces mots : « Cette nouvelle guerre civile ne paraît pas émouvoir sensiblement plus, sur le moment, la communauté internationale que celle (…) qui a fait 5.000 morts l’année précédente au Libéria. « Tout le monde s’en fout » déclare un haut fonctionnaire de l’ONU (…). Une fois de plus, c’est la télévision qui, en diffusant chaque soir les images squelettiques de la famine, provoque un élan d’opinion et contraint les responsables à agir » (in Après eux, le Déluge – de Kaboul à Sarajevo 1979 – 1995, Fayard, 1995, page 594). [adrotate group="3"] Mon cher orateur, vous n’avez pas pris l’avion pour le Soudan ; vous ne l’avez pris ni hier lorsque Kevin Carter y surprenait cette terrible image, ni aujourd’hui, à l’heure où la corne de l’Afrique se meurt à nouveau de sécheresse et de faim. Mais vous vous êtes ému, vous en avez écrit et parlé, peut-être avez-vous fait quelque don : cette humanité, cette compassion, cette solidarité là nous fait hommes et l’impossible ne peut la disqualifier. Chacun de nous ira-t-il demain au Soudan nourrir un enfant ?  Posez la question, c’est y répondre, et la summa divisio ne distingue pas les hypocrites des autres, elle distingue les agissants des non-agissants, avant tout. Venons-en, si vous le voulez bien, à l’épineuse question de l’église catholique, dans le champ de laquelle vous avez choisi de placer une part importante de votre propos. Curieuse inversion, qui me fait voir dans votre thèse  un dépit manifeste, et qui vous fera peut-être voir dans la mienne quelque consolation ! L’église est riche, l’église est séculière, l’église couvre les fautes des siens d’un voile de silence.  Voilà, en quelques mots, votre propos. L’église est riche et qu’en dire, Monsieur l’orateur ? Faut-il être pauvre comme Job ou François d’Assise, pour glorifier l’amour, la charité, la simplicité ? En d’autres mots, ne sommes-nous pas à nouveau face à l’éternelle question de la disqualification, celle qui voudrait qu’on ne soit pas riche et solidaire, employeur et communiste et, pourquoi pas, chrétien et meurtrier ? Celle enfin qui voudrait que seul l’aveugle puisse aider le paralytique ? Par ailleurs, lorsque vous reprochez aux porte-paroles de l’église catholique d’affirmer que « demander pardon [pour les actes de pédophilie] n’aidera pas les victimes de ces horribles actes », il me semble que vous lui reprochez plutôt sa vérité que son hypocrisie. Car qui peut penser que lorsqu’ainsi elle s’exprime, l’église affecte des opinions ou des pensées qu’elle n’a pas ? Je la crois au contraire à ce moment sincère, et ce qui vous divise n’est pas ici de l’ordre de la bonne ou de la mauvaise foi, mais de l’ordre de la conviction ou des valeurs. Enfin, d’un dépit l’autre, vous voilà reprochant à l’église son maintien sur la scène séculière. Mais ne serait-ce pas plutôt de prosélytisme qu’il est ici question ? Et n’est–il pas par quelque côté consubstantiel aux croyances et convictions que de vouloir rallier à elles le plus d’esprits possible ? Sans doute est-ce là ce que vous dénoncez. Quant à la sécularité proprement dite de l’église, je suis plutôt de l’avis de Marcel Gauchet, pour qui : « La Cité de l’homme est l’œuvre de l’homme, à tel point que c’est impiété, désormais, aux yeux du croyant le plus zélé de nos contrées, que de mêler l’idée de Dieu à l’ordre qui nous lie et au désordre qui nous divise ; nous sommes devenus, en un mot, métaphysiquement démocrates ». (in La Religion dans la Démocratie, Folio essais, 1998, page 11). A moins bien sûr que vous ne soyez  précisément ce croyant le plus zélé, et par là le plus sensible et sourcilleux. Allons, mon cher orateur, l’église catholique n’est sans doute pas plus irréprochable que bien d’autres institutions en ce monde, mais je crains que le procès en sorcellerie que vous lui faites ne soit pas précisément le plus fondé, ni même sans doute le plus pertinent. Enfin, autorisez-moi, voulez-vous, une dernière réflexion avant de tourner cette page délicate : il ne vous aura pas échappé, j’en suis convaincu, que l’hypocrisie ne figure pas au titre des sept péchés capitaux…aux rangs desquels figurent bien – par contre – l’envie et la luxure ! [adrotate group="3"] Ah, les femmes, nous y voilà, dans ce jardin secret et luxuriant des relations – tumultueuses certes, mais premières – entre les hommes et les femmes.  Toute vie y trouve sa source, toute vie y revient. Et là, mon cher orateur, là précisément et à ce point de votre discours, permettez-moi de vous le dire : vous manquez totalement tout à la fois au principe de réalité et aux beautés du romantisme. Ne confondriez-vous pas hypocrisie et séduction ? Oseriez-vous affirmer ici, Monsieur l’orateur, devant cet auditoire de qualité, que le paon qui fait la roue fait œuvre d’hypocrisie ? La question a hanté la littérature et la poésie à travers les âges, je ne vous ferai pas l’insulte de vous rappeler les œuvres qui y ont trait ; est-il besoin d’appeler à la rescousse quelque test comportemental ou sondagier ? L’un des plus beaux romans d’amour, fresque de l’aventure de l’homme et de la femme, est sans doute Belle du Seigneur. Albert Cohen, dans un monologue sans fin, ne met-il pas dans la bouche de  Solal ces mots : « Alors, les yeux toujours baissés, la babouine dit d’une voix douce et pénétrée, Bach nous rapproche de Dieu,  n’est-ce pas ? Comme je suis heureuse que nous ayons les mêmes goûts. Ça commence toujours par les goûts communs.  Oui, Bach, Mozart, Dieu, elles commencent toujours par ça. Ça fait conversation honnête, alibi moral. Et quinze jours plus tard, trapèze volant dans le lit. Donc la babouine continue sa conversation élevée avec son sympathique babouin, ravie de constater qu’en tout, il pense comme elle, sculpture, peinture, littérature, nature, culture. J’aime beaucoup aussi les danses populaires, dit-elle ensuite en lui décochant une œillade.  Et qu’est-ce que c’est, danses populaires, et pourquoi les aiment-elles tant ? (…) Danses populaires, c’est gaillards remuant fort et montrant ainsi qu’ils sont infatigables et sauront creuser dur et longtemps.  Bien sûr, elles n’avoueront pas le motif de leur délectation, et une fois de plus elles recouvriront avec des mots distingués, et elles te raconteront que ce qui leur plait dans ces danses, c’est le folklore, les traditions, la patrie, les maréchaux de France, la chère paysannerie, la joie de vivre, la vitalité. Vitalité dans l’œil de leur sœur !  On sait ce que signifie vitalité en fin de compte ». (Belle du Seigneur, Gallimard 1968, page 316). Le bonheur n’est-il pas justement dans la naïveté enfantine grâce à laquelle nous nous laissons prendre à tous les âges dans les jeux de l’amour et du hasard ? Et lorsque, quelquefois, nous ne sommes pas dupes les uns des autres, c’est courtoisie et non hypocrisie qui bien souvent mène nos jeux ataviques. Et non, mille fois non, l’égalité des sexes n’est pas une hypocrisie : elle un vouloir, et un devoir.  Acquise ou non, elle est une éthique, et un chemin. Me voilà bien critique, n’est-ce pas là ce que vous vous dites ? Tel est le jeu, Monsieur l’orateur, mais aussi telles sont mes convictions. C’est qu’en réalité je ne partage pas sans nuance votre approche de l’hypocrisie, même si j’aime votre profession de foi ! Certes, le grand Dante range les hypocrites au 8è cercle des enfers, vêtus de chapes dorées doublées de plomb.  L’allégorie est belle. Mais Jacqueline Risset elle-même, spécialiste incontestée de l’œuvre du poète, n’écrit-elle pas avec justesse que « l’Enfer aujourd’hui, plutôt que le catalogue effrayant des péchés et des châtiments possibles, plutôt que l’archétype du roman noir, est pour nous la première étape du grand roman initiatique d’une civilisation qui est racine de la nôtre » ? Et Machiavel, qui est peut-être cynique, mais dont je ne vois pas qu’il soit en rien hypocrite, n’écrit-il pas, un siècle et demi après Dante, « qu’il faut savoir varier suivant le temps, si l’on veut toujours trouver la fortune propice » (Sur la première décade de Tite-live, La Pléiade, Œuvres complètes, page 640). Enfin, plus près de nous, Valéry n’est pas en reste, pour qui : « l’hypocrisie est une nécessité des époques où il faut de la simplicité dans les apparences, où la complexité humaine n’est pas admise, où la jalousie du pouvoir ou bien la stupidité de l’opinion impose un modèle aux personnes.  Le modèle est promptement pris pour masque » (Variété II, page 69). Ainsi, voilà l’hypocrisie qui balance entre réalpolitik ici, lâcheté là-bas. Pensée à l’aune de ces deux pôles, n’est-elle pas tantôt un avantage, une force, tantôt une faiblesse ? Du reste, la question importe-t-elle tant ?  Le paradigme n’est-il pas celui de l’homme qui connaît ses forces et ses faiblesses, le gnauti sauton ancien et résolument actuel, plutôt que celui de l’homme sans faiblesse, mais alors aussi de l’homme sans qualité ? Faut-il, une fois encore, glorifier le mythe, ou aimer l’homme ? Vous aurez compris, mon cher orateur, vers quels horizons mon cœur me porte, et le moindre des mérites de votre beau discours n’est pas de nous avoir ouvert les chemins de cette réflexion. Permettez-moi de conclure cette partie de mon intervention par ces mots empruntés à Frans de  Waal, grand savant de notre temps, éthologue, et primatologue de renom : « Qu’une telle créature [l’homme] soit le résultat de l’élimination de génotypes malheureux donne toute sa force à la théorie darwinienne. Si nous veillons à ne pas confondre le processus et son produit (…), nous voyons l’un des animaux les plus intérieurement conflictuels ayant jamais marché sur terre. Un animal capable de destructions inimaginables à l’encontre de son environnement et de membres de sa propre espèce, mais en même temps doté de ressources inépuisables d’empathie et d’amour, plus profondes que jamais auparavant.  Puisque cet animal a affirmé sa domination sur tous les autres, il est d’autant plus impératif qu’il se regarde honnêtement dans le miroir, afin de connaître le pire ennemi qu’il lui faille affronter, mais aussi l’allié prêt à l’aider à construire un monde meilleur » (in Le singe en nous, Fayard, 2006, page 297). Mesdames et Messieurs les Bâtonniers et anciens Bâtonniers, Mesdames et Messieurs en vos titres et qualités, Mes chers confrères, Le barreau de Liège fêtait, il y a quelques semaines à peine, son bicentenaire.  Deux siècles de libertés, mais pour nous, les héritiers de nos pères, des défis considérables à relever dans un monde en profonde mutation. Nous allons vivre, dans les semaines à venir, une révolution culturelle fondamentale pour la justice elle-même en toutes ses composantes : policiers, juges, avocats.  Car l’irruption forcée des avocats dans les cabinets des juges d’instruction, mais bien plus encore dans les commissariats, va nécessairement modifier non seulement le travail d’enquête, mais aussi la fréquence et les motifs de délivrance des mandats d’arrêt en particulier. Non pas que les mœurs judiciaires dans notre pays à forte tradition démocratique devraient changer radicalement, mais parce que je veux croire que la seule présence du tiers avocat, et le dialogue susceptible de s’en suivre, constitue nécessairement un enrichissement mutuel qui ne peut que s’inscrire dans un acte de penser et un acte de juger justes, et sereins. Et pourtant, je sens, spécialement dans le chef des autorités de police, une inquiétude, et même une défiance à l’endroit des avocats. Et je tiens à le dire ici, haut et fort : de même que les policiers ne sont pas des hors-la-loi assis sur un code de procédure pénale résolument méconnu et usant de tous les moyens que la fin justifierait sans nuance, de même les avocats ne sont pas des mercenaires sans foi ni loi à la solde de leurs clients et complices de ceux-ci. Non, Mesdames et Messieurs, les avocats n’ont pas pour vocation de violer le secret professionnel qui s’impose à eux, et non les avocats ne se précipiteront pas vers les complices ou co-auteurs des actes reprochés à leurs clients pour les informer de l’état d’avancement de l’enquête et du dossier répressif.   Et si d’aventure d’aucun franchissait cette ligne rouge absolue, il ne serait plus avocat  mais délinquant et je ne doute pas que les autorités, tant judiciaires qu’ordinales, sauraient se montrer d’une fermeté sans faille. La présence de l’avocat sera légale, elle est aussi légitime : qui pourrait aujourd’hui contester cette évidence, que le premier interrogatoire en qualité de suspect constitue incontestablement le premier acte de la procédure pénale, et que le droit à un procès équitable et à l’égalité des armes s’impose dès cet instant. Monsieur le Juge Jean-Paul Costa, Président honoraire de la Cour Européenne des Droits de l’Homme depuis quelques jours à peine, a eu cette formule : « L’opinion se dit parfois que la Cour a plus de tendresse pour les canailles que pour les honnêtes gens, alors qu’il ne s’agit que de protéger les libertés fondamentales ».  Qu’en bien peu de mots cette vérité majeure est-elle dite, parfaitement dite ! Et je me plais à rappeler ce propos du Président de la République française devant la Cour de cassation de France : « Parce que [les avocats] sont auxiliaires de justice et qu’ils ont une déontologie forte, il ne faut pas craindre leur présence dès les premiers moments de la procédure.  Elle est bien sûr une garantie pour leurs clients, mais elle l’est aussi pour les enquêteurs qui ont tout à gagner d’un processus consacré par le principe du contradictoire ». [adrotate group="3"] Si ce n’est que nous ne sommes pas, nous les avocats, des auxiliaires de justice mais bien plutôt des aiguillons de justice, je ne vois rien à retirer à ce sage propos. Le travail commence, la route est à faire, le droit et la justice entament un parcours nouveau. Ne nous y trompons pas, il reste parsemé d’obstacles, de questions juridiques délicates et ouvertes que le législateur – nous le sentons bien – n’a pas eu le courage ou la volonté d’affronter totalement. C’est aux juges que les avocats saisiront, qu’il appartiendra demain de corriger l’œuvre législative, ou de combler ses lacunes. Si, ne soyons pas naïfs, Madame le Procureur du Roi, Mesdames et Messieurs les Juges d’instruction, et nous les avocats, nous n’avons pas les mêmes analyses juridiques de la portée et des limites de la loi, je veux dire ici que le barreau se réjouit de l’entame de discussions ouvertes et constructives entre tous les acteurs, sous l’égide de Monsieur le Président du Tribunal de première instance, pour que le système voulu par  le législateur en suite de la Cour Européenne des Droits de l’Homme puisse fonctionner au mieux dès le 1er janvier prochain. Il appartiendra au barreau d’être présent, aux côtés des justiciables : telle est sa vocation, tel est son devoir. Il appartiendra aussi, et le barreau le rappelle fermement, au gouvernement fédéral de veiller à assurer le financement de ces droits et obligations nouveaux : les avocats ont pris le risque de les assumer sans contrepartie à Liège pendant six mois, il convient qu’à l’avenir une rémunération  décente leur soit assurée dans le cadre de l’aide juridique lorsqu’elle trouve à s’appliquer. C’est sous cette réserve et sous ce contrôle vigilant que le barreau de Liège a décidé de reprendre les permanences qui nous conduiront peut-être bientôt à assumer des prestations, le jour, la nuit, et le week-end. Ce n’est pas rien et les avocats, pas plus que quiconque, n’ont vocation à œuvrer sans être justement rémunérés de leur travail. Permettez-moi enfin, pour terminer, de revenir en quelques mots sur une question qui retient l’attention du barreau belge, mais aussi de nombreux barreaux européens, depuis le mois d’avril dernier. Non, Monsieur l’orateur, je ne vous ai pas oublié.  La profession de foi d’un hypocrite était une trilogie, et votre saillie sur le démarchage mérite, elle aussi, quelques mots. Nous ne sommes pas des marchands. Nous ne sommes même pas des marchands de droit. [adrotate group="3"] Nous sommes les garants de l’effectivité d’un droit fondamental, coulé dans le bronze de l’article 23 de notre Constitution : le droit au droit. L’accès au droit et à la justice ne va pas sans l’avocat, comme l’accès à la santé ne va pas sans le médecin. C’est pour cela, pour cela d’abord, que je ne peux sans frémir ni sans combattre, tolérer que des comportements de marchand nous soient permis, et dès lors nous soient par d’autres imposés, au motif fallacieux de la libre concurrence. Je serai bref, mais je dirai ceci : à adopter des comportements de marchand, nous nous ferons marchands, aussi vrai que la superstructure définit l’infrastructure et les modes d’être et de penser. C’est l’avocat, dans sa culture de la liberté et de l’indépendance, qui est le gardien de nos libertés, le chien de garde de notre démocratie. C’est l’avocat, pas le marchand ! Et nous avons besoin de cet avocat-là comme de l’air que nous respirons, comme de l’eau qui nous abreuve. La sauvegarde de son indépendance, mais aussi la protection de la bonne administration de la justice et celle des justiciables – consommateurs peuvent fonder en droit de justes motifs à l’interdiction du démarchage. La route est longue, les combats seront difficiles, nous en gagnerons, nous en perdrons. C’est notre devoir, et c’est notre essence. La route est longue, mais si nous ne la faisons pas, qui la fera ? Je vous remercie de votre attention.   Eric LEMMENS