Discours prononcé par Monsieur le Bâtonnier André Renette lors de la séance solennelle de rentrée de la Cour du travail de Liège le 2 septembre 2014

Discours
Madame la Première Présidente, Au nom du Barreau de Liège et de tous les barreaux du ressort de votre Cour, permettez-moi de vous remercier, comme l’ont fait mes prédécesseurs, de donner au Barreau, par une heureuse tradition, une liberté de parole lui permettant d’exprimer ses préoccupations et propositions sur l’administration de la Justice. Cet usage est la marque du respect mutuel que la Magistrature et le Barreau se vouent, chacun dans son rôle d’acteur de justice. Ce respect mutuel constitue la garantie de notre indépendance réciproque. Ce respect mutuel autorise de précieuses collaborations au bénéfice de l’intérêt général et du service que nous rendons au justiciable. Madame la Première Présidente, permettez-moi un message personnel. Vous avez la responsabilité des ailes sud et nord du nouveau palais. Ce nouveau palais a été conçu en considérant, contrairement à l’usage qui m’honore ce jour de m’exprimer devant vous, que les avocats étaient des visiteurs extérieurs au monde judiciaire, ne faisant qu’entrer et sortir d’un palais qui n’était plus le leur. L’étonnante configuration de ce qui est appelé vestiaire, mais qui ressemble à des armoires de piscine, en témoigne. L’année judiciaire écoulée, le conseil de l’Ordre du Barreau de Liège a longuement travaillé sur un thème, qui doit être sensible pour les juridictions du Travail, à savoir la souffrance au travail, le burnout. Nous avons consulté des thérapeutes spécialisés, et tous nous ont demandé s’il y avait au palais un endroit -pour reprendre leurs termes de supervision- dit « un sas de décompression », en clair : un mess où les avocats après l’audience pouvaient se rencontrer et se soulager du stress en partageant leur expérience. Il y a bien un mess, il se situe à l’APPE et il est actuellement désert. Depuis que je suis en charge, et tel était également l’objectif de mon prédécesseur, nous tentons d’investir un modeste local dans l’aile nord du nouveau palais. Des décisions très concrètes avaient été prises sous l’empire de votre prédécesseur, Madame la Première Présidente, et nous aurons grand besoin de votre impulsion pour que cela puisse se concrétiser rapidement, avant la fin de l’année civile. Je me réjouis dès lors de poursuivre avec vous la précieuse collaboration que le Barreau avait initiée avec votre prédécesseur. Mesdames et Messieurs les Auditeurs généraux, Monsieur l’Auditeur, Mesdames et Messieurs les Substituts de l’Auditeur du Travail, Mesdames et Messieurs en vos titres et qualités, Mes chers Confrères, C’est la deuxième et dernière fois que vous m’autorisez à prendre la parole lors de la séance solennelle de rentrée de la Cour du Travail. Un an déjà, et au-dessus de nous, il est toujours là : le filet protecteur de l’affaissement du plafond qui, lui, n’a pas pris une ride. Je m’interroge en définitive sur sa finalité. Je ne me fais aucune illusion sur son rôle de bouclier protecteur de la chute sur nos têtes fragiles de quelques substantiels kilos de plafond. Je crois que ce cache misère n’a pas été placé pour cela. En définitive, ce filet ne serait-il pas là que pour sa vertu symbolique ? Ne serait-ce pas le symbole de la pénurie budgétaire. Le syndrome de l’effondrement de l’immobilier judiciaire, comme au palais de justice de Verviers, la version liégeoise des échafaudages tuteurs du palais Poelaert à Bruxelles ? Poursuivant la métaphore, ne serait-ce pas l’expression de la jalousie des deux autres pouvoirs, en charge et responsable de la réfection des bâtiments, jalousie de l’indépendance du pouvoir judiciaire s’exprimant par la crainte que le ciel pourrait vous tomber sur le tête ? Mesdames et Messieurs les magistrats, je vous laisse poursuivre cette réflexion.

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Il y a un an déjà, cette séance était rehaussée par la présence d’un Ministre de la Justice. Aujourd’hui, nous attendons la désignation du titulaire dans un mois ou deux. Malgré les efforts continus du Barreau, et en particulier des Ordres communautaires, la crise de l’aide juridique est toujours ouverte sans qu’une solution définitive et satisfaisante ne soit à l’horizon. L’aide juridique est toujours soumise au régime drastique de l’incertitude sur son avenir. Nous parlons ici du service public délégué au Barreau. Nous parlons ici de ces hommes et de ces femmes qui au quotidien portent le dévouement jusqu’à prendre leur perte pour la défense des plus vulnérables et des plus démunis de notre société. Quelle profession, tant soit peu syndiquée, tolérerait avec tant de fatalisme une telle violence sociale ? Ne cherchez pas, il n’y en a aucune autre ! Ce n’est pas faute pour le Barreau de s’être démené. A l’égard de la société civile, à l’égard du monde politique et à l’égard de la magistrature, nous avons justifié de l’impérieuse nécessité d’un accès à la Justice que garantit l’article 23 de la Constitution, nous nous sommes justifiés sur toutes les procédures de contrôle que le Barreau a mises en place pour éviter tout abus dans l’utilisation des fonds publics. Aujourd’hui cette question ne devrait même plus se discuter. L’année dernière, je vous ai remis, Monsieur le Premier Président, à votre intention et à celle des membres de votre Cour, une note complète sur les dispositifs complexes mis en place par les Ordres locaux, Avocats.be et l’OVB, pour contrôler sévèrement les conditions d’octroi de l’aide juridique, d’une part, et d’autre part, la qualité du service rendu. Délaissant toute posture de quémandeur passif, le Barreau a multiplié de manière constructive les propositions faites aux politiques pour refinancer de manière pérenne l’aide juridique, un ticket modérateur, la responsabilisation du justiciable par le refus des demandes vétilleuses, la majoration raisonnable des droits de rôle et des droits d’enregistrement. Toutes ces propositions suffisaient pour trouver les 15 ou 20 millions qui manquent de manière chronique au financement décent de l’aide juridique. La réponse faite aux propositions du Barreau, c’est que, depuis le 1er janvier 2014, nos honoraires sont assujettis à la TVA de 21 %. La période électorale a permis aux Ordres locaux et communautaire d’insister auprès des candidats aux élections sur l’effet combiné de la crise de l’aide juridique et de l’assujettissement de nos honoraires à la TVA sur l’accès à la justice des plus démunis et de la classe moyenne. Un seul exemple plus lumineux illustrera mon propos : Un ménage proméritant 1500 euros par mois bénéficiera de l’aide juridique partielle, un ménage proméritant 1650 euros par mois ne bénéficiera pas de l’aide juridique, et devra payer 21 % de TVA sur les honoraires de son avocat. Ce frein sévère à l’accès à la justice des plus démunis et de la classe moyenne a été soumis à la censure de la Cour Constitutionnelle et la cause est aujourd’hui en délibéré. Notre lobbying a-t-il été écouté ? Sera-t-il entendu par la kamikaze suédoise ? Les premiers échos des échanges entre les négociateurs faisaient état, non d’une petite musique, mais d’un vacarme sécuritaire, on y parlait du Tribunal des flagrants délits, de peines incompressibles. On n’y parlait pas de la nomination de plus de juges, mais de plus de jugements, des jugements d’emprisonnement de préférence, donc de plus en plus de monde dans les prisons, donc conclusion facile : de plus en plus de désignations d’aide juridique de seconde ligne. Monsieur le Bâtonnier Patrick Henry, Président d’Avocats.be, s’est exprimé sur les échos des négociations gouvernementales relatifs à l’aide juridique dans la Libre Belgique du 23 et 24 août 2014. Les interlocuteurs du Barreau seraient-ils frappés de surdité, il a fallu encore rappeler que les procédures de contrôle interne mises en place par le Barreau sont les plus sévères d’Europe. Il est encore question du ticket modérateur qui avait été cependant censuré par le Conseil d’Etat, qui avait considéré qu’il n’était pas admissible de l’instaurer en matière pénale. La généralisation de l’assurance protection juridique serait également une piste de réflexion pour le nouveau Gouvernement, et le Barreau ne peut que l’encourager. Nous l’encourageons depuis 20 ans. Il est important pour moi de souligner aussi que l’instauration de la TVA de 21 % sur les honoraires des avocats et la transformation de notre profession en percepteur d’impôts risquent, de l’avis de tous, de fragiliser une profession que la crise économique a déjà trop atteint. Si les grosses structures trouveront à terme des moyens humains et financiers pour faire face à cette nouvelle obligation, je m’inquiète vivement pour l’avocat généraliste qui pratique sa profession à titre individuel. Voudrait-on faire disparaître l’avocat de proximité, que l’on ne s’y prendrait pas autrement ! En effet, la profession d’avocat est aujourd’hui assujettie à une série d’obligations administratives et paperassières qui, au fil de leur accumulation, nous détournent du cœur fondamental de notre profession : conseiller et défendre. Nous voilà rattrapés, nous les avocats, par la directive Bolkestein du 12 décembre 2006 appelée également directive services ou des plombiers polonais, reprise dans la loi sur les services du 26 mars 2010, et intégrée par la loi du 17 juillet 2013 dans le Livre III du Code de droit économique en ce qu’elle porte sur l’obligation d’information des avocats. Il s’agit de la fiche légale d’information qui maintenant impose à chaque avocat d’afficher dans sa salle d’attente qu’il est bien avocat, de le préciser sur son site internet, et de faire signer un document idoine par son client, document posant évidemment quelques soucis de secret professionnel, dans la mesure où l’avocat est susceptible d’être contrôlé par les fonctionnaires du SPF économie sur l’application de cette loi, dont, de vous à moi, l’évidente nécessitée est nulle. Par ailleurs, les contrôles ont commencé, et même si les fonctionnaires astreints à cette tâche sont à ce jour courtois et bienveillants, permettez-moi, au nom de la profession, de m’inquiéter de cette nouvelle charge administrative et de cette nouvelle immixtion de l’Administration dans un dossier d’avocat garanti par le secret professionnel. Je tiens ici à préciser que la plupart des informations qui doivent figurer dans cette fiche légale d’information se retrouvent sur notre papier à entête… Il est de plus en plus difficile, dans le contexte politique et économique, de convaincre certaines instances idéologiquement vouées au dogme de l’ultralibéralisme mondialisé que l’avocat n’est pas un agent économique qui fait le commerce de ses connaissances, pour générer du profit. Notre profession est de plus en plus confrontée à la concurrence, par ailleurs suscitée par les autorités chargées de la contrôler sur le plan national et européen, des opérateurs économiques qui cherchent le profit dans la commercialisation des services juridiques et qui considèrent que le secret professionnel est un avantage concurrentiel illicite s’il est réservé au Barreau. En d’autres termes, ces marchands de droit entendent bénéficier des privilèges du Barreau sans en assumer les devoirs, notamment ceux de notre déontologie. C’est à vous, la magistrature, d’être le dernier rempart des valeurs du Barreau face à la marchandisation du droit. La Cour Constitutionnelle, dans son important arrêt du 26 septembre 2013, répète que le secret professionnel est un des fondements de notre système social en ces termes : « Les avocats prennent une part importante dans l’administration de la justice, ce qui justifie que les conditions d’accès et d’exercice à cette profession obéissent à des règles propres, différentes de celles qui régissent d’autres professions libérales … L’effectivité des droits de la défense de tout justiciable suppose nécessairement qu’une relation de confiance puisse être établie entre lui et l’avocat qui le conseille et le défend. Cette nécessaire relation de confiance ne peut être établie et maintenue que si le justiciable a la garantie que ce qu’il confiera à son avocat ne sera pas divulgué par celui-ci. Il en découle que la règle du secret professionnel imposée à l’avocat est un élément fondamental des droits de la défense ». Et cet arrêt de la Cour Constitutionnelle censurait l’article 458 bis du Code pénal, que la loi du 30 novembre 2011 avait réécrit, s’inspirant des recommandations de la « commission spéciale relative au traitement d’abus sexuels et faits de pédophilie dans une relation d’autorité, en particulier au sein de l’église ». Durant cette année judiciaire, Avocats.be a été contraint d’introduire pas moins de 4 recours en annulation près de la Cour Constitutionnelle pour protéger le respect de cette valeur fondamentale qu’est le secret professionnel. Deux d’entre eux visent la loi du 30 juillet 2013 qui supprime l’exonération de la TVA sur les prestations d’avocat : d’abord, en ce qu’il nous oblige à communiquer à l’Administration un listing permettant d’identifier nos clients ; ensuite, en ce qu’elle ne prévoit pas le recours au bâtonnier pour déterminer si le document est couvert par le secret. Le troisième est dirigé contre les dispositions du Code de droit économique qui ne prévoient pas de recours immédiat contre la saisie par l’Auditorat de la concurrence de documents couverts par le secret. Le dernier frappe la loi du 30 juillet 2013 relative aux communications électroniques, et de l'article 90decies du Code d'instruction criminelle obligeant les opérateurs de télécommunications à conserver les métadonnées générées par les courriels et communications électroniques, sans prévoir d’exception pour les données protégées par le secret professionnel. Il me revient que la NSA ne serait pas heureuse de ce recours.

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Mesdames et Messieurs les Magistrats, Le Barreau n’est pas que déterminé à défendre ses valeurs. Le Barreau peut être autant combatif que collaboratif. Depuis le 1er avril 2014, la loi sur la fusion des arrondissements judiciaires est d’application. À cette occasion, les bâtonniers ont eu l’occasion de rencontrer les candidats qui se présentaient au poste de chef de corps dans cette nouvelle structure. Avec tous mes collègues bâtonniers, nous avons été positivement impressionnés par l’engagement et l’enthousiasme de tous ces candidats, dont la volonté première était de faire aboutir la réforme dans l’intérêt du justiciable et dans l’intérêt d’une meilleure justice. Des personnalités remarquables ont été désignées par le Roi comme nouveau chef de corps et, comme il est commun de le dire, ces super-président, super-procureur super-auditeur, se sont investis dans l’écriture d’une page blanche. Ce dévouement sans faille au service d’une justice moderne doit donner au Barreau le même élan, la même remise en question de ses structures. Lors de la dernière assemblée générale de l’Ordre des avocats du barreau de Liège, m’adressant aux membres de mon Barreau, ainsi qu’au bâtonnier de Verviers et de son vice-bâtonnier, je soulignais que « Depuis la réforme des arrondissements judiciaires, les nouveaux chefs de corps ont vu leurs compétences territoriales s’élargir, soit au niveau de la province, soit au niveau du ressort. Quel beau projet pour notre identité professionnelle que de rejoindre ce niveau de décision dans l’unité du barreau, notamment au niveau de la négociation sur le règlement de la répartition des affaires. Pour reprendre la métaphore de la boxe anglaise, peut-on encore croire que les barreaux poids plumes peuvent encore boxer dans la même catégorie que les supers chefs de corps poids lourds ? » Mesdames et Messieurs les Magistrats, Les enjeux de cette année judiciaire seront axés sur la réussite de cette réforme. Le Barreau vous accompagnera, le Barreau évoluera avec vous. Pour autant que les intérêts des justiciables soient respectés, intérêts que le Barreau a la charge de garantir, la magistrature peut compter sur le Barreau pour que cette réforme soit une réussite.

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Les barreaux du ressort de la Cour et moi-même vous remercions, Madame la Première Présidente, de votre invitation. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs les Magistrats, de votre attention. Le Bâtonnier de l’Ordre, André RENETTE.