L’indice I-2021 – le point sur la révision des prix et les possibilités offertes à l’adjudicataire en cas d’inadéquation de la formule

Droit de l'entreprise

Me Jean-Luc Teheux, avocat au Barreau de Liège-Huy

Les indices « Mercuriale » dans les clauses de révision de prix des marchés publics ou encore privés de travaux sont devenus fréquents. En janvier 2021, a été introduit un nouvel indice I, intitulé indice I 2021. La présente contribution a pour objet d’expliciter de manière synthétique ce que comprend ce nouvel indice I. Nous profitons par ailleurs de cette réforme de la Mercuriale pour faire le point sur les paramètres et indices généralement applicables dans les formules de révision prévue dans les documents d’un marché public et les conséquences d’une éventuelle inadéquation de celle-ci.

I.    Indice I et nouvel indice I-2021 - prise en compte

L’indice I (avant la réforme) correspond à un panier de 26 matériaux de construction qui reprend la valeur mensuelle de ce panier. Cet indice est régulièrement utilisé dans les formules de révision contractuelle dans le cadre des marchés publics de travaux :

  • soit comme paramètre spécifique unique en plus des indices « S » salaires et charges sociales et « c » terme fixe qui neutralise la révision en proportion du coefficient qui lui est affecté ; 
  • soit accompagné d’autres indices (ou paramètres) spécifiques représentés par les indices « TP »M1, M2, M3… tels que les aciers profilés ou graviers ou encore le gasoil.

Les valeurs de ces différents indices S, I et TP sont publiées mensuellement de manière officielle sur le site internet du SPF Economie. 

Il s’agit donc d’indices officiels dont la valeur s’impose à tous et en ce compris la composition du terme générique I.

La particularité de l’indice I tient au fait qu’il s’agit d’un panier dont la composition ne correspond pas forcément à l’importance relative des matériaux réellement mis en œuvre sur le marché considéré, mais permet une révision utile de par la composition diversifiée du panier. 

Suite à des demandes répétées, dans le cadre de la réforme de la Mercuriale, le SPF Économie a revu la composition de l’indice I et l’a remplacé par un nouvel indice I-2021 lequel est composé de 60 produits regroupés en 11 catégories et est censé être plus représentatif de la variété des matériaux utilisés tant pour les travaux de génie civil que les travaux de construction des bâtiments.

Bien plus représentatif que l’indice I antérieur, le nouvel indice I-2021 ne s’applique pas de plein droit à un marché conclu avant janvier 2021, aucune rétroactivité n’ayant été décidée par le SPW. Les seules possibilités résideraient en droit dans un accord entre les parties quant à son application ou encore dans une demande justifiée de révision du marché en application d’une clause de réexamen. 

II.    Clause de révision – clause de réexamen

La révision des prix est envisagée par la réglementation des marchés publics comme une modification en cours d’exécution qui trouve sa base légale à l’article 10 de la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics et, pour trouver à s’appliquer, doit être couverte par une clause de réexamen claire précise et univoque, ainsi que l’édicte l’article 38/7 de l’AR RGE du 14 janvier 2013 établissant les règles générales d’exécution des marchés publics. 

Extrait art.38/7 AR RGE

« Les documents du marché relatifs à un marché de travaux ….. prévoient une clause de réexamen ;

La clause de réexamen, telle que définie à l’article 38, fixant les modalités de la révision des prix en fonction de l’évolution des prix des principaux composants suivants : 
-les salaires horaires du personnel et les charges sociales

-en fonction de la nature du marché, un ou plusieurs éléments pertinents tels que les prix de matériaux, des matières premières, les taux de change

La révision des prix est basée sur des paramètres objectifs et contrôlables et utilise des coefficients de pondération appropriés ; elle reflète ainsi la structure réelle des coûts ».

Il n’est pas contestable que les formules de révision structurées au travers de paramètres tels que les indices de révision « salaires »  et les indices « matériaux », dont l’indice I, répondent à cette exigence légale.  

III.    Inadéquation de la formule de révision

Les parties ne peuvent envisager la modification de la structure de la formule de révision qu’en cas de constat de dysfonctionnement de ladite formule ou d’une structuration qui, d’emblée, ne répond pas à la condition légale du reflet de la structure des coûts, ce qui signifie que le ou les indices incriminés et/ou la pondération de ces indices ne sont pas adéquats au regard des matériaux réellement mis en œuvre sur le marché considéré. Par hypothèse, de par sa composition, l’indice I ne peut rencontrer complètement cette exigence, mais sa composition spécifique tend à refléter les valeurs moyennes de l’évolution des prix des matériaux.

Néanmoins, deux cas d’espèce doivent être distingués :

  • L’inadéquation de la formule contractuelle en cours de révision du marché, du fait de la survenance d’une circonstance imprévisible (hausse des prix pétroliers, de l’acier par exemple…)

Ce cas de figure relève de l’application de l’article 38/9 du RGE en vertu duquel l’adjudicataire peut demander la révision du marché lorsqu’elle « est devenue nécessaire à la suite des circonstances qu'il ne pouvait raisonnablement pas prévoir lors du dépôt de son l'offre, qu'il ne pouvait éviter et aux conséquences desquelles il ne pouvait obvier, bien qu'il ait fait toutes les diligences nécessaires ». Par ailleurs, le préjudice subi en raison de la circonstance imprévisible et corrélativement de l’inadéquation de la formule de révision doit :

« 1°pour les marchés de travaux et les marchés de services visés à l'annexe 1, s'élever au moins à 2,5 pour cent du montant initial du marché. Si le marché est passé sur la base du seul prix, sur la base du coût ou sur la base du meilleur rapport qualité-prix lorsque le poids du critère relatif aux prix représente au moins cinquante pour cent du poids total des critères d'attribution, le seuil du préjudice très important est en toute hypothèse atteint à partir des montants suivants:

  • 175.000 euros pour les marchés dont le montant initial du marché est supérieur à 7.500.000 euros et inférieur ou égal à 15.000.000 euros;
  • 225.000 euros pour les marchés dont le montant initial du marché est supérieur à 15.000.000 euros et inférieur ou égal à 30.000.000 euros;
  • 300.000 euros pour les marchés dont le montant initial du marché est supérieur à 30.000.000 euros;

2°pour les marchés de fournitures et de services autres que ceux visés à l'annexe 1, s'élever au moins à quinze pour cent du montant initial du marché».

La preuve de l’importance de ce dommage peut, eu égard aux circonstances de la cause, être ardue. Dans un jugement récent concernant l’ancien article 16§2 du cahier général des charges (devenu l’article 38/9 du RGE), le Tribunal de Première Instance de Namur a sanctionné l’adjudicataire restant en défaut d’apporter la preuve concrète de l’importance du préjudice que lui aurait occasionné le fonctionnement inadéquat de la formule contractuelle de révision[1]

A peine de déchéance, il appartient à l’adjudicataire de dénoncer la ou les circonstances sur lesquelles il se base, ainsi que leur incidence sur le déroulement et le coût du marché, par écrit dans les trente jours de leur survenance ou de la date à laquelle il aurait normalement dû en avoir connaissance. 

Concrètement, l’adjudicataire devra dénoncer non seulement la circonstance imprévisible (telle la hausse des prix du matériaux) mais aussi son incidence sur la formule de révision contractuelle, à savoir le fait que l’indice I initial ou un autre ne reflète pas suffisamment la structure des coûts réels et donc ne respecte pas le prescrit de l’article 38/7 précité du marché.

  • L’inadéquation de la formule contractuelle de révision dès son adoption.

L’adjudicateur a, dans ce cas de figure, prévu une formule de révision contractuelle qui serait inadaptée, puisque ses termes ne représenteraient pas les principaux composants réellement mis en œuvre. Ce faisant, il aurait commis une faute dont pourrait, en principe, se prévaloir l’adjudicataire en application de l’article 38/11 du RGE pour réclamer la révision du marché, des dommages et intérêts ou encore la résiliation du contrat. Contrairement à l’article 38/9 précité, il n’y a pas de seuil de préjudice à atteindre.

Par contre, les conditions de recevabilité décrites en cas de circonstances imprévisibles (dénonciation du fait imputable et de son incidence dans les 30 jours) sont applicables.
 

Le praticien n’ignore pas que le conflit entre les parties réside bien souvent dans le respect de ces conditions dites de « recevabilité »…

Néanmoins, en l’absence de dénonciation, l’adjudicataire ne pourrait-il pas se retrancher sur la nullité de la formule de révision ou encore sur la commission d’une culpa in contrahendo (article 1382 du code civil). Le débat est ouvert.

L’article 10 de la loi du 17 juin 2016 prévoit expressément que l’article 57 de la loi du 30 mars 1976 relative aux mesures de redressement économique ne s'applique pas aux marchés publics. Or, sous l’empire de cette ancienne réglementation, selon la doctrine et la jurisprudence en la matière, la clause contractuelle de révision non adéquatement élaborée  pouvait être sanctionnée de nullité, en application de l’article 57 précité  dans l’hypothèse, avérée, où elle ne se réfère « clairement pas » à des paramètres représentant les coûts réels[2]. Ceci étant, l’article 38/7 du RGE reprend en substance les principes repris à l’article 57, selon lesquels « la formule de révision doit rencontrer l’évolution des prix des principaux composants du prix de revient. […] la révision des prix est basée sur des paramètres objectifs et contrôlables et utilise des coefficients de pondération appropriés ; elle reflète ainsi que structure réelle des coûts ». La nullité d’une formule inadéquate ne pourrait-elle donc pas être adéquatement soulevée ?

Enfin, la faute précontractuelle suppose qu’une partie contractante commette une faute en induisant son cocontractant en erreur « au sujet de la validité, des conditions ou de la portée de la convention conclue »[3]. Cette théorie trouve, depuis longtemps, écho au sein du contrat public[4]. Tout récemment encore, le Tribunal de l’Entreprise de Charleroi a estimé que l’adjudicateur a commis une faute au stade précontractuel en communiquant des informations erronées aux potentiels soumissionnaires, lesquels ont été induits en erreur quant à l’ampleur du marché avec cette conséquence qu’ils n’ont pu établir leur offre en disposant des informations nécessaires à cette fin, engageant leur responsabilité sur pied de l’article 1382 du Code civil[5]. L’inadéquation d’une formule de révision dès son adoption ne pourrait-elle donc pas constituer une telle faute ?

Quoi qu’il en soit, la circonscription du champ d’application de l’article 10 de la loi ou encore de l’article 1382 du Code civil dans ce domaine n’est pas anecdotique. Une fois les conditions de ces dispositions invoquées et démontrées par les adjudicataires, l’écueil des conditions de forme et de délais des dénonciations propre au régime contractuel (38/9 et 38/11 du RGE) est évité. 

Bien que les législations successives en la matière ainsi que l’actualisation récente de l’indice I tendent à réduire les difficultés d’interprétation et d’application que peut susciter une formule de révision, à ce jour, celle-ci, bien qu’envisagée à part entière sous la forme d’une clause de réexamen, ne jouit pas d’un régime juridique autonome. La sanction de son inadaptation dépendra, selon toute vraisemblance, du respect d’autres dispositions tantôt spécifiques (propres à la réglementation des marchés publics), tantôt générales. La jurisprudence nous le dira…

------------------------------

[1] Civ.Namur, Inédit, 13 janvier 2021, RG 14/771/A. 

[2] Cass (1ère ch.), RG C.99.0549.N, 13 septembre 2001 (Région flamande / De Clercq Annemingen en Wegenbouw);

[3] Cass., 1er octobre 1976, Pas., 1977, I, p. 133 cité in FAGNART, La responsabilité civile, JT, 1985, p. 455 et références citées)

[4] Bruxelles, 4 novembre 1998, l’entreprise et le droit, 1999, p. 72

[5] Entr.Charleroi, 17 février 2021, inédit, RG A/19/02897.