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Les indemnités de remploi au funding loss sont-elles contestables ?
Maître Ludovic Marnette, avocat au barreau de Liège
En cas de remboursement d’un crédit souscrit avant 2014 ou d’un crédit d’un montant supérieur à 2.000.000 € souscrit après 2014, les banques exigent régulièrement d’importantes indemnités de remploi également appelées «funding loss». Différentes décisions de jurisprudence confirment que ces indemnités peuvent être revues à la baisse.
A l’heure où les taux d’intérêt sont historiquement bas, de nombreux entrepreneurs souhaitent refinancer leur crédit afin de bénéficier de taux d’intérêt plus attractifs.
Résistance des banques
Les banques voient souvent d’un mauvais œil cette volonté car cela les contraint à subir une réduction de leurs bénéfices en ce qu’elles ne pourront pas encaisser la totalité des intérêts prévus lors de la souscription du contrat de crédit. Lors d’un remboursement anticipé, deux cas de figure peuvent se produire :
- soit le contrat de crédit signé avec la banque prévoit la possibilité de rembourser anticipativement le crédit moyennant une indemnité;
- soit le contrat de crédit refuse cette possibilité.
Afin de connaître les possibilités de réaction de l’entrepreneur, il convient tout d’abord de rappeler que la situation des crédits octroyés après le 1er janvier 2014 est fondamentalement différente de celle des crédits octroyés avant cette date.
En effet, la loi du 21 décembre 2013 intitulé « loi relative à diverses dispositions concernant le financement des petites et moyennes entreprises » dispose d’un article neuf indiquant que « l’entreprise a le droit de rembourser en tout ou en partie à tout moment le solde du capital restant dû par anticipation, sans que ce droit puisse être subordonné à l’accomplissement de conditions supplémentaires, à l’exception de l’indemnité de remploi telle que définie au paragraphe 2 ».
Crédits ne dépassant pas 2 millions €
Ce paragraphe 2 indique quant à lui que l’indemnité de remploi doit être calculée conformément à l’article 1907bis du Code civil pour les crédits ne dépassant pas 2.000.000 €.
En conséquence, si un emprunteur (agissant dans le cadre de son activité professionnelle) entend rembourser un crédit souscrit avant 2014 ou après 2014 et dépassant 2.000.000 €, il devra vérifier avant toute chose si le contrat signé lui octroie le droit ou non de rembourser anticipativement ledit crédit.
Si ce droit ne lui est pas attribué, il lui sera très difficile de contester la position de la banque en ce que, conformément à l’article 1134 du Code civil, le contrat a force de loi entre les parties et donc si celui-ci ne prévoit pas la possibilité de rembourser anticipativement, l’emprunteur ne sera pas en mesure d’imposer le remboursement à sa banque.
Par contre, si cette faculté est réservée à l’emprunteur, dans de nombreux cas (et pour autant que les crédits ne soient pas souscrits après le 1er janvier 2014), la question de la valorisation de l’indemnité de remploi va indubitablement se poser car les banques considèrent, à juste titre, qu’elles réalisent une perte en raison du remboursement anticipé.
De nombreux litiges ont déjà eu lieu sur la question de la limitation de l’indemnité de remploi.
Les emprunteurs invoquent l’article 1907bis du Code civil qui prévoit une limitation de l’indemnité de six mois d’intérêt pour les prêts, tandis que les banques avancent régulièrement que les avances financières prennent la forme d’un crédit et non d’un prêt si bien que cet article 1907 bis ne peut trouver à s’appliquer.
Le prêt se réfère à une transaction financière où une entité financière prête un montant fixe d’argent à un emprunteur, tandis que le crédit se caractérise par la mise à disposition de sommes d’argent pouvant être remises en plusieurs fois et donc pas une liberté d’utilisation.
Plusieurs décisions de jurisprudence ont été rendues dans des conflits opposant les banques aux emprunteurs mécontents et il se dégage au sud du pays une jurisprudence favorable aux emprunteurs.
En effet, les Cours d’appel de Liège et de Mons (suivies des différents Tribunaux de leurs arrondissements) acceptent de passer outre la qualification de crédit et de requalifier une avance financière en prêt lorsque différents critères sont rencontrés dont notamment :
- une période de prélèvement assez brève;
- un objectif spécifique assigné au crédit tel que par exemple l’acquisition d’un immeuble : dans ce cas, la libre disposition des montants prêtés est inexistante si bien que la qualification de crédit est superflue;
- la libération en une seule fois de l’avance financière.
Lorsque ces caractéristiques sont rencontrées, les Cours et Tribunaux auront tendance à accepter une requalification du crédit en prêt impliquant une limitation de l’indemnité de remploi à 6 mois d’intérêt.
La position de la Cour d’appel de BRUXELLES est moins claire sur cette requalification. Cependant, eu égard à l’arriéré judiciaire de cette juridiction, cette juridiction pourrait emboîter le pas aux Cours d’appel de Liège et de Mons lorsqu’elle sera en mesure de tenir compte des dernières évolutions jurisprudentielles.
Dès lors, tout emprunteur professionnel qui ne rentre pas dans le cadre de la loi sur le financement des PME devra se poser la double question suivante :
- le contrat de crédit souscrit autorise-t-il le remboursement anticipé ? ;
- Si le remboursement anticipé est autorisé, est-on dans un cas où une requalification du crédit en prêt est envisageable en raison des caractéristiques intrinsèques du crédit (impossibilité de décider de la destination des fonds, période de prélèvement limitée, remise des sommes en une seule fois) ?