Discours de Monsieur le Bâtonnier André Renette lors de la réception de Monsieur Koen Geens, Ministre de la Justice

Discours
 width=Mot d’accueil de Monsieur le bâtonnier André RENETTE - Rencontre avec le Ministre de la Justice Koen GEENS - 11 mai 2015 Monsieur le Premier Président, Monsieur le Procureur général, Mesdames et Messieurs les chefs de corps, Mesdames, Messieurs les Bâtonniers, Chers Confrères, Monsieur le Ministre, C’est un honneur pour les quatre barreaux de la province de Liège, soit les barreaux d’Eupen, de Huy, de Liège et de Verviers, représentés par leur conseil de l’Ordre et leur Bâtonnier, de vous recevoir en cette salle des audiences solennelles de la Cour d’appel de Liège. Au mur, vous découvrez les portraits monumentaux de nos plus anciens magistrats aux regards sévères et martiaux, l’image d’un passé désuet, terreau fécond pour une réforme de l’institution. Au-dessus de nous, depuis plusieurs années, un filet anxiogène présumé nous protéger de l’affaissement définitif d’un plafond qui se délabre. Est-ce la métaphore de l’administration de la justice, un passé glorieux, et un avenir en ruine ?

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Monsieur le Ministre de la Justice, Nous ne vous découvrons pas, vous nous êtes connu. Je retiendrai donc l’essentiel : vous êtes né le 22 janvier 1958. Je suis donc votre aîné d’un peu plus de 4 mois. Vous êtes licencié en droit de la KUL avec la plus grande distinction en 1980, je confirme c’est un excellent millésime. Vous vous êtes d’abord investi dans une carrière académique, que par ailleurs vous n’avez jamais quittée, et vous avez prêté le serment d’avocat le 11 mai 1989, devant la Cour d’appel de Bruxelles, comme stagiaire au barreau de Louvain, sous le patronat de Maître Piet Sifert. Vous vous êtes inscrit au Tableau de l’Ordre néerlandais des avocats du barreau de Bruxelles le 27 novembre 1992. En 1994, vous avez fondé, en compagnie de Maître Xavier Dieux, issu de l’ULB, le cabinet Eubelius. En collaboration avec feu le professeur Anne-Benoît Moury de notre alma mater, vous avez assuré en 1999 l’accompagnement de la rédaction scientifique du Code des Sociétés que vous comptez, à l’occasion de cette législature, simplifier : 100 fois sur le métier, remettons notre ouvrage. Vous êtes toujours actuellement inscrit au Tableau de l’Ordre néerlandais des avocats du barreau de Bruxelles, comme me le confirmait encore récemment avec fierté, votre bâtonnier, Maître Kathleen Vercraeye. Je suppose que vous êtes en ordre de cotisation.

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Monsieur le Ministre, Mon cher Confrère, Que dire de plus : en cet endroit et parmi nous, les avocats, vous êtes chez vous. Votre réponse à notre invitation nous honore, et vous avez dupliqué celle-ci auprès d’autres barreaux, et à l’occasion de ces rencontres, d’autres thèmes, en fonction de l’actualité des réformes et du millésime du pot-pourri, seront abordés. Dans le précédent gouvernement, vous avez exercé les fonctions de ministre des finances, et maintenant dans l’équipe suédoise (ou kamikaze) il vous revient de porter la croix du ministère de la justice. Mais qu’allait-il donc faire dans cette galère, n’était-ce point un bon ministre des finances de l’avis de tous ? Heureusement et en synthèse, voici l’impression que vous avez laissée à tous les acteurs de justice depuis votre entrée en fonction. Formidable ! Nous avons enfin un ministre de la justice, cela ne nous était plus arrivé depuis trop longtemps… cela commençait à nous manquer, et avec un brin de chauvinisme, depuis la sortie de charge d’une ex-liégeoise, dernière ministre francophone, qui fut par ailleurs membre du barreau de Liège. Tout politicien chevronné fuit le poste de ministre de la justice, c’est suicidaire, ce n’est pas porteur de voix. Nous devons donc en premier leu saluer votre courage politique. Vous assumez donc votre nouvelle charge, on peut le dire : au pas de charge, et voici la cavalerie des pots-pourris qui est lancée à l’assaut du monde judiciaire, pot-pourri I : procédure civile, pot-pourri II : droit pénal et on nous annonce, semble-t-il un pot-pourri qui aura pour objet les MARC et qui s’annoncerait révolutionnaire. On attend avec impatience le pot-pourri relatif à la suppression des lieux de justice qui serait la négation des engagements pris par l’ancienne législature, avec la mise en place le 1er avril 2014 de la nouvelle organisation judiciaire. La date du 1er avril aurait dû attirer notre attention.

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Votre site internet vous qualifie de travailleur exigeant et d’homme bienveillant. Il a oublié de préciser que vous êtes d’abord un homme d’écoute, sinon un séducteur, surtout un fonceur. Le professeur du droit des sociétés que vous êtes a fait ce constat sévère dès son entrée en fonction : le troisième pouvoir qu’est la justice est en état de cessation de paiement, et sa comptabilité n’est pas probante. Vous affirmez que le budget de la justice est trop étriqué, et telle qu’elle est organisée, la justice ne fonctionnera qu’au terme d’une cure d’amaigrissement ou sinon d’une austérité budgétaire. Il faut donc que la justice batte en retraite d’un champ de bataille qui est devenu trop grand pour elle et se réfugie dans la citadelle de son core business, de ce qui serait ses fondamentaux. Nous demandons à voir et à comprendre.

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Monsieur le Professeur, Mon cher Confrère, Est-ce bien là qu’impérativement les économies de l’Etat fédéral doivent se faire ? A force de maigrir, le troisième pouvoir n’est-il pas à l’os ? Je paraphrase le slogan publicitaire : moins cher, c’est illégal, et les magistrats vous l’ont déjà dit, eux qui s’inquiètent de l’institutionnalisation de la pénurie de personnel. Avec toute ma bienveillance également, je m’adresse ici et maintenant à l’homme politique. Investir ou ne pas investir dans la justice, au bénéfice ou au détriment d’autres objectifs, c’est d’abord, uniquement, principalement, une volonté politique et rien que cela, et rien d’autre. C’est la volonté politique de la coalition en place, et rien de plus, même si je n’ai aucun doute sur votre volonté personnelle de sauver le soldat justice. Le budget de la justice représente 0,7 ou 0,5 % de l’ensemble des dépenses publiques ou du PIB, ce n’est donc pas une fatalité, c’est le choix permanent du désintérêt de l’ensemble du monde politique depuis des décennies à l’égard du monde judiciaire, et de ses acteurs. Un seul exemple, lorsqu’il a fallu créer le BHV judiciaire, on a trouvé les sous qu’il fallait au budget ! De même que pour aller bombarder la Syrie ou l’Irak ! Volonté politique, quand tu nous tiens ! Le second axe de cette brève réflexion est un sujet qui nous préoccupe depuis trop longtemps, problème commun à tous les pays d’Europe, celui de l’accès à la justice. Plus que jamais, notre société vit son besoin criant et croissant de justice, comme une douleur fantôme. Empruntant une analyse du professeur Englebert, ce sont des facteurs sociétaux que le politique ne peut que constater, ceux de la judiciarisation des relations sociales, celui de l’excès de législation et de réglementation qui entendent régir tous les domaines de la vie, avec comme avanie la prolifération des droits furtifs sanctionnés par la Cour constitutionnelle. Rendons hommage ici à la créativité de la jurisprudence constitutionnelle, et celle du pouvoir judiciaire chargé de palier au jour le jour la médiocrité de la production du pouvoir législatif. Sur la réforme de l’aide juridique, sur la question de l’assurance protection juridique, vous ne partez pas d’une feuille blanche, mais -oserais-je dire- d’un trop plein de propositions constructives émanant de tous les acteurs de justice en général, et du barreau en particulier ? Vous trouverez dans le barreau, un partenaire loyal et constructif sur la question de l’accès à la justice. En ce qui concerne l’aide juridique : - un guichet unique. Et bien parlons-en ! - un ticket modérateur, une franchise proportionnelle aux revenus, une aide juridique progressive par tranche, très bien. Mettons-nous autour d’une table et parlons-en ! La création d’un fonds budgétaire pour arriver à une valeur fixe indexable du point, parlons-en, discutons, ayons cet objectif -une bonne fois pour toute- de mettre un terme à la crise perpétuelle de l’aide juridique, génératrice de découragement, d’anxiété et maintenant de fatalisme. Gens de terrain, les présidents des BAJ de Liège et de Bruxelles, et de tous les autres barreaux, ceux qui ont les mains dans le cambouis, nous suggèrent des modifications qui s’inscrivent dans la ligne droite de votre déclaration de politique générale. N’est-il pas temps une bonne fois pour toute, et votre dynamisme nous y encourage, de trouver une solution définitive qui autorise les démunis, mais plus encore et essentiellement la classe moyenne, vos électeurs, à retrouver la voie de l’accès à la justice que garantit notre Constitution et les engagements internationaux de l’Etat Belge.

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Monsieur le Ministre, De manière générale, les acteurs de justice ont besoin que cette anxiété sur leur avenir cesse. J’inclus dans ma réflexion le personnel judiciaire, les greffiers, les magistrats, que vous allez rencontrer, mais puisque nous sommes entre nous, parlons de l’avenir de nos confrères. Le prochain conseil que les bâtonniers devront donner à leurs confrères, sera-t-il de les inviter à changer de métier, de devenir huissier pourquoi pas ? Moins d’imput, moins d’avocats ? Entendez-nous, retenez nos propos constructives, et collaborons afin que le bateau ivre de la Justice ne s’appelle pas le Titanic. L’assemble générale d’AVOCATS.BE s’est réunie de manière extraordinaire ce 8 mai au matin, en préambule à la rentrée solennelle du barreau du Brabant wallon. Nous avons fait la synthèse sur le premier pot-pourri relatif à la procédure civile. Nous ne pouvons qu’adhérer à une meilleure informatisation de la justice. Vous avez déjà écouté et entendu nos réserves concernant un recouvrement de créances qualifiées de non contestées, qui serait le monopole des huissiers de justice. La généralisation du juge unique nous interpelle : qu’est-il prévu pour améliorer la qualité des jugements d’instance ? Révolution copernicienne concernant l’exécution provisoire, mais de grâce inspirons-nous du modèle français. Autre révolution, celle sur la notion d’autorité de chose jugée, ce sujet miné mérite un examen approfondi. L’abandon de toute demande nouvelle en degré d’appel est par essence non productive dans un projet qui veille à l’efficacité de la justice.

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Monsieur le Professeur, Partageons votre enseignement. Mon cher Confrère, Partageons votre expérience. Monsieur le Ministre, Donnez-nous un avenir ! En vous remerciant pour votre attention, je vous passe la parole.