La nouvelle réserve fiscale de « reconstitution » : quel intérêt pour les sociétés qui ont subi des pertes en 2020 ?

Droit de l'entreprise

Maître Jean-Luc Wuidard, avocat au barreau de Liège-Huy

 

Nous savons tous que l’année 2020 a été marquée par le début de la crise pandémique  et que celle-ci a eu et continue d’avoir des conséquences économiques désastreuses pour de nombreuses entreprises. Beaucoup d’entre elles ont subi des pertes qui sont venues affaiblir leurs fonds propres et mettre en difficulté leur solvabilité. En vue de favoriser l’amélioration de la solvabilité des sociétés ayant subi des pertes, le législateur s’est montré créatif en leur offrant la possibilité d’opter pour la constitution d’une réserve exonérée d’impôt, la réserve  « de reconstitution », celle-ci étant plafonnée au montant des pertes subies, avec un maximum de 20 millions d’euros.

 

Quelles sont les sociétés concernées ?

Différentes conditions sont requises pour pouvoir opter pour ce régime.

Tout d’abord, il doit s’agir d’une société qui a subi des pertes d’exploitation au sens comptable durant l’exercice comptable 2020, du moins en ce qui concerne les sociétés clôturant leurs comptes à une date située entre le 1er août 2020 et le 31 décembre 2020 inclus. 

Pour les sociétés clôturant leur exercice comptable pendant la période allant du 1er janvier 2020 au 31 juillet 2020, celles-ci peuvent choisir de prendre en compte le montant de leurs pertes d’exploitation subies au cours de l’exercice comptable se terminant en 2021.

La société qui souhaite faire constituer une réserve de constitution doit réaliser des bénéfices au cours d’une des trois périodes comptables qui suivent la période durant laquelle les pertes d’exploitation ont été supportées.

En d’autres termes, sont susceptibles d’être exonérés d’impôt des sociétés, les bénéfices réalisés au cours des exercices d’imposition 2022 (exercice comptable se clôturant le 31 décembre 2021 ou en 2022 avant le 31 décembre), 2023 (exercice comptable se clôturant le 31 décembre 2022 ou en 2023 avant le 31 décembre) et 2024 (exercice comptable se clôturant le 31 décembre 2023 ou en 2024 avant le 31 décembre).

Tant les petites sociétés que les grandes sociétés peuvent entrer en ligne de compte, mais une série de sociétés bénéficiant d’un régime fiscal particulier sont exclues de la faculté d’opter pour ce régime, telles que les sociétés d’investissement, les sociétés coopératives en participation et les sociétés de navigation maritime.

Le législateur a également considéré qu’il fallait exclure du régime, les sociétés qui, après le 12 mars 2020, ont procédé à des distributions de dividendes à ses actionnaires, ou à des rachat d’actions propres, ou des diminutions ou distribution de capitaux propres. Sont également notamment exclues les sociétés qui distribuent des montants prélevés sur les réserves de liquidation et réduisent leur capital à concurrence de montants préalablement investis dans le cadre de liquidation internes. L’attribution de tantièmes est également visée comme une cause d’exclusion selon l’interprétation du Ministre des Finances.

Les sociétés dissoutes et en cours de liquidation en date du 12 mars 2020, ainsi que les sociétés considérées comme entreprises en difficulté à la même date, sont également exclues.

 

Quelles autres conditions faut-il remplir ?

L’exonération de la réserve de reconstitution n’est maintenue que pour autant qu’elle soit comptabilisée sous un ou plusieurs comptes distincts du passif et qu’elle ne serve pas de base pour le calcul de la dotation annuelle à la réserve légale ou d’une quelconque rémunération ou attribution (condition d’intangibilité).

L’exonération est exclue pour les sociétés détenant des actions dans une ou des sociétés établies dans un paradis fiscal, ou effectuant des paiements à des sociétés établies dans un paradis fiscal, sauf en cas de paiements dans le cadre d’opérations réelles et sincères dûment déclarées ou de paiements de montants sous le seuil imposant leur déclaration.

Aussi longtemps que la réserve de reconstitution est maintenue, l’exonération se poursuivra, sauf lors de la survenance de différents événements, tels qu’une distribution de dividendes aux actionnaires, un rachat d’actions propres, une diminution des capitaux propres sous toute forme, une distribution de montants prélevés sur les réserves de liquidation, ou encore en cas d’attribution de tantièmes.

La taxation de la réserve interviendra à concurrence des montants distribués ou réduisant les capitaux propres.

Il faut également souligner une particularité rarement adoptée par le législateur : le montant de la réserve exonérée deviendra également imposable dans une certaine proportion en cas de diminution des frais de personnel de la société supérieure à 15 % par rapport au frais de personnel comptabilisés durant l’exercice comptable 2019.

Le législateur semble ainsi avoir considéré, de manière quelque peu étrange, qu’une réduction des frais de personnel entraînerait en toute hypothèse une augmentation des fonds propres de la société. Selon le législateur, il ne serait pas justifié de permettre le maintien de l’exonération temporaire de la réserve de reconstitution à concurrence d’une telle réduction de frais de personnel.

 

Quels sont les avantages que procure cette nouvelle option fiscale ?

Cette nouvelle option peut présenter de l’intérêt pour certaines sociétés, à condition qu’elles puissent réunir les différentes exigences posées par le législateur, que ce soit pour bénéficier de cette option que pour postuler son maintien au cours des périodes comptables suivantes.

La dotation à cette réserve permettra que les bénéfices réalisés au cours des trois exercices comptables suivants ne viennent pas immédiatement s’imputer sur les pertes fiscales cumulées précédemment, retardant ainsi le moment de l’obligation de financer l’impôt.

Dans le meilleur des cas, cette réserve de reconstitution ne sera imposable que lors de la liquidation de la société, à supposer qu’elle ne distribue aucun dividende aux actionnaires jusque-là, ni ne soit confrontée à l’une des nombreuses situations donnant lieu à la taxation de la réserve.

 

En dépit des divers choix pouvant donner lieu à débats (régime fiscal non limité aux PME, lien avec les charges des frais de personnel, etc.), la mesure peut présenter un réel intérêt, puisqu’elle peut permettre de différer, durant plusieurs années, la charge de l’impôt des sociétés. Encore faudra-t-il que la société soit concrètement en mesure de remplir toutes les conditions légales, dont celle de maintenir les bénéfices dans la société.

L’on peut regretter que cette mesure ne s’intègre pas dans une réforme plus structurelle et  cohérente de l’impôt des sociétés et de son interaction avec les charges fiscales grevant les actionnaires, de manière à promouvoir l’investissement en capital à risque. L’avenir nous dira si certaines entreprises pourront en faire usage de manière efficace.