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Le temps de pause est-il du temps de travail ?
Me J. Nossent, avocate au Barreau de Liège-Huy
Le temps de pause d’un travailleur lors duquel il ne lui est pas possible de disposer librement de son temps devra être requalifié de temps de travail. Il est cependant possible de convenir d’une rémunération différenciée pour cette période.
La directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail définit la notion de temps de travail comme étant toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales.
La notion de temps de travail au regard de la jurisprudence de la CJUE
Différents cas d’espèce ont été soumis à l’appréciation de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), produisant des enseignements influant directement sur la jurisprudence interne des Etats membres.
Ainsi, un pompier qui doit porter, pendant son temps de pause, un émetteur l’avertissant d’une intervention endéans les deux minutes, doit être considéré à la disposition de son employeur et le temps de pause ainsi modalisé constitue du temps de travail et doit être rémunéré (CJUE, 9 septembre 2021, aff. C-107/19).
La question s’est également posée lors des temps de garde, le cas échéant à domicile (CJUE, 9 mars 2021, aff. C-344/19 ; CJUE, 9 mars 2021, aff. C-580/19).
Critères et sous-critères
La CJUE avance un critère d’évaluation principal pour la détermination du temps de travail, à savoir la possibilité pour le travailleur de disposer librement de son temps et la possibilité de se consacrer à d’autres activités.
La Cour énonce également deux sous-critères spécifiques :
- la fréquence et la durée moyenne des interventions effectives ;
- le délai de réaction dont dispose le travailleur pour débuter l’intervention.
Concernant ce dernier sous-critère, la Cour précise que ce délai de réaction doit être examiné in concreto, au regard des contraintes et obligations imposées au travailleur (par exemple l’obligation de demeurer à son domicile, l’obligation d’être muni d’un équipement spécifique, la mise à disposition d’un véhicule de service équipé d’une sirène, la faculté d’intervenir à distance, à partir de l’endroit où il se trouve).
La possibilité de se consacrer à ses propres activités et intérêts apparaît donc comme le critère principal et déterminant, que ce soit en matière de services de garde à domicile ou de déplacements domicile-clientèle.
La jurisprudence belge fait siens ces critères. Ainsi, la Cour du travail de Bruxelles a examiné le cas d’un pompier durant des périodes d’astreinte lors desquelles il doit se trouver en permanence à une distance du casernement telle que le délai de déplacement nécessaire pour le rejoindre n'excède pas 8 minutes maximum, faire preuve d'une vigilance particulière de manière à être en mesure de recevoir tout appel et prendre immédiatement le départ en cas de rappel.
Contraintes fortes
Ces obligations imposent des contraintes fortes d'un point de vue géographique et temporel, limitant les possibilités du pompier volontaire de se consacrer à ses intérêts personnels et sociaux. Ainsi ne peut-il pas, pendant la période d'astreinte, se rendre dans un lieu distant de plus de quelques kilomètres de la caserne, et doit-il disposer à tout moment d'un véhicule et de son équipement :
- il ne peut être occupé à une activité qu'il ne serait pas en mesure d'interrompre à tout instant, ce qui lui interdit la plupart des activités professionnelles et bon nombre d'activités privées (par exemple pratiquer un sport ou s'occuper seul de jeunes enfants);
- il ne peut en outre pas consommer de boisson alcoolisée au-delà du taux d'alcoolémie légal. Cette période d’astreinte doit donc être considérée comme du temps de travail (C.T. Bruxelles, 20 janvier 2020, RG 2012/AB/592, juportal.be).
Enfin, quant au traitement salarial, la CJUE a considéré, dans plusieurs décisions, que des prestations effectives réduites pouvaient justifier l’application d’une rémunération différenciée (CJUE, 1er décembre 2005, aff. C-14/04 ; CJUE, 9 mars 2021, aff. C-344/19 ; CJUE, 9 mars 2021, aff. C-580/19).
Dans ces hypothèses, la Cour de justice a néanmoins précisé que cette question ne relevait pas du droit européen et qu’il appartenait par conséquent au législateur national de légiférer sur la matière.
En Belgique, la Cour de cassation a confirmé un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles décidant que si le temps de garde doit être considéré comme du temps de travail, la période d’astreinte peut être rémunérée différemment du temps de travail. Ainsi l’allocation différenciée octroyée pour la garde à domicile est justifiée (Cass., 15 novembre 2021, S.20.0092.F, juportal.be).
Un temps de pause ou un temps de garde, lors duquel le travailleur est au travail, à son domicile ou en un autre lieu, doit être qualifié de temps de travail lorsque l’employeur impose des contraintes qui limitent d’une manière objective et très significative la liberté du travailleur pendant cette période. Cette qualification de temps de travail n’empêche cependant pas qu’une indemnité différenciée soit établie pour rémunérer ces périodes.