Le nouveau droit de la preuve : les modes de preuve en droit civil

Droit de l'entreprise

Maître Benoît Lecarte, avocat au barreau de Liège-Huy

 

La loi du 13 avril 2019 portant création d’un (nouveau) Code civil, publiée au M.B. le 14 mai 2019, est entrée en vigueur le 1er novembre 2020. Elle constitue le nouveau Livre 8 du Code, intitulé “la preuve”. Sauf mention contraire, les numéros des articles reproduits ci-dessous correspondent aux articles du nouveau Code civil. Les règles qui gouvernent l’administration de la preuve sont cruciales : elles désignent la ou les parties qui devront apporter la démonstration que c’est à leur position ou revendication que le juge devra faire droit.

 

Ainsi, la charge de la preuve détermine quelle partie devra apporter cette preuve, et, plus concrètement, quelle partie succombera dans ses allégations si la preuve du fait ou de l’acte qui les fondent n’est pas rapportée.

La charge de la preuve appartient donc à celui qui entend faire valoir une prétention en justice (art. 8.4). Cela étant, les parties sont tenues de collaborer loyalement à l’administration de la preuve. Celui qui détient des informations ou pièces déterminantes ne peut en principe adopter une attitude passive dans l’espoir que ces éléments resteront inconnus du juge.

 

Innovation du nouveau code

De même, et il s’agit d’une innovation du nouveau Code, le juge peut, pour autant qu’il motive spécialement sa décision, faire supporter la charge de la preuve à une partie à laquelle elle n’appartient en principe pas, lorsqu’il n’a pu obtenir de preuve suffisante malgré les mesures d’instructions ordonnées, et que l’application des règles générales régissant la charge de la preuve serait “manifestement déraisonnable” (art. 8.4. al. 6).  

Le mode de preuve représente la manière dont l’existence et les caractéristiques d’un fait ou d’un acte peuvent être démontrées. Le destinataire de cette preuve est le juge, qui sera lié ou non par la preuve rapportée selon sa nature.

L’objet de la preuve est réglé de manière expresse dans la loi : un fait ou un acte juridique. 

Sauf exception, les règles de preuve sont supplétives (art. 8.2). Cela signifie que les parties peuvent déterminer conventionnellement de quelle manière la preuve de tel acte ou fait pourra être rapportée, à moins que la loi ne prévoie des règles obligatoires. 

De même, le principe est celui de la liberté de la preuve (tous les moyens de preuve sont admis), sauf exception légale (art. 8.8).

La règle générale paraît sans réelle surprise : la preuve des faits et actes juridiques doit être apportée (8.3). 

La loi, même étrangère, échappe à cette obligation de démonstration, de même que les faits notoires ou les règles d’expérience commune (art. 8.3). 

Les travaux préparatoires proposent les définitions et les exemples suivants : 

“les faits notoires sont les faits que tout homme normalement informé doit connaitre ou peut découvrir par des sources généralement accessibles, (par exemple, certains faits historiques célèbres, comme la date de fin de la première guerre mondiale). Les règles d’expérience commune sont des faits que toute personne peut expérimenter dans la vie courante (l’eau gèle à 0 °C par exemple). ”

 

Modes de preuve

 

  • Acte juridique: un écrit sinon rien

Les travaux préparatoires rappellent que “la force probante d’un acte sous signature privée implique que la conviction du juge est liée par le contenu de l’acte. Les parties sont naturellement libres de rapporter la preuve contraire. Dans un système de preuve libre, la preuve contraire est possible sans limitation. Dans un système de preuve réglementé, au contraire, la preuve contraire ne peut être rapportée que par un autre acte sous signature privée ou authentique.

La preuve des actes juridiques d’une valeur de plus de 3.500€ doit être rapportée par un écrit. A contrario, si la valeur du contrat n’est pas déterminable, alors la preuve est libre.

De même, et quelle que soit la valeur de la demande, la preuve outre ou contre un écrit signé doit être rapportée par un autre écrit signé. (art. 8.9).

La valeur est déterminée par référence au montant de l’acte juridique qui fonde la demande, et non au montant effectivement réclamé. Une partie qui introduirait une demande de condamnation à la somme de 2.500€ alors que l’acte juridique pourrait fonder une demande de 5.000€ devrait dès lors disposer d’un écrit.

L’écrit signé est “tout acte authentique ou sous signature privée” (art. 8.1.6°).

La définition de l’écrit s’inspire de celle de l’article XII 15§2 du Code de droit économique. Le principe est celui de l’intégrité ou l’inaltérabilité de l’écrit. Si une modification intervient, elle doit être visible (c’est en principe toujours le cas lorsqu’il s’agit d’un document manuscrit) ou traçable (hypothèse du document sur support informatique).

Il peut d’abord consister en un acte authentique (art. 8.15 à 8.17) défini comme “un écrit reçu, avec les solennités requises, par un officier public ou ministériel ayant compétence et qualité pour instrumenter” (art. 8.1.5°).

L’acte authentique peut être rédigé sur tout support et notamment sous forme dématérialisée.

La disqualification de l’acte authentique, en raison de l’incompétence ou l’incapacité de son auteur, en réduit la valeur à celle d’un acte sous signature privée (art. 8.16.).

L’acte sous signature privée est ”l’écrit établi en vue de créer des conséquences juridiques, signé par la ou les parties, avec l'intention de s'en approprier le contenu, et qui n'est pas un acte authentique” (art. 8.1.4°).

Il fait foi entre parties et s’impose à leurs ayants droit.

La procédure en vérification d’écriture est applicable, lorsqu’une partie à l’acte (ou ses héritiers et ayants cause) désavoue son écriture ou sa signature. (art. 8.19).

L’acte sous signature privée qui constate un engagement synallagmatique doit être établi en autant d’exemplaires que de parties ayant un intérêt distinct au contrat. (art. 8.20). Lorsque des obligations réciproques sont prévues, chacun doit donc recevoir un exemplaire du contrat.

Cette condition est réputée satisfaite pour le contrat rédigé sous format électronique, lorsque, notamment, l’intégrité du document est garantie et que le procedé employé permet à chaque partie de disposer d’un exemplaire de la convention.

Lorsqu’il n’est pas possible, pour des raisons matérielle ou morale, de se procurer un acte, ou qu’il n’est pas d’usage d’établir un tel acte, l’écrit n’est pas exigé (art. 8.12). La même règle est prévue lorsque l’acte a été perdu par force majeure.

 

  • Commencement de preuve par écrit

Lorsque les formalités prévues par la loi (par exemple, établir autant d’exemplaires que de parties à l’acte) ne sont pas respectées, alors l’écrit n’a pas, à lui seul, valeur de preuve (art. 8.20 al.4).

Il peut néanmoins valoir “commencement de preuve par écrit” et être admissible à titre d’élément de preuve, devant être complété par d’autres moyens de preuve, tel un témoignage.

Le commencement de preuve par écrit est “tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte juridique ou de celui qu'il représente, rend vraisemblable l'acte juridique allégué”. 

Cette définition correspond, selon les travaux préparatoires, à l’état actuel du droit. 

Le texte, qui s’inspire du droit français, n’en reprend pas les éléments inconnus en droit belge, telles les déclarations devant le Juge, qui valent en droit français commencement de preuve par écrit.

 

  • L’engagement unilatéral

L’engagement par volonté unilatérale est, par opposition au contrat synallagmatique qui suppose des consentements et engagements réciproques, celui par lequel une partie s’engage par sa seule volonté à l’égard d’une autre.

A titre d’exemples, l’on peut citer la reconnaissance de dettes ou l’offre de vente.

La preuve d’un acte juridique unilatéral est en principe libre. 

Cependant, si cet engagement porte sur le paiement d’une somme d’argent, ou la livraison d’une certaine quantité de choses fongibles, alors il doit, sous peine de nullité, être écrit, signé, et comporter la mention de la somme ou de la quantité due.

Il n’est en règle plus requis que l’auteur de l’acte ajoute les mots “bon pour” ou “approuvé pour”. Le législateur a considéré, à raison, que ces formules n’apportaient aucune réelle protection supplémentaire en faveur de la partie qui s’oblige.

Cependant, la loi peut prévoir des exceptions, telles qu’en matière de cautionnement (art. 2043 quinquies §3 de l’ancien Code civil).

 

  • Preuve par et contre les tiers

Les tiers, qui par définition n’ont pas participé à l’acte, sont autorisés à en prouver l’existence et le contenu par toutes voies de droit. 

La même liberté est accordée aux parties qui veulent prouver contre un tiers.

La difficulté était de déterminer les règles de preuve dans le cas de litiges mulipartites, lorsque tant des particuliers que des entreprises sont parties à la convention. Comment concilier le principe de la liberté de la preuve, à l’égard d’une entreprise, et l’exigence d’un écrit, contre un particulier ? 

Pour résoudre l’équation, le principe retenu est que dans cette hypothèse de litiges multipartites, la preuve sera libre.

Cette liberté ne paraît pas préjudiciable aux tiers : puisqu’ils sont tiers à l’acte, ils échappent aux obligations qu’il prévoit.

 

  • Le fait négatif et l’application raisonnable des modes de preuve

En règle, la preuve doit être rapportée avec un degré vraisemblable de certitude. Si la Cour de Cassation exigeait une preuve certaine, pour la doctrine, il ne pouvait pour autant s’agir d’une certitude scientifique ou absolue. 

Le degré de certitude voulu doit malgré tout exclure tout doute raisonnable.

La preuve du fait négatif peut cependant être apportée plus souplement, en établissant simplement la vraisemblance de ce fait. Dans ce cas, la partie adverse dispose peut-être de la preuve, qu’elle ne sera pas disposée à apporter malgré le principe d’obligation de collaboration loyale à l’administration de la preuve. 

Qu’est-ce que la vraisemblance ? Il faut qu’il existe des motifs sérieux qui confirment de manière objective l’exactitude des allégations de fait. Les travaux préparatoires évoquent un degré de certitude de 75%, ce qui n’est pas nécessairement très éclairant…

Cette règle exceptionnelle est également valable s’agissant de la preuve du fait positif pour lequel il ne serait, en raison de la nature de ce fait, pas raisonnable ou pas possible d’exiger une preuve certaine (art. 8.6).

La loi consacre là une solution qui était très largement appliquée dans la pratique.

Les travaux préparatoires évoquent, en matière d’assurance, les difficultés que l’assuré rencontre à apporter la preuve certaine d’un vol. L’objet a disparu. Comment prouver qu’il a été volé, plutôt qu’égaré ?

En outre, et pour autant qu’il motive spécialement sa décision, le juge peut faire supporter la charge de la preuve sur une partie qui n’y est en principe pas tenue, lorsqu’il n’a pu obtenir de preuve suffisante malgré les mesures d’instructions ordonnées, et que l’application des règles générales régissant la charge de la preuve serait “manifestement déraisonnable” .

Il ne s’agit pas de soulager de la charge de la preuve la partie qui se trouve dans l’impossibilité de la rapporter. Le juge doit avoir tout tenté dans le cadre de l’instruction du dossier. Les travaux préparatoires qualifient ce mécanisme d’ultimum remedium

Le juge peut prendre en considération la disparition de la preuve par l’écoulement du temps, ou sanctionner la partie qui détient la preuve mais refuse de collaborer à l’administration de cette preuve. Il pourra également tenir compte du caractère excessivement onéreux de l’administration de la preuve, et, dans ce cadre, avoir égard au déséquilibre économique qui existerait entre les parties.

 

  • Acte d’avocat

Les règles jusqu’alors contenues dans la loi du 29 avril 2013 sont déplacées dans le livre 8 du Code civil, eu égard au fait qu’elles ont trait à la valeur probante de cet acte (art. 8.23).

L’acte sous signature privée contresigné par les avocats des parties a pour objectif de renforcer la force probante d’un acte sous signature privée. L’acte ainsi contresigné “fait pleine foi de l’écriture et de la signature des parties à l’acte, tant à leur égard qu’à l’égard de leurs héritiers et ayants-cause”.

Ainsi, toute contestation portant sur l’intégrité de l’acte ou l’identité des signataires est écartée. Seule la procédure de faux civil reste éventuellement ouverte aux contestataires.

Il faut souligner que la force probante renforcée de l’acte d’avocat n’exclut pas pour autant que des contestations puissent survenir en ce qui concerne l’interprétation de cet acte et la portée des engagements qu’il constate.

Le juge aura néanmoins égard au fait que la loi prévoit que, par son contreseing, l’avocat déclare avoir informé la partie qu’il conseille des conséquences juridiques de cet acte.

 

  • Témoignage

La preuve par témoin est autorisée pour autant qu’il s’agisse d’un fait ou d’un acte pouvant, en vertu de la loi, être prouvé par toutes voies de droit (art. 8.28).

Le témoignage est la déclaration “faite par un tiers dans les conditions des articles 915 et suivants et 961/1 et suivants du Code judiciaire”, c’est-à-dire en principe l’audition d’un témoin à l’audience. 

Cela étant, l’article 961/1 du Code judiciaire permet au juge de recevoir un témoignage sous forme d’attestation écrite. Le Code évoque donc ces 2 modes de témoignage.

La force probante d’un témoignage, quelle que soit sa forme, est laissée à l’appréciation du magistrat.

 

  • Aveu

L’écrit n’est pas le mode de preuve ultime, qui prévaudrait sur tous les autres. La preuve par aveu l’emporte sur tous les autres.

Il s’agit de “la reconnaissance par une personne ou son représentant spécialement mandaté d'un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques” (art. 8.1, 10°) ou encore, selon la doctrine, de “la reconnaissance par une partie de l’exactitude d’un fait qu’on allègue contre elle”.

L’aveu est intentionnel ou non, judiciaire ou non, exprès ou tacite.

Le nouvel article 8.13 consacre la théorie de “l’aveu en action” : un aveu (extrajudiciaire) peut résulter du comportement d'une des parties, tel que l'exécution d'un contrat. La doctrine soulignait déjà que “exécuter une convention, c’est reconnaître que cette convention existe” et la Cour de Cassation avait confirmé cette théorie par arrêt du 20 janvier 2020 (C.19.0062.F).

Jusqu’à sa consécration légale, l’aveu en action purement verbal n’était recevable comme moyen de preuve qu’à condition que la preuve testimoniale ou par présomption soit admissible. A présent, le comportement d’une partie dont on voudrait déduire un aveu pourra être établi par toutes voies de droit.

L’aveu est irrévocable. Il est indivisible, à moins, s’agissant d’un aveu complexe, d’une contradiction entre ses branches. L’aveu est dit “complexe” lorsqu’il est assorti de réserves ou de précautions qui en neutralisent ou amoindrissent les conséquences juridiques. A titre d’exemples, les travaux préparatoires évoquent la reconnaissance, par une partie, de l’existence d’une dette, qu’elle prétendrait par ailleurs avoir remboursé.

 

  • Serment

Le serment est “une déclaration solennelle d'une partie devant un juge, par laquelle elle affirme la véracité de ses allégations” (art. 8.1.12°).

Il peut être déféré par une partie à l’autre (art. 8.33). Déférer signifie ici demander à quelqu’un de prêter ce serment. Cette partie peut référer le serment à son adversaire, c’est-à-dire l’inviter elle-même à prêter serment. Celui qui a déféré le serment, ou à qui le serment à été référé, ne peut plus se rétracter dès l’instant où l’autre partie a déclaré qu’elle était disposée à prêter serment.

Celui qui refuse de prêter serment ou de le référer, et celui a qui le serment a été référé et qui le refuse, échoue dans sa prétention.    

Lorsque le serment est déféré à une partie par le juge, celle-ci ne peut le référer à l’autre partie. Le juge apprécie souverainement la valeur probante du serment déféré d’office (art. 8.38).

 

  • Présomptions

Les présomptions légales sont évoquées (mais non définies) à l’article 8.7. Elles ne peuvent être renversées si la loi l’interdit, que la présomption entraîne la nullité d’un acte juridique ou qu’elle entraîne l’irrecevabilité d’une action.

L’article 8.1.9° retient la définition classique de la présomption de fait (appelée auparavant présomption de l’homme) : un mode de preuve par lequel le juge déduit l'existence d'un ou plusieurs faits inconnus à partir d'un ou plusieurs faits connus.

La preuve par présomption de fait est autorisée lorsque la loi permet la preuve libre.

La force probante des présomptions est laissée à l’appréciation du juge : seules celles qui reposent sur des indices sérieux et précis devraient être retenues.

 

Le Livre 8 du Nouveau Code civil n’entraîne pas de bouleversement majeur dans la détermination et l’application des règles de preuve. La loi apporte une série de définitions qui n’existaient pas jusqu’alors (l’écrit, la signature,…). Elle consacre des principes déjà établis par la doctrine et la jurisprudence, tels que la théorie de l’aveu en action.

Le montant au-delà duquel la preuve d’un contrat est soumise à l’exigence d’un écrit est augmenté de telle sorte que les engagements d’importance mineure ne soient pas soumis à un formalisme excessif. Si la valeur n’est pas déterminable, alors la preuve reste libre. Des mécanismes correctifs sont prévus, lorsque les circonstances rendraient l’application stricte des règles qui gouvernent l’administration de preuve déraisonnable (renversement de la charge de la preuve, preuve du fait négatif par simple vraisemblance,…).

Ces différentes modifications ou améliorations paraissent mesurées et de nature à remplir leurs objectifs : rendre le droit actuel plus accessible et plus clair, et inscrire en confirmer dans la loi des principes déjà largement appliqués par la jurisprudence.