La responsabilité des administrateurs à la lumière du nouveau livre 6 du Code civil

Droit de l'entreprise

Me S. MHIDRA, avocate

 

Le Livre 6 du Code civil, est entré en vigueur ce 1er janvier 2025.
Il a modifié en profondeur les règles de la responsabilité extracontractuelle en Belgique en impactant la responsabilité des administrateurs de sociétés. 

Cette modification peut donc avoir pour conséquence qu’un tiers (client, fournisseur, créancier, etc.) pourrait désormais poursuivre directement un administrateur en cas de faute extracontractuelle, alors qu’auparavant les recours directs étaient limités par la loi.

 

A.    Quels impacts pour les administrateurs ?

1.    La suppression de la quasi-immunité 

Auparavant, on considérait qu’un administrateur, agissant comme « agent d’exécution » de la société, était « immunisé » et ne pouvait être cité en justice par un tiers, que dans des circonstances exceptionnelles. Depuis la réforme, un tiers peut engager la responsabilité directe d’un administrateur si les conditions de la faute extracontractuelle sont remplies.

 

2.    Le concours de responsabilités 

Même lorsque le tiers possède un contrat avec la société, il n’est plus tenu d’agir uniquement sur base de la responsabilité contractuelle. En théorie, il pourra choisir d’introduire une action extracontractuelle contre l’administrateur fautif, pour autant qu’il prouve les éléments constitutifs de la faute (dommage, lien de causalité et manquement à une obligation légale ou générale de prudence).

 

3.    Les moyens de défense des administrateurs

  • a.    Les administrateurs peuvent invoquer les clauses limitatives ou exonératoires prévues dans le contrat principal conclu entre la société et ses co-contractants, sauf en cas de faute intentionnelle ou de dommage corporel.
  • b.    Le Code des sociétés et associations (CSA) maintient un plafond de responsabilité (article 2:57 CSA), mais celui-ci ne s’applique pas si la faute résulte d’un comportement grave, intentionnel ou d’une négligence habituelle.
     

B.    Quel est le risque concret pour les entrepreneurs ?

1.    Exposition personnelle aux litiges 

En cas d’insolvabilité de la société, un créancier pourrait se retourner vers l’administrateur pour obtenir réparation, ce qui augmente fortement le risque financier et le risque d’atteinte à sa réputation.

 

2.    Vigilance accrue 

Les administrateurs doivent s’assurer que leurs décisions de gestion ne contreviennent pas à la loi ou à la norme générale de prudence.

 

C.    Comment se protéger ?

1.    Adapter les contrats et conditions générales

  • Prévoyez, dans vos contrats avec les clients, des clauses qui limitent ou clarifient la responsabilité des administrateurs (quand c’est autorisé par la loi).
  • Vérifiez également vos contrats internes (mandats d’administrateur, polices d’assurance) pour vous assurer qu’ils couvrent ces nouveaux risques.
     

2.    Souscrire ou vérifier votre assurance responsabilité civile 

Les polices « administrateurs et dirigeants » doivent être adaptées pour couvrir les fautes extracontractuelles qui sont désormais plus facilement opposables.

 

3.    Sécuriser la gouvernance et la prise de décision 

  • Documentez vos décisions stratégiques et démontrez la prudence et la diligence raisonnable avec lesquelles vous décidez de chaque opération.
  • Assurez-vous de respecter toutes les obligations légales (sociales, fiscales, environnementales, etc.), car la moindre faute pourrait être reprochée à l’administrateur de manière individuelle.

En définitive, avec la fin de la quasi-immunité, les administrateurs sont plus que jamais dans le collimateur des tiers en cas de dommage. Il est dès lors indispensable de réévaluer les couvertures d’assurance et d’actualiser les clauses de vos contrats pour bien délimiter les responsabilités de chacun. En prenant ces précautions, vous protégez non seulement l’entreprise mais aussi votre patrimoine personnel et votre réputation en tant qu’indépendant.