Lettre 2013 n°9 - Rentrée de la Cour d'appel de Liège

Discours

 width=Discours prononcé lors de la séance solennelle de rentrée de la Cour d'appel de Liège le 2 septembre 2013

Monsieur le Premier Président,

Au nom du Barreau de Liège et de tous les Barreaux du ressort de votre Cour, permettez-moi de vous remercier, comme l’ont fait mes prédécesseurs, de donner au Barreau, par une heureuse tradition, une liberté de parole lui permettant d’exprimer ses préoccupations et propositions sur l’administration de la Justice sur la base des valeurs qui fondent le serment de l’avocat et dans l’intérêt du justiciable. Cet usage est la marque du respect mutuel que la Magistrature et le Barreau se vouent, chacun  dans son rôle d’acteur de justice. Ce respect mutuel constitue la garantie de notre indépendance réciproque. Ce respect mutuel autorise de précieuses collaborations au bénéfice de l’intérêt général et du service que nous rendons au justiciable. C’est ce « vouloir ensemble » qui a permis la réalisation de projets ambitieux, tels que la bibliothèque « Jacques Henry » que nous partageons dans les nouveaux bâtiments de l’aile sud. Nous voulons vous remercier pour le travail intense et l’énergie que vous avez déployés pour que l’œuvre titanesque de déménagement puisse se réaliser au profit de tous les utilisateurs du Palais, avec le minimum de désagréments. Nous avons conscience de la charge que constitue la gestion au quotidien de tels bâtiments, la gestion de toutes les ressources humaines qui travaillent à l’œuvre de justice, alors que nombreux sont les magistrats qui dénoncent les moyens parcimonieux qui leur sont alloués et qui ne permettent en définitive que de gérer la pénurie. Notre société vit son besoin criant et croissant de justice comme une douleur fantôme et plus que jamais, le Service public de la Justice mérite son malheureux titre de parent pauvre du budget de l’Etat fédéral. Je regarde cette salle prestigieuse où nous sommes comme une métaphore de l’état du désinvestissement dans le service public de la justice, au mur l’image d’un passé glorieux, sévère et parfaitement désuet, au-dessus de nous un filet anxiogène nous protège de l’affaissement définitif du plafond qui se délabre, est-ce l’image de l’avenir ?

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Madame la Ministre de la Justice, De balie verheugt zich en wordt vereerd U te mogen ontvangen bij deze plechtige zitting van het Hof van Beroep te LUIK. Hij heet U welkom bij de grootste Balie van Wallonië. Monsieur le vice-premier Ministre, Le barreau salue votre présence qui nous honore.  Vous êtes un peu, sinon beaucoup, chez vous.  Oserais-je dire que vous jouez à domicile. Monsieur le Procureur général, Mesdames et Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Conseillers, Mesdames et Messieurs les Avocats généraux et Substituts du Procureur général, Mesdames et Messieurs les Greffiers, Mesdames et Messieurs en vos titres et qualités, Mes chers Confrères, Mon premier geste de Bâtonnier entrant en fonction a été de fermer et de cadenasser la grille du Bureau d’Aide juridique.  J’ai posé ce geste par nécessité et sans m’en réjouir. Le 23 juillet 2013, l’Assemblée générale d’Avocats.be a décidé d’une grève totale de l’aide juridique de seconde ligne durant la première semaine de septembre, soit entre les lundi 2 et vendredi 6 septembre 2013. Cette décision fait suite au préavis de grève qui a été adressée à Madame la Ministre de la Justice le 6 juin dernier, lequel est resté sans réponse satisfaisante à ce jour. La grève, et en particulier sa charge symbolique, n’est pas dans la culture du Barreau, qui, par tradition, a toujours assumé sa mission d’assister les plus défavorisés, avec dévouement, générosité et indépendance, en toutes circonstances. En raison de cette grève, aucune désignation ne sera dès lors opérée pendant la première semaine du mois de septembre 2013 en toutes matières en ce compris celles où la loi prévoit la présence obligatoire de l’avocat et d’où que vienne la demande. L’écho de notre légitime combat et de ses inévitables blocages et désagréments qu’ils génèrent sont-ils parvenus jusqu’à l’oreille de notre gouvernement ? Madame la Ministre, votre présence parmi nous est un signe d’ouverture, et pour tout dire d’espoir. Le Bureau d’aide juridique du plus grand barreau de Wallonie, que je vous propose de visiter après cette cérémonie, j’ai la clé du cadenas dans ma poche, est performant et professionnel, et comme tous les autres, mais plus encore en raison de la tradition de notre barreau , il est investi avec une particulière conviction et engagement sans faille dans sa mission de service public essentiel, garanti par la Constitution et qui permet d’offrir aux plus démunis, économiquement et socialement, le bénéfice de l’assistance d’un avocat. Nous croyons fermement dans ce service public que nous voulons sauver et dont nous craignons la disparition. Madame la Ministre, Mesdames et messieurs les magistrats, soyez convaincus que nous ne sommes pas pris par un accès subit de sédition ou de rébellion, mais j’ai la charge d’exprimer ce jour notre profond mécontentement après 17 mois de discussions infructueuses. Durant cette longue et épuisante période d’incertitude, les Barreaux communautaires vous ont sollicité, vous ont rencontré, ont travaillé avec vos collaborateurs pour faire progresser  la réflexion au sein d’un groupe de travail. Des propositions, des suggestions vous ont été faites dont l’objectif était de garantir de manière pérenne le financement de l’aide juridique. Aucune de ces suggestions et propositions n’étaient rencontrées par le projet approuvé par le gouvernement, dont les trois mesures phares étaient d’instaurer un ticket modérateur perçu par les ordres et sensés payer les dettes du passés, l’obligation pour les stagiaires d’être désignés gratuitement dans cinq dossiers, et l’instauration d’un label pro bono. Début juillet vous avez rencontré, les deux présidents des ordres communautaires. Le 7 août vous receviez à nouveau d’AVOCATS.BE
  • les propositions formulées le 24 juin 2012  par AVOCATS.BE pour refinancer l'aide juridique ;
  • les propositions formulées par l'O.V.B. et AVOCATS.BE en matière de financement de l'aide juridique ;
  • la note d'observation d'AVOCATS.BE  à propos de l'avant-projet de loi modifiant le code judiciaire ;
  • la note relative à l'évolution du budget de l'aide juridique et les résultats
  • des contrôles internes pour 2011-2012.
Mesdames et Messieurs les magistrats, Notre Ordre Communautaire s’exprimait ce 28 août par la voie de Monsieur le Bâtonnier Patrick Henry comme suit « Qu’on nous permette une seule remarque : Notre proposition la plus porteuse était la majoration des droits de mise au rôle, comme cela se pratique en France. Le gouvernement l’a rejetée parce qu’il s’agirait d’un impôt complémentaire, impensable alors que les belges sont déjà fortement imposés. Ce même scrupule n’a pourtant nullement empêché le gouvernement  d’assujettir les avocats à la TVA. Et cet impôt, sans commune mesure avec la majoration de droit de mise au rôle, porte, pour le coup, une atteinte considérable à l’accès à la justice. Et il est tout de même surprenant qu’on n’ait pas prévu, en contrepartie des millions d’euros que rapportera la TVA payée par l’intermédiaire des avocats, d’augmenter quelque peu le budget de l’aide juridique. De refinancement pérenne de l’aide juridique, il n’en est pas question à ce jour. A l’heure où je vous parle, le point reste fixé à 24,26 € contre 26,91 € pour les deux dernières années, alors que, par le seul effet de l’indexation, la valeur du point devrait s’élever à 28,03 €. Le budget prévu pour l’aide juridique en 2013 est inférieur au budget de 2012 et porte sur un montant de 76.677.000 €, et comprend l’indemnisation des prestations d’avocat effectuées dans le cadre de la loi Salduz, ce qui n’était pas le cas en 2012. Si le budget 2013 est celui qui sera reconduit en 2014, il sera probablement alors assujetti à la TVA et devrait donc approcher les 92.777.170 €. Si l’effort budgétaire consacré à la taxation des indemnités de l’aide juridique à la TVA était consacré à son refinancement, le point s’élèverait à une somme jamais atteinte de 29,35 €. Je le proclame avec force et insistance : le premier enjeu du combat du Barreau est de garantir l’accès à la justice par l’aide juridique, et non de satisfaire un égoïsme corporatiste.  Imaginer que le Barreau s’octroie un confort financier par l’aide juridique est, selon le cas, une chimère ou une galéjade. Toutes les études le démontrent. Il y a une autre légende urbaine qu’il faut faire taire. L’augmentation du budget de l’aide juridique ne résulte nullement d’abus qui pourraient être imputés à ceux qui en sont bénéficiaires ou à leur avocat.  Une simple analyse des statistiques le démontre. Elle est une conséquence directe de choix politiques adoptés par les gouvernements successifs. S’il y a aujourd’hui plus de  prestations à défrayer, c’est parce qu’il y a plus de dossiers en raison de choix politiques et que la pauvreté a augmenté. Lorsqu’il a été question en 1997 de la réforme de l’aide légale, la proposition de loi déposée le 7 juillet 1997 sur le bureau de la Chambre, qui reprenait d’ailleurs une proposition déjà déposée en 1991 par Mme ONKELINX notamment, soulignait que « (…) sans remettre en cause le dévouement de la majorité des stagiaires, il faut constater que les avocats des pauvres manquent d’expérience, d’infrastructures, quand eux-mêmes ne manquent pas de moyens (…). Les plus démunis (sont) défendus par les plus pauvres en expérience (…). » La loi du 23 novembre 1998 relative à l’aide juridique pris en exécution de l’article 23 de la Constitution, révisé le 17 février 1994, en son article 1er, qui proclamait que chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine portait donc haut cette exigence fondamentale de qualité dans les services rendus au justiciable. Dans son arrêt CIPOLLA du 5 décembre 2006 la Cour de Justice des Communautés européennes s’est légitimement inquiétée de ce qu’un honoraire au rabais pourrait entraîner une détérioration de la qualité des services fournis – et ce, au détriment des justiciables ayant besoin de conseils de qualité devant la justice. C’est bien cette question que pose la crise de l’aide juridique.  On ne peut, sans fin, pousser le dévouement jusqu’à la perte financière sans porter atteinte à la qualité du service qui est l’élément fondateur de la loi du 23 novembre 1998 relative à l’aide juridique. Au Barreau de Liège, ce sont 600 avocats qui se sont mobilisés pour l’aide juridique. L’absence de toute solution concrète risque d’avoir des conséquences néfastes sur l’accès à la justice et portera préjudice au justiciable le plus défavorisé, lequel n’accèdera plus à des services de qualité en raison en la démobilisation des Confrères les plus expérimentés. A dater du 1er janvier 2014, les honoraires d’avocats seront assujettis à la TVA. Des conséquences pratiques de l’assujettissement des avocats à la TVA, à l’heure où je m’exprime, nous n’en savons que fort peu. Ce que l’on sait, c’est que l’accès à la justice va coûter plus cher pour les justiciables non assujetti relevant de la classe moyenne et qu’ il y aura une discrimination financière quant à l’accès à la justice entre les premiers et les justiciables assujettis qui pourront déduire l’impôt. Mesdames et Messieurs les magistrats, Le droit à la dignité humaine, l’aide juridique, l’accès à la justice, peuvent-ils être sacrifiés sur l’autel de l’austérité budgétaire. Mesdames et Messieurs les Magistrats, à vous de juger en âme et conscience.

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Les Barreaux du ressort de la Cour et moi-même vous remercions, Monsieur le Premier Président, de votre invitation. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs les Magistrats, de votre attention. Le Bâtonnier de l’Ordre, André RENETTE.