Allocution prononcée par Monsieur le Bâtonnier Elu François Dembour à l’occasion de l’assemblée générale de l’Ordre le 18 juin 2015

Discours
« L’avocat, parce qu’il est un homme de cœur et de tripes, parce qu’il a une finalité sociale particulière, parcourra toujours sa propre vie avec, accrochées à ses basques, des bribes de la vie des autres (…). Dans tout groupe social, il y a toujours eu et il y aura toujours des êtres un peu plus généreux, un peu plus courageux, un peu plus solidaires qui, dépassant leur propre personne, prendront la parole et la défense des autres. Notre toge, symbole de notre égalité mais non de notre uniformité, signifie aussi l’effacement personnel de l’avocat au profit de celui ou celle qu’il représente[1]. »   Monsieur le Bâtonnier, Madame et Messieurs les anciens Bâtonniers, Mes chers confrères, Mes chers amis, Souvent, des mots d’une autre plume disent mieux qu’on ne pourrait le faire l’idéal que l’on poursuit. Tout comme la vie nous réserve parfois des instants qui concentrent ce qui constitue l’essence même de notre vie. Comme pour nous convaincre d’aller encore plus loin. Ce vendredi-là 30 août 2013 dans les salons du Conseil, rougeoyant d’un soleil de fin d’après-midi, j’assiste à la proclamation officielle des résultats du centre de formation professionnelle. Je mesure à cet instant combien j’aime notre profession. Ou plutôt, comment j’ai appris à l’aimer tant il est vrai qu’au jour où j’ai prêté serment, le 25 septembre 1984, je ne cernais que confusément en quoi elle consistait. Un peu comme on devine la beauté d’un bâtiment aux quelques ombres que le brouillard veut bien laisser percer. Oui, j’aime la profonde humanité de notre métier. Mais est-ce un métier ? N’est-ce pas plutôt une vocation de passeur entre les justiciables et la justice, d’ «infiltreur de justice » comme nous définit notre bâtonnier ? A une dame qui lui disait « ce que j’admire en vous… », KIERGEGAARD  répondit :« Pourquoi cette restriction ? ». Monsieur le Bâtonnier, ce que j’ai admiré en vous, durant la seconde année de votre bâtonnat que j’ai eu l’honneur de vivre à vos côtés, c’est que rien ne peut vous résister ou vous restreindre ; vous êtes irrésistible,  cela dit sans restriction. Irrésistiblement,  seize fois, vous avez imposé à votre corps la course légendaire de 42 km 195. Cà c’est le côté jardin ; côté cour aussi, les dossiers peuvent être complexes, difficiles à se dénouer, vous tenez la distance, vous ne lâchez pas prise, vous voulez arriver à la ligne d’arrivée, et en bonne place. On ne peut pas traverser une rivière en deux fois ? Soit, vous la traversez d’une traite. Je pense au dossier de la couverture « revenus garantis » des avocats. Il fallait que vous m’en parliez toutes affaires cessantes, le soir du 29 août 2014. Pour recueillir mes avis ? j’ai des doutes. Vous êtes sorti résolu de notre espèce de non-conversation. Résolu à obtenir une couverture à de meilleures conditions.  Et vous l’avez obtenue, même si, et vous venez de le rappeler, vous n’étiez pas seul pour y arriver… Marathonien, il faut certainement en avoir l’opiniâtreté et la ténacité pour mettre son énergie et sa force de persuasion dans le projet de fusion des Ordres. Vous en avez appelé à la logique et à la cohérence : les Ordres doivent s’adapter à la nouvelle carte des juridictions. Vous n’êtes certes pas le seul à plaider pour une réforme des Ordres. Luc MARECHAL, dans un article resté célèbre pour ses comparaisons chocs, Eric LEMMENS et André DELVAUX dans leurs discours d’investiture, et bien d’autres encore ont alerté sur l’absurdité passéiste de conserver des Ordres locaux. Monsieur le Bâtonnier, vous souhaitiez une plus grande professionnalisation de notre Barreau. Je me rappelle ce 2 septembre 2013, jour de la rentrée de la Cour d’appel de Liège. Est présente la Ministre de la Justice, Mme TURTELBOOM. C’est aussi le premier jour de votre bâtonnat. Et voilà que les BAJ partent en grève. La gestion de cette situation délicate engagera le ton et l’esprit de votre bâtonnat. Vous rappeliez avec éclat dans la conclusion de votre intervention qu’ « on ne peut, sans fin, pousser le dévouement jusqu’à la perte financière sans porter atteinte à la qualité du service qui est l’élément fondateur de la loi du 23 novembre 1998 relative à l’aide juridique ». Et d’inviter sans ambages, la clé du cadenas dans votre poche, la Ministre de la justice à vous suivre dans les locaux insalubres du BAJ.   En passant dans l’ancien greffe du Tribunal de Première Instance, vous vous êtes exclamé en ces termes : « Nous allons passer du gourbi au 5 étoiles ». Malheureusement, votre volonté n’a pas eu raison de tous les obstacles, et singulièrement des obstacles administratifs, mineurs mais kafkaïens, qui empêchent encore à l’heure actuelle le BAJ de disposer de ses nouveaux locaux : il en va de même du déménagement du mess des avocats dans l’aile nord et du service financier dans l’aile sud du Palais : pour le mess, ainsi que vous l’écriviez le 22 mai dernier, il s’agit donc de faire accepter un devis pour permettre d’installer l’arrivée et la sortie d’eau… Monsieur le Bâtonnier, je ne  révèle pas un secret en rappelant que vous estimez le monde judiciaire particulièrement conservateur, pire tourné sur lui-même. Vous avez voulu ouvrir les fenêtres de l’Ordre sur le monde extérieur. Vous êtes convaincu que dans cette société aux relations complexes, où l’influence joue un rôle déterminant, les avocats ne peuvent rester inertes. Vous êtes persuadé que notre profession ne pourra plus se faire entendre à suffisance dans les dossiers-clé de la Justice, non plus qu’elle ne pourra, de manière plus générale, défendre ses principes et son avenir. Et vous l’affirmez dans votre langage direct et imagé : « En matière de lobbying, on est nul et on est nulle part. » De ce nulle part, vous voudrez faire sortir notre profession pour poser les jalons de sa communication. Alors vous rencontrez nombre de politiciens à tous les étages: local, parlementaire, gouvernemental.  Vous gardez votre libre-arbitre, votre indépendance d’esprit, qui vous amènent à poser des jugements parfois brutaux mais jamais dénués d’humour sur notre personnel politique. Vous direz d’un Ministre de la Justice qu’il a « disparu des écrans radars », d’un autre qu’il est « sous monitoring». Le 11 mai dernier, votre persévérance a accordé aux Barreaux de la Province de LIEGE le privilège d’être les premiers à accueillir le Ministre de la Justice, Koen GEENS. Un homme à l’écoute, mais déterminé à ne pas se laisser détourner du chemin qu’il s’est tracé. Un homme ambitieux dans les réformes qu’il veut mettre en œuvre, bien que conscient – et peut-être résigné – à ne pouvoir compter sur des moyens financiers supplémentaires ;  un homme qui nous annonce réformer la justice par un triple saut…Le monde judiciaire, quant à lui, ne peut se résoudre à accepter de telles limites. Je sais, Monsieur le Bâtonnier, que le Barreau pourra compter sur votre appui pour que l’avocature se fasse entendre sur ces questions cruciales. Monsieur le Bâtonnier, je ne peux pas non plus passer sous silence votre investissement dans le soutien et l’organisation de colloques pointus et prestigieux. A en avoir organisé autant dans ce nouveau lieu de la vie liégeoise qu’est « la Cité Miroir », on aurait pu vous en croire membre du Comité de programmation. Pour citer le dernier d’entre eux, vous étiez le 4 mai aux côtés de Maîtres Luc MISSON et Laurent STAS de RICHELLE lors du colloque sur le Droit du sport, lequel envisagea notamment, avec originalité, acuité, et parfois provocation, la problématique du dopage par rapport au respect dû aux droits fondamentaux. Sur le thème du dopage, nous sommes passés du regretté Tom SIMPSON à la « chanceuse » Charline VAN SNICK, pour reprendre les propos de Me Jean-Luc FLAGOTHIER. L’espace d’un instant, nous avons même imaginé l’irruption de Michel POLLENTIER et de sa poire magique, souvenir d’un soir de honte nationale à l’Alpe d’Huez le 16 juillet 1978. A côté de ces dossiers emblématiques de votre détermination et de votre sens de la décision, vous avez œuvré dans la discrétion pour contribuer au vivre mieux de nos confrères. Vous avez réglé, avec autorité, discrétion, clairvoyance et finesse, les incidents quotidiens qui émaillent la vie d’un Barreau de près de 1000 avocats. Vous avez organisé le « coaching » de nos confrères en difficulté. De même, vous avez veillé à ce que certains d’entre nous puissent bénéficier d’interventions. Vous avez voulu une revalorisation des rémunérations du personnel de l’Ordre. Vous avez poursuivi les efforts de votre prédécesseur pour l’adaptation et l’amélioration du contrat de stage. Ou encore, vous avez alimenté la réflexion sur la nécessaire amélioration de la gestion  du contentieux des honoraires.   

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L’être humain ne se dévoile que dans ses actions, dans sa manière de peser sur le cours des choses, si modeste soient-elles. Nous savons que les mots engagent le destin d’hommes et de femmes qui s’en remettent à nous, à nos mots. Ceux-ci sont notre première et déterminante action. Le Bâtonnat, l’investissement dans l’ordre de notre profession, nous fournit l’occasion de nous révéler sous un autre visage, dans une nouvelle force. Monsieur le Bâtonnier RENETTE, votre Bâtonnat nous a donné à voir un homme grand par ses convictions, riche de son humanité, fort de ses engagements, puissant dans son action. Vous avez donné des idées à votre successeur pour qu’il en fasse un instrument de liberté et d’action ; oui oui, nous continuerons à semer.

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Les « psy » disent qu’en parlant des autres on parle de soi. Pour ma part, j’aimerais souligner quelques figures, celles qui ont inspiré ma vie d’avocat. L’itinéraire de nos vies le vérifie souvent : les premières expériences laissent un souvenir particulier, surtout si elles vous ont rendu plus riche. A ce sujet, je me reconnais une qualité…peut être deux- on verra à la fin ;  je disais que je me reconnais la qualité de partager avec mes confrères mon admiration pour certains grands avocats. Je ne sais plus qui a dit qu’il y a les bons avocats et les grands avocats : soyons les bons. Ceux dont je vous parle sont grands et bons. Je pense à Michel FRANCHIMONT. Monsieur le Bâtonnier, le premier souvenir qui m’est venu à l’esprit - comme quoi la mémoire est parfois farceuse - c’est le titre de la revue sous votre Bâtonnat : « Les 600 Franchimontois », Votre nom, la coïncidence entre le nombre d’avocats et celui des résistants au roi de France et à Charles le téméraire,  avaient fait le larron. Mais ce titre disait aussi que chaque avocat de ce Barreau vous est redevable de quelque chose. Monsieur le professeur, quand je suivais vos cours à la faculté de droit, j’avais peine à imaginer que ce pédagogue brillant et patient pouvait se muer en un avocat pugnace. Monsieur la Bâtonnier, quand je vous voyais plaider, j’oubliais le professeur. Je n’ai cessé d’éprouver bien des difficultés à faire coïncider les deux faces de votre personnalité professionnelle. Sans doute que rarement la catégorie administrative de « professeur extraordinaire » n’aura aussi bien convenu à celui qui l’endossait. 

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 Comment le dire sans paraître confus ? En la personne du Bâtonnier DELVAUX, je trouvai mon deuxième premier bâtonnier. C’est en effet lors de ce Bâtonnat, entre 1999 et 2001, que je siégeai pour la première fois au Conseil de l’Ordre.  A vos côtés, Monsieur le Bâtonnier, j’ai appris l’exigence intraitable vis-à-vis de soi-même. Vous ne vous ménagez pas, ne vous contentez pas de demi-mesure ou d’approximation. Une volonté d’excellence qui se joint à une obstination sans faille. Vous allez à l’extrême de vos réflexions, pénétrantes, aigües, battantes, sur bien des sujets. Vous allez aussi jusqu’au bout de ce que vous entamez, comme l’a prouvée votre action à la tête de l’Ordre. Je retiens aussi comme leçon de vie la confiance que vous accordez sans mégotter à ceux qui peuvent s’en montrer digne. Encore une fois, pas de demi-mesure. De votre action, je voudrais relever vos efforts pour le regroupement des forces. Vous aviez peine à comprendre que des avocats refusent l’association avec d’autres confrères. Vous avez aussi, en avance sur votre temps, plaidé pour le regroupement des Barreaux, bien conscient que la dispersion des forces sur plusieurs unités morcelées ne pouvait plus assumer, dans un monde chaque jour plus ardu, la défense de notre profession. Vous avez aussi souhaité une réforme de la structure interne de l’Ordre, notamment par la création d’un comité de direction ; j’y reviendrai…

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Monsieur le Bâtonnier MARECHAL, votre simplicité directe, sans concession, votre noble vision de notre profession, ont marqué votre Bâtonnat, et moi plus particulièrement, comme en témoigne la citation que j’ai mise en exergue de mon intervention et qui est extraite de votre discours d’investiture, prononcé il y a 14 ans.  Mais, dussé-je paraître iconoclaste, c’est le football qui nous a liés. Quand j’ai prêté serment, vous étiez le président du F.C Barreau, champion du monde. Je l’avoue, sans honte et même sans aucun embarras, le président du F.C Barreau, me paraissait alors tout aussi important que le Bâtonnier. C’est ton indéfectibilité à notre Barreau qui m’a conduit tout naturellement à te demander d’être l’ancien bâtonnier du Conseil de l’Ordre… Pour certains, tu es la Rolls-Royce des anciens bâtonniers en habits de belle-mère [2] mais, pour moi, tu seras plutôt un grand frère, mais je ne voudrais avoir la prétention de partager avec toi le même lien qui t’attachait si profondément à François PIEDBOEUF, dont tu disais qu’il était « le frère » que tu n’as jamais eu.[3]

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Monsieur le Bâtonnier THIRY, hélas ou heureusement, vous choisirez, je n’ai pas de souvenir de ballon rond avec vous. Plus sérieusement, vous m’avez impressionné par votre combat tenace pour soutenir l’aide juridique. Le fait remarquable, c’est que vous avez toujours été fidèle – indéfectible - à vos premiers engagements. Vous êtes en effet définitivement lié à la mise en œuvre de la loi du 23 novembre 1998 qui transforma le PRODEO en aide juridique. Monsieur le Bâtonnier, j’ai fait partie de votre Conseil lors de votre première année de Bâtonnat. Je n’ai pas renouvelé mon mandat pour la deuxième année. Ce qui m’a valu une flèche bien pointue de votre carquois lors de votre discours intermédiaire. Vous avez dit, lors de l’AG de 2006 : « François DEMBOUR apprécie les longs échanges au tennis mais pas au Conseil » Je ne peux que l’admettre, mais je veux simplement ajouter qu’au tennis aussi j’essaye de raccourcir les échanges pour les gagner plus vite.  

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Le meilleur moyen d’être ennuyeux, c’est de ne rien vouloir omettre, disait Voltaire.Messieurs et Madame les anciens bâtonniers, c’est la faute à Voltaire si je suis interdit de m’arrêter sur chacun d’entre vous qui avez, dans votre originalité propre, marqué votre temps et notre Barreau. Je vous ai rencontré un à un au printemps dernier. Me revenait alors à la mémoire les initiatives que vous aviez prises durant votre Bâtonnat, l’héritage que vous avez laissé. Chacun et chacune m’avez encouragé et soutenu dans ma démarche. Sachez que je vous en suis très reconnaissant et que je m’emploierai à me montrer digne de votre confiance.

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Je dois dire l’importance qu’eurent, dans mon itinéraire d’avocat, Mes Jean-Jacques GERMEAU et Noël SIMAR. Maître GERMEAU, ce sera la 3ème fois cette semaine mais je revendique le droit de m’adresser à vous.  Maître GERMEAU, comment pourrais-je mieux vous cerner qu’en rapprochant votre influence de celle de Jacques VAN YPERSELE, qui fut pendant près de 30 ans le Chef de Cabinet de deux rois successifs, ce qui lui valut le surnom de « vice-roi » ?  Oui, vous avez été, pendant plus de 20 ans, le VAN YPERSELE du Barreau de Liège. Membre du Conseil de l’Ordre à 11 reprises (répertoriées…), vous avez travaillé dans l’ombre des bâtonniers, gérant et réglant en permanence les incidents quotidiens entre confrères, partageant une expérience qui, en de multiples occasions, a conduit aux bonnes décisions et à l’apaisement. Nul besoin d’en ajouter pour que chacun comprenne qu’être stagiaire à vos côtés constituait une chance et un privilège. Je peux en parler d’autant plus aisément que moi-même ai été l’un deux. Je n’oublierai évidemment jamais que vous m’avez accueilli, je pourrais dire recueilli, après quelques premiers mois de stage désastreux. Vous deviez me conseiller, vous m’avez engagé, donnant à ma vie professionnelle une orientation dont je me félicite tous les jours.   Maître GERMEAU,  vous avez formé des générations d’avocats, dont beaucoup se trouvent dans cette salle, à l’exemple de Maître Jean-François DERROITTE, qui vient d’accéder à la présidence du Jeune Barreau. Votre écurie est désormais bien représentée dans les instances de notre Barreau. Maître GERMEAU, vous avez accédé à l’honorariat le 1er juillet 2012, après une carrière très dense, qui n’a cessé, comme je l’ai rappelé, de servir l’intérêt de notre Barreau. En vérité, dois-je parler de votre influence au passé quand on peut encore vous croiser tous les mardis matin au Bâtonnat ? Vous m’accordez la faveur de rester actif durant deux ans encore. Nul doute que votre expérience épaulera et guidera mon action quotidienne.

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Dès 1986, après deux ans de Barreau et un mundiavocat, j’ai eu la chance de rejoindre un grand Cabinet liégeois, place des Nations Unies. Maître SIMAR, ce furent 8 très belles années pendant lesquelles, grâce à vous, j’ai fait le tour de tous les tribunaux de police de Wallonie; vous m’avez initié et permis d’appréhender les arcanes du droit des assurances, et pas seulement les subtilités juridiques liées aux conséquences de l’ivresse mondaine au volant. Je profite de cette occasion unique, Maître SIMAR, pour m’ouvrir d’un doute sur lequel je n’ai jamais osé m’ouvrir à vous. Vous me faisiez une confiance absolue. Quand je venais vers vous partager ou prendre conseil sur mes conclusions, vous me disiez « C’est parfait » ou « Oui, oui, très bien, très bien ». Alors, était-ce parce que vous teniez mes capacités en grande estime ou, ce qui est plus probable, parce que vous manquiez de temps à consacrer aux affaires, disons plus mineures, du jeune avocat que j’étais alors ?  20 ans ont passé et je me pose toujours la question.

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Ainsi que l’a écrit récemment notre Bâtonnier, « curieuse époque où notre profession et la justice en général sont vampirisées par le ministre de l’économie ou celui du budget » [4]Je suis attaché à l’efficacité, et donc à l’efficience de l’action de notre Ordre et de notre Barreau. Le Barreau en général réfléchit sur lui-même, penchant, voire travers, qui n’est pas propre qu’aux avocats puisqu’il se retrouve dans beaucoup de communautés professionnelles comme le soulignait Louis ASSIER-ANDRIEU : « Il n’y a pas de communauté professionnelle qui puisse porter sur elle-même un regard neutre, et la communauté des avocats n’échappe pas à la règle ».[5] Monsieur le Ministre GEENS l’a annoncé en  avant-propos de son « plan justice » par une séduisante métaphore sportive : « la justice sera réformée par un triple saut »[6]. Et comment lui donner tort ?  C’était il y a près de 20 ans, à Göteborg, le 7 août 1995, dans le concours magique des mondiaux, que Jonathan EDWARDS montra par sa fluidité dans le mouvement et son équilibre combien le triple saut avait été délaissé à tort. La marque de ce nouveau record du monde à ce jour inégalé ? 18 m 29…à quelques centimètres près la longueur de cette salle… Mon action s’articulera également autour d’un triple saut ; le saut initial, le « hop »: l’organisation du Barreau ; la foulée, le « step » : la transformation des avocats ; le saut final, le «  jump » : l’image de l’avocat. Nous passons du marathon au triple saut …

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Premier saut : le « hop » : l’organisation du Barreau. Deux chantiers : la mise en place du comité de direction et l’organisation externe du Barreau. Premier chantier du premier saut. On n’organise pas un Barreau de 1000 avocats comme un Barreau qui en compte 500. Un Bâtonnier doit s’entourer et organiser une indispensable délégation et collégialité. Si le Conseil de l’Ordre l’approuve, nous mettrons en place le Comité de Direction, avec le souci d’une nécessaire professionnalisation.Il faudra encore débattre du défraiement : tout avocat doit avoir la possibilité de briguer cette fonction – et d’autres - au sein de notre Ordre. La constitution de cet organe exécutif réduit autour du Bâtonnier sera l’une des anticipations du projet de protocole d’accord entre les Barreaux de Verviers et de Liège, lequel préconise par ailleurs l’élargissement du Conseil de l’Ordre en une assemblée de réflexions et d’orientation des positions défendues par son Bâtonnier au sein de l’assemblée de l’Ordre communautaire [7].   Deuxième chantier du premier saut : l’organisation externe du Barreau. L’article 430 du Code Judiciaire dispose que « chaque Barreau ou Ordre s’organise auprès d’une division du tribunal ou près du tribunal de l’arrondissement ». Nous savons que le dialogue avec le Barreau de Verviers a été interrompu, tandis que nos confrères hutois participeront à notre réflexion à partir du mois de septembre. Je proposerai au Conseil de l’Ordre et aux Bâtonniers BAIVIER et DESTEXHE de reprendre et d’intensifier nos travaux. Nous veillerons aussi à une meilleure complémentarité et cohésion de l’action de notre Barreau avec celle d’Avocats.be, qui doivent notamment se concrétiser par des tâches utiles, non redondantes et réparties sur les nombreux dossiers phares d’Avocats.be.

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Deuxième saut : la foulée, le « step »si vous me suivez toujours : l’accompagnement de la « grande transformation des  avocats », comme la nomme Thierry Wickers.[8] La société change : notre métier doit s’adaptersous la pression d’une libéralisation plus grande . Les avocats sont confrontés à une « déferlante » de nouveaux concurrents . Comment réagir ? Les coauteurs du rapport Horizon 2025 proposent 3 solutions : «  l’excellence, l’excellence et l’excellence ».[9] Sélectionnons et entretenons 3 excellences.    
  1. Première excellence : la qualité de nos prestations. L’idéal serait que tous les avocats soient spécialistes en tout, mais ce n’est pas possible .Le Ministre GEENS nous a dit il y a quelques jours que l’avocat doit tout d’abord être généraliste « en tout »puis devenir spécialiste. La spécialisation ne peut se développer que sur un socle solide de compétences. La formation initiale restera au centre de mes préoccupations. Le Conseil de l’Ordre, en liaison étroite avec le centre de formation professionnelle, suivra les travaux initiés par la Commission  formation initiale d’Avocats.be quant à la refonte du règlement relatif à la formation initiale des stagiaires.Dans l’immédiat, il convient de réformer le système ancestral des cotations et des dispenses ; s’agissant du socle de compétences à acquérir par nos plus jeunes confrères, outre l’irremplaçable déontologie, il devrait inclure l’indispensable acquisition d’outils tant dans la gestion d’un cabinet que dans la communication  orale et écrite [10].  
  2. Deuxième excellence. Des avocats médiateurs, et il y en a, voilà encore de la valeur ajoutée. Il s’agit maintenant d’aller au-delà de la première approche et de former les avocats afin qu’ils puissent accompagner efficacement  leurs clients lors des médiations.Pour ajouter encore de la valeur, je porterai le projet de cycle de formation de l’avocat-conseil en médiation. Il sera mis en place à partir de ce mois de septembre par le centre de médiation de notre Barreau.
  3. Troisième excellence : il ne suffit pas de dire que l’on doit se transformer, il faut le faire et le faire savoir ; oui, innovons et ambitionnons !Je me réjouis déjà des riches confrontations d’idées de « l’association momentanée » des commissions « déontologie » et « Barreau-entreprises », et dont nous débattrons le 20 novembre prochain. Maître CULOT, mon cher Philippe, vous êtes notre maillot jaune : je  te remercie pour ce que tu as déjà fait et pour ce que tu feras encore. Je proposerai au Conseil de l’Ordre de soutenir les nombreuses initiatives de la commission « communication  et technologies de l’information », telles que le projet pilote pour le dépôt électronique des conclusions, la poursuite des formations à la communication, la finalisation à la rentrée judiciaire du projet d’offre aux justiciables de quelques modèles de contrats.
   Troisième saut : le « jump » : l’image de l’avocat. Ils ont dit : -Théo FRANCKEN, secrétaire d’état à  la migration,  dans le Vif/L’express du 31 octobre 2014 : « les avocats peuvent se remplir les poches en essayant de trouver toutes sortes de subterfuges légaux » ; -La députée Karine LALIEUX en Commission Justice de la Chambre le 3 mars 2015: « Les malversations et les collusions entre avocats et juges de paix sont nombreuses. Que fait-on dans ces cas-là ? » ;  -Le procureur dans le procès d’Eva, jugée pour sorcellerie[11] : « Nous ne pouvons nous embarrasser d’un de ces individus querelleurs, malveillants, chicaneurs et corruptibles ».

Réagissons !

  1. Monsieur le Bâtonnier RENETTE, vous aviez assigné comme feuille de route ambitieuse à la commission «l’avocat dans la cité » d’élargir notre zone d’influence à la région. Vous poursuiviez déjà résolument dans la voie  tracée par vos prédécesseurs.[12]Il y a quelques jours, vous avez concrétisé cette ambition en mettant en place un comité permanent réunissant, au niveau de la Province, les Barreaux et les intervenants politiques. Complémentairement à cette initiative, et sous l’impulsion de la commission « l’avocat dans la cité », nous mettrons en place des tables rondes, ouvertes notamment au monde associatif. Nous pourrions également nous insérer dans les groupes politiques de réflexion dont Madame la députée Muriel GERKENS nous avait entretenus lors du Conseil de l’Ordre du 4 novembre 2014, si tant est qu’ils acceptent des individus querelleurs, malveillants, chicaneurs et corruptibles.
  2. En ce qui concerne le contentieux des honoraires, l’objectif est triple : efficacité, lisibilité et transparence. Je voudrais l’aboutissement du projet de diffusion élargie interne et externe des avis en matière d’honoraires reprenant les éléments-clés de la jurisprudence du Conseil de l’Ordre en la matière; Me Thibault MATRAY piaffe d’impatience…
  3. Notre barreau a toujours été précurseur en matière d’aide juridique :Lors du congrès du 29 mai, un jeune avocat quelque peu désabusé s’est fait l’écho des critiques de plus en plus vives et répétées de la part des justiciables, selon lesquelles l’avocat qui pratique l’aide juridique est un sous-avocat, un avocat de seconde zone. Maître MASCART, oui vous êtes un avocat frondeur et principautaire : l’expérience-pilote que vous avez présentée au congrès d’Avocats.be le 29 mai m’intéresse : proposons donc la structure autonome d’avocats salariés, lesquels seraient affectés exclusivement au service de l’aide juridique, mais en totale indépendance fonctionnelle, dans le respect du secret professionnel. Au-delà de cette expérience pilote, oserons-nous ensemble et avec le Conseil de l’Ordre examiner concrètement la possibilité d’engager un directeur de l’aide juridique ? 

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  ’était mon ambition de dire en 10 phrases ce que d’autres disent en un livre ; il aurait fallu  être Nietzche pour le dire et surtout pour le faire. .. j’en termine maintenant : donnez-moi encore quelques instants :

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 Je me réjouis déjà de travailler avec ceux et celles qui composeront le Conseil et les commissions de l’Ordre à partir du 1er septembre 2015 ; mes pensées vont également – et  ils savent ce que je pense– à ceux qui se sont portés candidats et qui n’ont pas été élus. De mes premiers et nombreux contacts, je mesure déjà la volonté enthousiaste de chacun de se mettre au service de notre Barreau. Je sais par ailleurs déjà pouvoir compter sur le personnel très concerné de l’Ordre, qui, comme toujours, nous aidera, par sa compétence et son dévouement sans faille, à mener à bien nos tâches.

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Le Bâtonnier ne peut travailler que s’il est débarrassé de toute inquiétude sur la bonne marche de son propre Cabinet. Je sais qu’avec vous qui êtes là, ces inquiétudes sont déjà levées. Ces deux années futures vont être intenses pour vous aussi. Votre travail et vos encouragements seront décisifs.  Je vous en suis déjà reconnaissant, et croyez bien que nous nous verrons régulièrement. J’adresse un clin d’œil à Mes Léon LEDUC et Julie DECONINCK : ils savent évidemment pourquoi. J’ai dit ce que je devais à mes aînés. Mais si on peut choisir ses influences professionnelles, on le sait, on ne choisit pas sa famille. Je suis du côté des chanceux. De mes parents, j’ai le souvenir d’une confiance bienveillante et affectueuse pour les choix que j’ai pu poser. Mes frères et sœurs perpétuent autour de moi cette même chaleur et émulation. Je voudrais simplement dire à mes enfants que leurs vies harmonieuses m’ont donné une liberté d’esprit et une énergie bien précieuses pour m’accomplir dans mon métier et pour investir avec force mes années de bâtonnat. Sans doute plus qu’à moi, nos enfants sont redevables à Marie-Anne du climat qui leur a permis de s’épanouir. Ils trouvent chez leur mère une écoute, une complicité, une souplesse d’esprit et de tempérament tout à fait propices à se forger une confiance en eux-mêmes. Ce sont  ces qualités dont j’aurai  bien besoin dans les deux ans à venir.  Je sais que je peux compter sur toi, Marie-Anne. Avec l’autorisation de Monsieur le Bâtonnier, je clôture l’assemblée générale de notre Barreau. Je vous invite à rejoindre la deuxième cour où le traditionnel vin d’honneur nous attend.
[1]Luc-Pierre MARECHAL, discours du 21/06/2001, page 15
[2]Eric LEMMENS, discours du 21/06/2012, page 3
[3] Luc MARECHAL, discours du 21/06/2001, page 1
[4]André RENETTE, le mot du Bâtonnier, in Open Bar, mars 2015, page 7
[5]Louis ASSIER-ANDRIEU, LA-A, les Avocats : identité, culture et devenir, Gazette du Palais, LEXTENSO, 2011, page 7
[6]Plan Justice de Koen GEENS, Avant-Propos, 2015, page 3
[7]Propositions d’André DELVAUX du 26/01/2015
[8]Thierry WICKERS, la Grande transformation des Avocats, essai, Dalloz, 2014
[9]Rapport final Horizon 2025, page 10
[10] Rapport final Horizon 2025, page 36
[11] Jean-Pierre BOURS, « Indulgences », Editions Hervé Chopin, 2014, page 115
[12]André RENETTE, discours du 20 juin 2013, pages 12 et 13