Faillite : le délai pour solliciter l’effacement des dettes d’une personne en faillite est inconstitutionnel !

Droit de l'entreprise

Maître Manuela Claros, avocate au barreau de Liège-Huy

 

Depuis l’entrée en vigueur du livre XX du code de droit économique le 1er mai 2018, on trouve parmi les nouveautés de la réforme du droit de l’insolvabilité, notamment, la procédure de l’effacement des dettes du failli en personne physique. La procédure d’effacement des dettes du failli est prévue à l’article XX.173 du CDE et permet, à la requête de la personne physique déclarée en faillite, d’être libérée de l’ensemble de ses dettes à l’égard de ses créanciers. Le législateur[1] a voulu, par cette réforme, encourager un « fresh start » du failli, mais également du conjoint du failli, du cohabitant légal, de l’ex-conjoint, et de l’ex-cohabitant légal qui s’est coobligé personnellement à la dette de celui-ci.

 

L’effacement des dettes ne s’applique toutefois pas aux dettes alimentaires du failli et aux dettes qui résultent de l'obligation de réparer un dommage lié au décès ou à l'atteinte à l'intégrité physique d'une personne qu'il a causé par sa faute.

L’effacement est donc accordé par le tribunal de manière automatique, afin d’encourager la personne physique à repartir de zéro en vue de relancer son activité économique. Sauf en cas d’opposition introduite par un avis négatif du curateur, du ministère public ou d’un tiers intéressé (ce qui n’a généralement lieu que dans des circonstances exceptionnelles), et motivée par des motifs graves et caractérisés.

Procédure

L’article XX.173 du CDE impose toutefois une condition de forme en précisant que :

« L’effacement est uniquement octroyé par le tribunal à la requête du failli, requête qu’il doit ajouter à son aveu de faillite ou déposer dans le registre au plus tard trois mois après la publication du jugement de faillite, même si la faillite est clôturée avant l’expiration du délai. »

A peine d’irrecevabilité, la demande du failli doit donc être introduite dans un délai de forclusion de trois mois à compter de la publication du jugement de faillite.

Dans la pratique, ledit délai a donné lieu à de nombreux cas où le failli, mal ou tardivement informé de sa faillite (notamment en cas de citation en faillite), ne pouvait plus solliciter dans les délais, l’effacement de ses dettes. Celui-ci se voyait donc contraint de rembourser l’ensemble de ses dettes, à défaut pour lui d’avoir introduit ladite requête dans les temps.

A contrario, le failli à situation égale pouvait bénéficier de la procédure de l’effacement de ses dettes, dans le mesure où ce dernier avait respecté le délai de trois mois en vue de solliciter le bénéfice de l’effacement de ses dettes.

Arrêt de la Cour constitutionnel du 22.04.2021

La Cour constitutionnelle est intervenue afin de remédier à la perte irrévocable du droit à l’effacement des dettes de la personne physique faillie qui n’introduit pas sa requête dans les délais.

La Cour a en effet mis en exergue par son arrêt du 22.04.2021 que le §2 de l’article XX.173 du CDE met à mal l’objectif du législateur tendant à promouvoir une seconde chance du failli, et génère des effets disproportionnés en cas de non-respect du délai d’introduction de la requête (soit le refus pur et simple de l’effacement).

Le délai de forclusion de trois mois prévu à l’article XX.173 du CDE a donc été déclaré inconstitutionnel en ce qu’il viole le principe d’égalité et de non-discrimination selon la Cour.

Les retombées de cet arrêt sont considérables et permettront à l’avenir d’éviter des situations humaines et financières désastreuses pour les personnes physiques déclarées en faillite et qui se voyaient refuser le bénéfice de la procédure d’effacement.

 

[1] Le législateur belge a en effet été poussé dans ce sens par le législateur européen qui souhaitait éviter une politique de seconde chance inefficace des entrepreneurs, et qu’ils soient pris dans le piège de l’endettement,  ce qui pousserait les entrepreneurs vers une économie souterraine ou les contraindrait à s’installer dans un autre pays afin d’obtenir un régime plus accueillant (voy. l’explication de la Proposition du 22 novembre 2016 de Directive du Parlement européen et du Conseil relative aux cadres de restructuration préventifs, à la seconde chance et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficience des procédures de restructuration, d’insolvabilité et d’apurement et modifiant la directive 2012/30/UE).