Lettre 2011 n°2 - Rentrée du Barreau

Lettre du bâtonnier

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Madame et Messieurs les anciens Bâtonniers,

Chers Confrères, A l’occasion de la rentrée du barreau de Liège, Me Jean-Pierre Buyle, Bâtonnier de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles, m’a proposé de rédiger l’éditorial de la « Lettre du Barreau » adressée à tous les avocats de son Ordre. Vous en trouverez le texte ci-après. Confraternellement,

Eric Lemmens,

Bâtonnier de l’Ordre

  « Monsieur le Bâtonnier, Chers Confrères, Le moindre des mérites du bâtonnier de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles n’est pas cette inclination permanente à l’ouverture ou à la nouveauté. Ainsi veut-il sans doute donner une chance à la lumière de jaillir du choc des idées, et c’est tant mieux. Le barreau de Liège, comme celui de Bruxelles, a fêté ses deux siècles d’existence en cette année 2011, il sera à la fête ce 18 novembre à l’occasion de la rentrée solennelle de la Conférence Libre du Jeune barreau. Et voilà l’occasion qui m’est offerte de m’adresser à vous, chers confrères francophones de Bruxelles, chers confrères si proches, pour vous entretenir de deux questions qui préoccupent légitimement les avocats. Les permanences Salduz sont évidemment l’une d’elles, et en cette fin d’année sans doute la plus importante. A la différence du conseil de l’Ordre de Bruxelles, le conseil de l’Ordre de Liège a décidé le 8 novembre, à l’unanimité moins une abstention, de reprendre les permanences dès ce 21 novembre, et de les assumer sans doute dans le cadre de la nouvelle loi à partir du 1er janvier prochain. Certes, tant la loi du 13 août 2011 que l’organisation des permanences elles-mêmes, dans la perspective plus générale du statut et des moyens de l’aide juridique de deuxième ligne, posent des questions essentielles. C’est ainsi que, comme je l’écrivais dans la lettre du bâtonnier adressée à tous les avocats liégeois le 9 novembre dernier, si les négociations entre le président de l’OBFG, Maître Robert de Baerdemaeker, son administratrice, Maître Carine Vander Stock, et le Ministre de la justice ont engendré des avancées importantes, ces négociations doivent se poursuivre aussi bien en ce qui concerne la présomption d’indigence qu’en ce qui concerne la valorisation des prestations après le 1er janvier 2012, avec pour corollaire la valeur du point. Elles n’ont pas trouvé leur terme. Certes encore, la loi elle-même pose-t-elle des questions tout à fait sérieuses sur sa conformité aux exigences posées par la Cour européenne des Droits de l’Homme dans l’arrêt Salduz et ceux qui l’ont suivi. Ces questions et les exigences qui restent en suspens, il nous appartiendra de les poser dans l’exercice libre et exigeant de notre métier d’avocat, et il appartiendra aux juges nationaux ou supranationaux, d’y apporter les réponses qui conviennent. Certes enfin, l’aide légale est-elle sous financée, et les redressements opérés par l’administration fiscale en suite de l’arrêt prononcé par la Cour de cassation le 23 avril 2010 aggravent-ils encore l’insuffisance de la rémunération accordée aux avocats dans ce cadre. Ce combat-là doit se poursuivre, mais il pose des questions beaucoup plus larges que les seules questions qui résultent de la mise en œuvre de la loi du 13 août 2011 et de la jurisprudence Salduz. Faut-il prendre prétexte des négociations Salduz pour en élargir le champ à toute l’aide juridique, au préjudice des citoyens directement visés par la loi du 13 août 2011 ? A la différence du conseil de l’Ordre de Bruxelles, le conseil de l’Ordre de Liège – après en avoir très longuement débattu lui aussi – a estimé que non. Il n’est pas pour autant sourd aux légitimes préoccupations des avocats, qu’il continuera de défendre et de soutenir pied à pied à l’occasion des débats et des combats à venir. La reprise des permanences est en effet décidée sans préjudice de la poursuite des discussions avec le Ministre de la justice et le gouvernement fédéral pour ce qui concerne les budgets de 2012 alloués à l’aide juridique, qu’il s’agisse des prestations Salduz proprement dites ou des autres prestations indemnisées dans le cadre de l’aide juridique de deuxième ligne particulier. Les discussions relatives à ces questions se poursuivront, mais il a, en toute hypothèse, paru essentiel au conseil de l’Ordre de Liège de donner au Ministre de la justice et au gouvernement un signal positif de la part du barreau au regard des avancées obtenues et des engagements pris par nos interlocuteurs. Il nous a d’autre part paru déraisonnable d’envisager aujourd’hui le maintien de la grève des permanences « Salduz » aux fins d’obtenir une revalorisation de l’aide légale dans son ensemble là où – certes – cette aide légale est notoirement et évidemment insuffisante à ce jour, mais là où aussi la crise économique actuelle conduit les divers gouvernements à devoir réaliser des économies budgétaires de l’ordre de 11 milliards, en sorte que bon nombre de citoyens vont devoir par ailleurs subir ces réductions et accepter des sacrifices qu’il ne faut pas négliger. Le conseil de l’Ordre de Liège a estimé, et tel est aussi très clairement mon avis, que maintenir une grève pour obtenir une revalorisation de l’aide légale dans ce contexte était une démarche contre-productive, dans la mesure où, d’une part, elle a bien peu de chance d’aboutir à un résultat à l’heure qu’il est et sans préjuger de l’avenir, et où, d’autre part, le message global qui serait dirigé vers la population dans cette hypothèse ne serait, à notre estime, pas de nature à participer à la bonne image du barreau dans la cité. Une toute autre question retient, elle aussi, l’attention des avocats, des Ordres et de l’OBFG : celle du démarchage en suite de l’arrêt rendu le 5 avril 2011 par la Cour de Justice de l’Union européenne dans l’affaire C119/09. Pour le dire en quelques mots, la Cour a considéré que l’interdiction totale du démarchage faite par la loi aux experts comptables français était contraire au droit de l’Union. Les débats que nous menons au sein de l’OBFG recèlent des différences d’approche fondamentales entre les Ordres de Bruxelles et de Liège en particulier. Si l’Ordre de Bruxelles est favorable à une autorisation réglementée du démarchage au sein de notre profession, pour des raisons d’ordre politique sans doute, mais aussi estimant notamment que l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne ne laisse pas de choix aux Etats membres ou aux Ordres, l’Ordre de Liège estime quant à lui, pour des raisons politiques sous-tendues là-aussi par une analyse des conséquences juridiques de l’arrêt, que cette jurisprudence ne s’applique pas nécessairement aux avocats, et qu’au contraire, il y a lieu de mener un combat juridique et politique à l’encontre de la marchandisation de notre profession. Les avocats sont, à notre estime, les gardiens de l’Etat de droit, de nos valeurs démocratiques, de nos libertés. Ils ne sont pas et ne doivent pas être des marchands et les marchands ne sont pas les gardiens de ces valeurs-là. Le débat doit, du reste, se nouer au sein de nos institutions européennes d’abord, plutôt qu’au sein de nos institutions communautaires. Aujourd’hui, la Belgique francophone, la France, le Danemark, la Grèce, le Luxembourg, la Pologne (en ce qui concerne les avocats au sens strict), le Portugal et la Suisse interdisent totalement le démarchage. Il est en outre partiellement interdit ou interdit de fait en Tchéquie, en Slovaquie et en Suède. Ne faut-il pas voir là un socle de culture commune à nombre de pays, qui reposerait en réalité sur les raisons impérieuses d’intérêt général que sont la bonne administration de la justice, la protection du consommateur et la nécessaire indépendance de l’avocat, tant à l’égard de son client, qu’à l’&e acute;gard des pouvoirs et des institutions ? Telle est l’approche que je privilégie. Les débats seront encore longs et riches. En effet, la thèse contraire, soutenue en particulier par le bâtonnier et le conseil de l’Ordre de Bruxelles repose elle aussi sur une argumentation qui mérite toute notre attention. Les contingences et les préoccupations du barreau d’une ville capitale, comptant pas moins de 4.000 avocats, ne sont pas en tout point les mêmes que les nôtres. Nous y sommes attentifs, et le grand mérite de l’OBFG et de son président, Maître Robert de Baerdemaeker, est précisément de permettre que s’y nouent des débats riches, quelquefois clivés, mais où chacun respecte l’autre dans son argumentation et dans ses préoccupations. Nous avons besoin de cette structure commune, comme nous avons besoin d’entretenir le dialogue avec nos confrères et les barreaux flamands. C’est que, volens nolens, nous partageons une culture et des convictions que nous avons tout intérêt à défendre ensemble et unis face aux autorités politiques si nous voulons, demain, être encore entendus et conserver à notre parole le poids et l’autorité que celle-ci requiert dans un état démocratique au profit de chaque citoyen. Voilà, chers confrères, quelques mots destinés à nourrir le débat. Je tiens à remercier Maître Jean-Pierre Buyle, votre bâtonnier, pour l’invitation exceptionnelle qu’il m’a faite l’espace d’un éditorial. Je lui rends la plume, je sais qu’il en fera bon usage, et que nous nous parlerons encore longtemps. Confraternellement »