Allocution prononcée par Madame le Bâtonnier Isabelle Tasset à l’occasion de la prestation de serment des stagiaires du 20 septembre 2017

Monsieur le  Président, Madame et Monsieur les Conseillers, Madame le Procureur Général, Madame et Messieurs les Bâtonniers, Mesdames, Messieurs, Mes chers Confrères, Chers nouveaux Confrères,

 

Finie l’Université. C’est un poids en moins sur vos épaules. Ce sont cinq années de travail, ou plus, qui vont être remplacées par …  quarante- cinq années de travaux… quarante- cinq au moins. Ce titre d’avocat vous le portez depuis quelques secondes. Je veux que vous en soyez fiers. Et chaque lettre qui compose le mot « avocat » me servira de guide pour vous accueillir dans cette belle profession.      D’abord la lettre  A     A comme adhésion à une communauté. Il y a quelques mois, le PDG de Facebook, Marc Zuckerberg dans son discours aux diplômés de l’Université de Harvard leur disait : « Lorsque mes parents obtinrent leur diplôme, le travail, l’Eglise ou la communauté donnait sens à leur vie. Aujourd’hui l’adhésion à la communauté est en déclin. » Vous me direz que  Zuckerberg, c’est un vieux. Un vieux de trente-trois ans. Cela ne l’empêche pas d’avoir raison.   Sauf pour nous car, nous les avocats, nous formons une communauté. Einstein disait que « pour être membre irréprochable d’une communauté de mouton, il faut avant toute chose être soi -même mouton ». Il avait raison, mais relativisons. Nous sommes d’un individualisme forcené. Et d’un autre côté nous avons nos règles, notre déontologie qui est commune à tous. Nous sommes aussi une des seules professions à former en son sein ses concurrents et à forcer ses membres à respecter des valeurs.     Dans le mot avocat il y a aussi V   V comme valeur. Selon des études récentes, votre génération est l’une des plus pacifiques et des plus charitables. C’est aussi notre tradition, vous serez à l’aise. Nous comptons sur vous pour la moderniser et encourager les méthodes pacifiques de résolution des conflits. Quant à la charité, si au début du siècle dernier, l’on trouvait acceptable que l’honoraire se limite à l’expression de la reconnaissance du client, ce n’est plus tenable. Malheureusement c’est encore souvent ainsi. Nombre d’avocats font vivre le métier, mais le métier ne les fait pas vivre tous. Mais je veux être optimiste, votre serment ne contient pas le vœu de pauvreté.   Car dans le mot avocat il y a aussi la lettre O O comme opportunité Vous entrez dans la profession à un moment où elle est confrontée à la disparition de nombreuses tâches qui elles sont remplacées par l’intelligence artificielle. Chaque génération a ses méthodes de travail. Vous vous y sentirez à l’aise. Je vous invite à vous investir dans les Commissions, les réflexions sur l’évolution de la profession, dans la formation continue. Un avocat avait coutume de dire à ses stagiaires que les chiens n’aboient pas après des voitures qui sont garées. Il voulait leur dire de bouger, de rencontrer des gens, de s’investir dans des activités sociales. Veillez à votre but qui est aussi celui de vous émanciper du confort de votre stage. Vous ne voulez pas vous réveiller un jour pour constater que vous avez contribué à ce qu’un autre  atteigne son but  et que vous avez ignoré le vôtre.   Je n’ai pas encore parlé de chance. C’est la quatrième lettre du mot avocat   C   comme chance. « Nous savons tous » disait encore Zuckerberg « qu’il ne suffit pas d’avoir une bonne idée ou de travailler dur pour réussir. La réussite est aussi liée à la chance. Et il ajoutait « certains ont pu entreprendre des études grâce à leurs parents. …certains vont réussir car ils ont des filets de sécurité » C’est vrai dans notre profession. Certains ont des parents avocats. Certains ont des maîtres de stage qui les rémunèrent généreusement. D’autres n’ont rien de tout cela. Ils feront leur stage « à la débrouille ».   Sur un point ils sont à égalité avec les plus chanceux. Comme stagiaire, devant le juge, vous aurez beau avoir préparé votre dossier, rien ne vous prépare pour affronter un adversaire qui a prêté serment avant que vous ne soyez né. Ne vous en faites pas, un jour vous serez cet adversaire. C’est cela l’expérience. Nous avons mis en place une commission du stage très à l'écoute des stagiaires qui rencontrent des difficultés, elle est là pour vous aider et ma porte vous sera toujours ouverte.   J’en viens à la lettre  A   A comme apprentissage. Vous avez la  chance d’avoir un maître de stage, vous constaterez que votre maître de stage c’est quelqu’un qui est en retard quand vous êtes en avance et qui arrive avant quand vous êtes en retard. Votre maître de stage peut être la personne la plus délicieuse, mais il a un cabinet à faire marcher. Or au début, 10% de votre travail aura de l’utilité pour lui mais 90% de la manière dont vous prenez les critiques aura de la valeur pour vous et vous permettra de progresser. Je ne crains pas de faire l’éloge de l’erreur car c’est de vos erreurs que vous apprendrez le plus.   J’en arrive à la dernière lettre du mot avocat   T   T comme temps. Qui dit temps dit délais qui dit délais dit pas le temps. Les délais sont une part importante de la pratique, ils sont toujours trop courts et ne tiennent pas compte de vos autres clients ou de votre vie familiale. A un moment donné tout le monde sera fâché en même temps. Vos clients car vous tardez à leur répondre, votre maître de stage car votre travail est bâclé, votre famille car vous êtes devenus un zombie. Bref vous serez devenu ce qu’on appelle une personne désagréable. Ecoutez une bonne chanson de rap celle dont le refrain dit : « ne détestez pas le joueur, détestez le jeu ». Et puis, il y aura des moments où tout vous réussit. Ne vous habituez pas à cet état, cela aussi ça passe.     Mes chers Confrères, Vous venez de  prêter serment. La formule du serment tient dans un tweet et demi. Depuis  cet instant vous êtes avocat. Rappelez-vous, être avocat, c’est un honneur. Il s’accompagne aussi de pouvoirs extraordinaires et de grandes responsabilités.   Bonne chance !