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Nouveau régime fiscal du droit d’auteur, access denied pour les logiciels ?
Mes Xavier Defoy & Martin Jadoul, avocats du barreau de Liège-Huy
Les revenus provenant des droits d’auteur (ou droit voisins) générés par une personne physique peuvent être qualifiés de revenus mobiliers et, depuis 2008, sont imposables au taux préférentiel de 15%, plutôt que comme revenus professionnels. Jusqu’à cette année, la seule condition pour bénéficier de ce régime de « faveur » était que ces revenus devaient résulter de la cession, de la concession ou d’une licence de droits d’auteur (ou droits voisins).
Il a toutefois été considéré par le Ministre des Finances que ce régime trouvait à s’appliquer à un nombre trop important de situations, créant ainsi un « trou » dans les caisses de l’Etat. Sur proposition du Ministre, qui avait essentiellement en ligne de mire le secteur informatique, le législateur a décidé d’y remédier en restreignant le champ d’application de ce régime.
Dans ce contexte, la loi programme du 26 décembre 2022 fut adoptée. Le nouveau régime liste à l’article 17, §1er, 5° du Code d’impôt sur les revenus (‘CIR 92’) une série de nouvelles conditions devant être respectées pour pouvoir bénéficier du régime fiscal de « faveur » :
- les revenus doivent résulter de la cession ou l’octroi d’une licence par le titulaire originaire de droits d’auteur et de droits voisins visés au livre XI, titre 5 du Code de droit économique (‘CDE’) ;
- Lles revenus doivent se rapporter à des œuvres littéraires visées à l’article XI.165 du CDE ;
- les droits d’auteur ou droits voisins doivent être destinés à être exploités ou utilisés ;
- et au moins une de ces trois conditions doit être remplie :
1. Le titulaire originaire doit être titulaire d’une attestation du travail des arts.
2. Le titulaire originaire perçoit ses revenus d’un organisme de gestion collective.
3. À défaut, le titulaire originaire transfère ou octroie en licence ses droits à un tiers aux fins de communication au public, d’exécution ou de représentation publique ou de reproduction.
Les programmes d’ordinateur et, par extension, le secteur IT, exclus du champ d’application tel que réformé ?
A dessein de restreindre le champ d’application du régime fiscal des droits d’auteur, le législateur a inséré à l’article 17, §1er, 5° du CIR 92 une référence explicite au titre 5 du livre XI du CDE. Ce faisant, le législateur renvoie spécifiquement « aux œuvres protégées par les droits d’auteur » plutôt qu’au livre XI dans son ensemble qui vise toutes les œuvres pouvant être protégées par un droit de propriété intellectuelle (droit d’auteur, brevet, marque, etc.).
Le fisc adopte une lecture stricte de l’article 17, §1er, 5° nouvelle mouture de laquelle il déduit que les œuvres visées aux autres titres du livre XI du CDE – parmi lesquels le titre 6 relatif « aux programmes d’ordinateurs » - sont exclues du champ d’application du régime fiscal des droits d’auteur.
La situation n’est toutefois pas aussi simple que le voudrait le fisc.
La situation est plus complexe puisque la deuxième condition posée par l’article 17, §1er, 5° du CIR 92 nous énonce que le régime de « faveur » s’applique aux œuvres visées à l’article XI. 165 du CDE, lequel vise les « œuvres littéraires ou artistiques ».
Cette notion n’étant pas définie par le CDE, il convient de s’en référer aux textes de loi ainsi qu’à la jurisprudence européenne et internationale pour interpréter la législation belge.
A cet égard, la notion « d’œuvre éligible à la protection des droits d’auteur » reçoit, tant en droit européen qu’en droit international, une acception particulièrement large. Il est, en effet, uniquement requis qu’elles présentent une forme concrète et qu’elles soient suffisamment originales pour être protégées. Tant que ces conditions sont respectées, le support qui matérialise l’idée originale importe peu. Ainsi, tant un recueil de poèmes que le code source à l’origine d’un programme d’ordinateur peuvent être protégés par le droit d’auteur.
En ce qui concerne les programmes d’ordinateur en particulier, il n’est d’ailleurs pas contesté qu’ils doivent être considérés comme des œuvres littéraires au sens de l’article XI. 165 du CDE. En effet, l’article XI. 294 du CDE dispose expressément :
« Les programmes d’ordinateur, en ce compris le matériel de conception préparatoire, sont protégés par le droit d’auteur et assimilés aux œuvres littéraires au sens de la Convention de Berne ».
Le Ministre des Finances avait, par ailleurs, évoqué la question lors d’une discussion précédente sur le champ d’application du régime de « faveur » :
« les programmes d’ordinateur sont protégés par le droit d’auteur et assimilés aux œuvres littéraires au sens de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires (…). Dès lors, exclure les revenus résultant de la cession ou de la concession de programmes d’ordinateur des revenus visés à l‘[ancien] article 17, §. 1er, 5° du CIR 92 est injustifié et, au demeurant, discriminatoire ».
Qu’en est-il alors ?
La question de savoir si les programmes d’ordinateur, bien qu’ils soient assimilables à des œuvres littéraires au sens de l’article XI. 165 CDE, peuvent toujours bénéficier du régime fiscal « favorable » à la suite de la réforme est moins évidente.
En effet, bien que le Ministre des Finances ait expressément énoncé son intention d’exclure le secteur IT de ce régime fiscal, le texte de loi finalement adopté ne contient aucune exclusion de ce genre.
Les Travaux préparatoires relatifs à la loi du 26 décembre 2022 précisent à cet égard que :
« En tout état de cause, aucune catégorie professionnelle n’est exclue a priori. Mais les conditions prévues dans la loi devront être vérifiées dans chaque cas individuel pour déterminer si le contribuable peut recourir ou non au régime fiscal ».
Il convient en outre de rappeler que la disposition d’assimilation de l’article XI. 294 du CDE est reprise dans le titre 6 du livre XI (programmes d’ordinateur) du CDE. Or, le nouvel article 17, §. 1er, 5° du CIR 92 ne fait référence qu’au livre 5 du titre XI du CDE (droits d’auteur) pour délimiter le champ d’application du régime fiscal de « faveur ».
Etant donné que le titre 5 (droits d’auteur) comprend dans son champ d’application général les programmes d’ordinateur visés au titre 6 et que ce titre 6 n’a vocation qu’à régler certains points spécifiques relatifs aux programmes d’ordinateur, l’on pourrait argumenter que seules les dispositions spécifiques du titre 6 sont exclues, mais que les programmes d’ordinateur au sens large sont compris dans le champ d’application du régime fiscal des droits d’auteur dès lors qu’ils sont visés dans le champ d’application du titre 5.
Néanmoins, le Ministre a anticipé l’argument en précisant dans les Travaux préparatoires que :
« Lorsque le droit fiscal renvoie à une partie spécifique d’une autre législation, il vise explicitement à n’inclure que cette partie spécifique dans son champ d’application et il ne vise pas à intégrer d’autres dispositions et interprétations connexes dans sa législation » et que, partant ;
« les ‘œuvres littéraires ou artistiques’ assimilées par la loi ne sont pas visées. L’assimilation à l’article XI. 294 du CDE n’est ainsi pas prise en compte » et que ;
« en l’espèce, le droit fiscal s’écarte clairement du droit commun en incluant une référence restrictive au titre 5 du livre XI du [CDE] ainsi qu’aux articles spécifiques XI. 165 et XI. 205 ».
Ainsi, si de lege tous les groupes professionnels pourraient avoir accès au régime des droits d’auteur, il résulte de l’interprétation que le Ministre donne au texte de loi que les créateurs de logiciels en sont de facto (pratiquement) exclus.
Les praticiens de la fiscalité sont divisés quant à cette interprétation. Certains estiment en effet que l’interprétation du nouveau texte qui est faite par le Ministre est correcte et donc que le secteur IT est exclu du régime fiscal favorable.
Les autres estiment en revanche que l’assimilation des logiciels à des œuvres littéraires par l’article XI. 294 du CDE justifie l’application du nouveau régime au secteur IT.
A ce stade, il est malheureusement impossible de prédire l’attitude qu’adopteront les Cours et Tribunaux face à des entreprises appliquant le régime de « faveur » aux cessions de droits d’auteur relatifs à des logiciels. Il n’en demeure pas moins qu’en l’état, le manque de sécurité juridique afférent à ce régime – dû notamment au refus de l’administration fiscale de rendre des rulings relatifs à cette problématique – est extrêmement préjudiciable à ce secteur florissant de l’économie belge pour qui ce régime fiscal présentait une véritable attractivité.
Dans l’attente d’une clarification, sous l’impulsion des « Géants du net », de nombreux acteurs du secteur IT ont annoncé leur intention d’introduire un recours en annulation devant la Cour constitutionnelle en invoquant une violation du droit européen ainsi qu’une différence de traitement injustifiée entre titulaires de droits d’auteur. Le mot d’ordre reste donc la prudence et la question de savoir si une entreprise peut octroyer une rémunération de droits d’auteur à ses travailleurs doit faire l’objet d’une analyse au cas par cas.