Lettre 2015 n°12 - Allocution prononcée par Monsieur le Bâtonnier André RENETTE en hommage à Monsieur le Bâtonnier Michel FRANCHIMONT le 19 août 2015

Discours
 width=Nelson Mendela a dit, sans savoir qu’il s’adressait à Michel FRANCHIMONT : « L’honnêteté, la sincérité, la simplicité, l’humilité, la générosité, l’absence de vanité, la capacité à servir les autres – qualités à la portée de toutes les âmes – sont les véritables fondations de notre vie spirituelle ». La vie de Monsieur le Bâtonnier FRANCHIMONT fut une leçon de simplicité, de générosité et d’absence de vanité. Une vie dédiée au service des autres et du bien public. A vous tous et toutes venus nombreux rendre hommage à cet homme, donner votre amitié et votre solidarité à sa famille, je porte ici la parole et l’hommage d’un barreau endeuillé, à nouveau en cet été, et m’adresse à vous, quels que soient vos titres et qualités, en ces termes simples et accueillants : « Mes chers amis » Qui parmi nous n’est pas de la « génération FRANCHIMONT » ? Cet homme qui a eu la charge de nous enseigner la procédure pénale à l’Université de Liège. Son parcours académique fut impressionnant. Il a été assistant, chargé de cours, ensuite professeur depuis 1982. Et quelle que soit la résonnance que peut avoir le jargon académique qui m’est inconnu (professeur ordinaire ou extraordinaire), sur notre affection pour ce formateur hors pair, Maître FRANCHIMONT était pour nous un professeur extraordinaire, mais qui en a douté ? Il était en effet extraordinaire qu’un cours de droit – et pas n’importe lequel - fut donné par un avocat qui pratiquait la matière, les mains dans le cambouis. Pour mes contemporains, en ces 5 années d’Alma Mater, il fut le seul avocat à nous donner cours ! Michel FRANCHIMONT ne formait pas que d’éminents jurisconsultes, son enseignement - loin de n’être que théorique - nous plongeait, grâce à son expérience, du haut de nos 20 ans, dans l’humanité douloureuse de la justice. Nous apprenions que la loi des hommes, rendue par les hommes, s’incarnait dans la chair du justiciable, broyée ou libérée par une machinerie judiciaire qu’il apparaissait au professeur-praticien inacceptable de ne pas réformer et de réformer encore, pour que cette justice soit rendue sans indignité pour celui qui est condamné, dans l’équilibre de ses droits avec la partie préjudiciée, enfin respectée. Et dans cette mécanique judiciaire, il y avait la description du rôle de l’avocat, la pierre maîtresse de l’édifice, selon lui, celui qu’étymologiquement on appelle au secours : « Ad vocatus ». Par son enseignement, nous sommes entrés au barreau avec la connaissance du sens profond de la mission de l’avocat et déjà la passion de vouloir l’exercer. Et permettez-moi ici une anecdote personnelle : nous sommes place du XX Août, au printemps de l’année 80. J’ai représenté les étudiants au Conseil de la Faculté de Droit qui se termine. Maître FRANCHIMONT sait que je cherche un patron de stage. Il vient vers moi et me glisse alors à l’oreille le nom d’un jeune et prometteur avocat que je ferais bien de contacter. Le 2 septembre 1980, Maître André Lamalle me présentait au serment de l’avocat et 35 ans plus tard, nous travaillons toujours ensemble. Ce coup de pouce, qui a orienté la direction d’une vie entière, c’est aussi à des centaines d’entre nous qu’il l’a généreusement donné et à de nombreuses reprises, nous avons été des centaines à lui faire part de notre profonde reconnaissance. C’est cela aussi la génération FRANCHIMONT, une attention particulière pour tous, son nom inscrit dans nos destins. La première fois que l’on rencontrait Maître FRANCHIMONT, on était impressionné par la puissance de son rayonnement intellectuel. En raison de cette autorité naturelle, il personnifiait la procédure et le droit pénal au point de donner son nom à ses réformes, selon la taille de celles-ci, le « petit » ou le « grand » FRANCHIMONT. Me Michel FRANCHIMONT fut aussi un grand commis de l’Etat honoré par notre Roi. Mais passée cette fugace première impression qui aurait pu être écrasante, on était envahi, que dire envouté, par son infinie gentillesse et son attention passionnée pour les autres d’une sincérité confondante. C’est évidemment par ces qualités qu’il nous apprenait à tirer le meilleur de nous-mêmes et qu’il rendait à ses clients foi et confiance en son action, en la justice, fondations de ses innombrables succès judiciaires. A la barre, pour un jeune avocat rencontrer Monsieur le Bâtonnier FRANCHIMONT c’était donc partir avec deux handicaps qui nous mettaient à distance : celui de la science du droit, inaccessible, et celle de l’expérience de sa pratique, irremplaçable. Et lorsqu’avec un regard un peu triste, lunettes en main, attirant toute la lumière du prétoire sur lui, feignant de ne s’adresser qu’à vous, mais assez fort pour que le tribunal entende, il déclarait astucieusement : « Mon cher Confrère, votre thèse, je n’y crois pas, je n’y crois pas du tout », alors vous saviez que vous deviez nourrir quelques inquiétudes quant au sort de votre dossier ! Attardons-nous quelques instants sur cette carrière exceptionnelle au barreau. Tout d’abord quelle génération d’or, celle de l’année 1953 de la Faculté de Droit de Liège ! Dans cette promotion, avec lui, Madame Marguerite Charlier, Monsieur Léon Giet, Monsieur Jean Defraigne, Monsieur Edouard Vieujean, Monsieur le Bâtonnier Roger Rasir, Maître Jean Laguesse. Licencié en Criminologie en 1956, Monsieur le Bâtonnier FRANCHIMONT choisit pour patron de stage le Bâtonnier Paul Tschoffen, Ministre d’Etat. Devenu ensuite collaborateur de Jean Van Den Bossche, il fut élu orateur de rentrée judiciaire 1967-1968. Il consacra son discours à une réflexion prospective sur le droit et la justice. Président de la Conférence Libre du Jeune Barreau, il fut membre du conseil de l’Ordre à de nombreuses reprises, vice-bâtonnier en 1986-87, bâtonnier de 1987 à 1989 et choisi comme ancien bâtonnier par Madame le Bâtonnier Françoise Collard puis Monsieur le Bâtonnier Didier Matray. Maître Michel FRANCHIMONT fut un exceptionnel bâtonnier. J’ai relu son discours du 17 avril 1989, tenu lors de l’inauguration des nouveaux locaux du BCD, ancêtre du BAJ. J’ai relu ce texte en ayant en mémoire le plan justice du Ministre de la Justice actuel, notre confrère Koen Geens. Ce discours est l’un des plus beaux textes qu’il me fut donné de lire au sujet de l’accès à la justice des plus défavorisés. Michel FRANCHIMONT s’adressait au Ministre de l’époque en ces termes : « La situation actuelle est devenue intenable. [….] La tâche que l’on fait supporter aux jeunes avocats pour des rétributions illusoires est proprement indéfendable, sur le plan de la justice, de l’équité, du droit national et international ». Il poursuivait ainsi : « alors je crois qu’il n’est pas déraisonnable de demander que l’enveloppe pour l’assistance judiciaire soit portée à un milliard de francs. Même ainsi nous serons très en-deçà de ce qui existe dans les pays voisins ». Le Ministre de l’époque croyait nous faire plaisir en nous annonçant qu’il était porteur d’un chèque de 200 millions d’anciens francs ! Tout change, rien ne change. En 2015, la situation de l’accès à la justice est pire encore et le financement de l’aide juridique pose toujours d’énormes problèmes. A cette époque, en 1987, figurait déjà la tentation d’externaliser une partie du contentieux en dehors du cercle de la justice, par souci d’économie. Aujourd’hui, en 2015, cette tentation est en phase d’exécution. Monsieur le Bâtonnier FRANCHIMONT, de manière prémonitoire avait eu ces mots définitifs de grand plaideur : « Tout homme qui vit un conflit juridique doit avoir la possibilité d’accès à un juge. Ceci exclut, à notre point de vue, les tentatives d’évacuer une partie du contentieux vers des commissions plus ou moins juridictionnelles. Que penserait-on d’un directeur d’hôpital, dont les lits étant occupés, qui enverrait ses malades chez les rebouteux ? » Tout change, rien ne change… Monsieur le Bâtonnier FRANCHIMONT nous laisse une vision de l’avocat et une vision de la justice qui est moderne et intemporelle en ce qu’elle fait passer l’homme avant l’argent, la rentabilité, les coûts. Que notre génération s’imprègne de ses valeurs humanistes, de son énergie et tente de s’approcher de son talent pour reprendre le combat pour une société et une justice plus humaines, plus dignes, submergeant cet économisme qui nous réduit à un plan comptable. Monsieur le Bâtonnier FRANCHIMONT, vous êtes un passeur de lumière et vous vivrez éternellement en nous ! Une montagne veille sur la vallée.