Le nouveau livre 6 du code civil : la fin de la quasi-immunité des travailleurs face aux tiers

Droit de l'entreprise

C Assaf, avocate au Barreau de Liège-Huy

 
Le 1er janvier 2025, le nouveau Livre 6 du Code civil est entré en vigueur, entraînant des modifications significatives en matière de responsabilité extracontractuelle. Si la responsabilité des commettants reste globalement inchangée – l’employeur demeurant responsable du fait de ses travailleurs –, c’est la situation des travailleurs eux-mêmes qui évolue profondément.

Jusqu’à présent, en vertu de l’arrêt bien connu de l’arrimeur (Cass., 7 décembre 1973), les auxiliaires bénéficiaient d’une quasi-immunité en matière de responsabilité extracontractuelle. Un tiers lésé ne pouvait pas agir directement contre un travailleur pour une faute commise par ce dernier dans l’exercice de ses fonctions, sauf exceptions limitées : en cas d’infraction pénale ou en cas de dommage extracontractuel (c’est-à-dire lorsque le dommage ne résultait pas d’une mauvaise exécution du contrat).

Cette immunité disparaît désormais, avec l’introduction de l’article 6.3 du nouveau Code civil, qui autorise une action directe du tiers contre le travailleur.


Un risque accru pour les travailleurs ?

Désormais, un travailleur pourrait être tenu personnellement responsable des dommages causés à un tiers, c'est-à-dire au cocontractant de son employeur (le créancier principal), dans le cadre de l’exécution du contrat conclu entre ce dernier et l’employeur. Ce créancier aura désormais le choix d’engager une action en responsabilité civile contre l’employeur (commettant) ou directement contre le travailleur (auxiliaire).

Face à cette nouvelle exposition, les travailleurs pourront néanmoins invoquer trois types de moyen de défense, issus des deux relations contractuelles en cause :

  • les clauses des deux contrats (principalement du contrat principal entre le créancier et l’employeur, telles que des clauses d’exclusion de responsabilité ou de plafonnement des indemnités) ;
  • les règles protectrices des contrats spéciaux ;
  • les délais de prescription spécifiques.

Le législateur a néanmoins prévu « des exceptions aux exceptions », en excluant la possibilité pour le travailleur de faire valoir les moyens de défense précités en cas (1) d’atteinte physique ou psychique causée au tiers, et (2) de faute intentionnelle du travailleur.

Cette réforme soulève plusieurs interrogations majeures en droit du travail, notamment sur la possibilité pour un travailleur d’invoquer l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978 comme moyen de défense pour limiter sa responsabilité, ainsi que sur le sort de l’article 15 de cette même loi, qui prévoit un délai de prescription particulier pour les actions naissant d’un contrat de travail.

Si le législateur prévoit certains garde-fous – notamment en permettant aux contrats de moduler cette nouvelle responsabilité –, les travailleurs et les employeurs doivent dès à présent anticiper ces changements. 

Des ajustements contractuels et assurantiels seront indispensables pour éviter une exposition accrue aux risques contentieux.