ATN logement : état des lieux

Droit de l'entreprise

Maître Céline Sanchez Ruiz, avocate au barreau de Liège-Huy

 

Récemment, le régime de l’ATN LOGEMENT a été au centre de nombreuses discussions. Il nous a paru dès lors nécessaire de refaire le point sur la situation.

 

Régime en vigueur jusqu’au 31 décembre 2018

Lorsqu’un immeuble bâti est mis à disposition d’un contribuable par une personne physique, celui-ci doit être taxé sur l’avantage qui en résulte. Cet avantage de toute nature est évalué forfaitairement à 100/60 du revenu cadastral (ci-après le « RC ») indexé.

Lorsque l’immeuble est mis à disposition par une personne morale, l’avantage doit toutefois être multiplié par un coefficient :

-              si le RC ne dépasse pas 745 €, le résultat doit être multiplié par 1,25 ;

-              si le revenu cadastral est supérieur à 745 €, le résultat doit être multiplié par 3,8.

Ce régime avait donc pour conséquence que l’avantage imposable était plus lourd lorsque la mise à disposition gratuite d’immeuble bâti était accordée par une personne morale que lorsqu’il l’était par une personne physique. Cette différence de traitement a conduit certains contribuables à introduire des recours devant les Cours et Tribunaux. Ceux-ci estimaient en effet que le principe d’égalité était violé.  Cette violation a été confirmée par la Cour d’appel de Gand dans une décision datée du 1er juillet 2016. La Cour a en effet relevé à cette occasion qu’il n’existait, dans l’Arrêté royal d’exécution du Code d’impôt sur les revenus, aucune justification raisonnable et objective à cette différence de traitement.

En conséquence, la Cour a fait application de l’article 159 de la constitution lui permettant d’écarter les règles prévues par l’article 18, § 3, 2° AR/CIR 92 dans le cas où l’immeuble était mis à disposition par une personne morale.

Par la suite, d’autres Cours et Tribunaux se sont ralliés à cette position (voy. notamment Anvers,  24 janvier 2017).

En conséquence, il y avait lieu de constater que l’évaluation supérieure ne pouvait plus être appliquée et que seule la règle de base subsistait, à savoir l’évaluation de l’avantage de toute nature à 100/60 du revenu cadastral indexé. Le Ministre des finances s’est lui-même rallié à ce constat, de même que l’Administration fiscale dans une circulaire du 15 mai 2018, en attendant la modification de l’Arrêté royal litigieux. Le contribuable pouvait dès lors limiter le montant de l’avantage à déclarer à 100/60 du RC indexé dans sa déclaration relative à l’exercice d’imposition 2018 (revenus 2017).

 

Régime en vigueur depuis le 1er janvier 2019

Depuis le 1er janvier 2019, il n’est plus fait de distinction selon que l’immeuble bâti est mis à disposition par une personne physique ou par une personne morale (Arrêté royal du 7 décembre 2018).

Dans tous les cas, l’avantage de toute nature imposable est obtenu en application de la formule suivante : RC indexé x 100/60 x 2.

 

Les contribuables peuvent-ils encore contester leur avantage de toute nature pour les années antérieures ?

Puisqu’il est admis que jusqu’aux revenus de l’année 2018 inclus, l’avantage de toute nature résultant de la mise à disposition gratuite d’un immeuble par une personne morale pouvait être déterminé en appliquant un facteur 1 à la place du coefficient de 3,8 ou de 1,25, il nous semble légitime de se demander si le contribuable peut encore contester le mode de calcul de son avantage de toute nature pour les années antérieures et dans l’affirmative, de quelle manière ?

La réponse à la première question est bien entendu affirmative. La seule voie qui s’offre encore au contribuable est toutefois celle de la demande de dégrèvement d’office pour fait nouveau.

Assez logiquement, l’Administration a cependant estimé qu’il s’agissait d’un changement de jurisprudence pour lequel aucun dégrèvement d’office n’est possible. Le Tribunal de première instance d’Anvers (13 avril 2018) et le Tribunal de première instance de Bruges (18 avril 2018) se sont ralliés à ce point de vue. Par contre, le Tribunal de première instance de Gand (31 janvier 2019) a estimé qu’il s’agissait bien d’un élément nouveau ouvrant le droit à un dégrèvement d’office.

Celui-ci se fonde sur les éléments suivants :

  • lorsque des dispositions légales sont déclarées inconstitutionnelles, il s’agit d’office d’un élément nouveau et non pas d’un changement de jurisprudence;
  • l’Administration autorise les demandes de dégrèvement d’office pour les arrêts prononcés par la Cour constitutionnelle ou la Cour européenne de justice statuant sur questions préjudicielles car elle considère qu’il s’agit d’éléments nouveaux et non d’un changement de jurisprudence.

 

En degré d’appel, la Cour d’appel de GAND (22 octobre 2019) a dès lors, via une question préjudicielle, demandé à la Cour constitutionnelle si la jurisprudence précitée pouvait être considérée comme un fait nouveau. A l’heure où ces lignes sont écrites, la Cour constitutionnelle n’a pas encore rendu sa décision. Nous ne pouvons dès lors que conseiller aux contribuables concernés d’introduire à titre conservatoire une demande de dégrèvement d’office afin de sauvegarder leurs droits dans l’hypothèse d’une réponse favorable de la Cour constitutionnelle. Cette demande de dégrèvement doit être introduite dans un délai maximum de 5 ans commençant à courir à partir du 1er janvier de l’année au cours de laquelle l’impôt a été établi. Il est donc encore possible en 2020 d’introduire une demande de dégrèvement d’office pour un impôt qui aurait été établi courant de l’année 2016 ou courant cours des années ultérieures.