Liquidation des sociétés commerciales
Mes François Minon et Edouard Franck, avocats au barreau de Liège
- Introduction – dispositions légales et notions :
La liquidation de sociétés à forme commerciale est régie par les articles 181 à 196 bis du Code des sociétés.
Ces dispositions ont connu plusieurs modifications notamment en 2006 et 2012 qui visaient essentiellement à renforcer le contrôle du Tribunal de commerce sur les liquidations. Une nouvelle réforme est actuellement en cours d’adoption.
La dissolution est le mode par lequel une société prend normalement fin : elle peut être volontaire, judiciaire ou de plein droit La dissolution précède la liquidation de la société.
La liquidation est le processus qui reprend toutes les opérations rendues nécessaires par la fin d’une société (résiliation des contrats, réalisation des actifs, établissement du passif, répartition des actifs entre les créanciers, …).
Il est à noter qu’il existe des dissolutions sans liquidation notamment suite à des opérations de fusion ou de scission.
- Causes de la mise en liquidation :
- Dissolution volontaire :
La cause classique de dissolution et de mise en liquidation d’une société est la décision des associés de mettre fin à la société.
Cette décision peut être prise pour différents motifs mais le plus souvent elle résulte de la fin des activités de la société.
Dans certains cas, le Code des sociétés impose que la question de la poursuite de la société soit soumise à l’assemblée générale et ce sous la responsabilité des dirigeants. Tel est le cas notamment lorsque les l’actif net d’une société est inférieur à la moitié de son capital social.
La dissolution et la mise en liquidation d’une société sont décidées par l’assemblée générale sur base d’un rapport spécial établi par l’organe de gestion à cette fin. A ce rapport est jointe une situation active-passive datant de moins de trois mois établie en discontinuité. Cette situation active-passive doit être soumise au commissaire ou, à défaut, un réviseur ou un expert-comptable qui rend un rapport dans lequel il précise si elle reflète une image correcte de la société. Ces obligations sont sanctionnées pénalement. C’est l’assemblée générale qui désigne la personne du liquidateur sauf lorsque son identité est prévue expressément dans les statuts.
Lorsque, au moment de la mise en liquidation, il n’existe plus de dettes et si tous les associés sont présents et marquent leur accord, il est possible d’ouvrir et clôturer la liquidation dans le même acte. Dans ce cas, aucun liquidateur n’est désigné.
Tout comme l’acte de constitution, pour les sociétés à responsabilité limitée (S.A., S.P.R.L., S.C.R.L. S.C.A.), l’acte de dissolution doit être passé devant notaire sous la forme d’un acte authentique. Pour les sociétés à responsabilité illimitée (S.N.C., S.C.S, S.C.R.I.), la dissolution peut se faire par acte sous seing privé.
Les quorums de présence et les majorités pour la dissolution peuvent varier selon le type de sociétés. Pour les formes les plus fréquentes (S.A., S.P.R.L et S.C.R.L), la moitié des associés au moins doit être présente. Si ce quorum n’est pas atteint, une seconde assemblée générale devra être convoquée, elle pourra alors délibérer quel que soit le quorum de présents. La décision est adoptée aux trois quart des voix émises à l’assemblée. Il s’agit de dispositions impératives qui ne peuvent être assouplies par les statuts. Ceux-ci pourraient par contre les durcir.
Dans certains cas, le Code des sociétés prévoit des majorités moins élevées. Ainsi, dans les S.A., lorsque l’actif net est réduit à moins d’un quart du capital social, la dissolution de la société peut être décidée par le quart des voix émises à l’assemblée.
- Dissolution judiciaire :
La dissolution d’une société peut également être décidée par le Tribunal et ce dans plusieurs cas à titre de « sanction ».
- Société « dormantes » : absence de dépôt des comptes :
L’article 182 du Code des sociétés organise le système de mise en liquidation des sociétés dites dormantes.
A la demande du Ministère public ou d’un tiers intéressé, le Tribunal peut prononcer la dissolution d’une société dont les comptes ne sont plus publiés depuis trois exercices consécutifs (ce nombre sera réduit à un exercice par la réforme en cours d’adoption). L'action ne peut être introduite qu'à l'expiration d'un délai de sept mois suivant la date de clôture du troisième exercice comptable.
Lorsque la société est assignée, elle peut bénéficier d’un délai pour régulariser sa situation.
Le Tribunal peut soit prononcer la clôture de la liquidation concomitamment à son ouverture (dissolution sans liquidation) ou désigner un liquidateur judiciaire.
- Dissolution pour justes motifs :
Le Code des sociétés prévoit également que la dissolution d’une société peut être demandée en justice pour « jutes motifs » par tout tiers intéressé, c’est-à-dire tout ce qui empêche irrémédiablement la société de réaliser son objet social.
Ce mode de dissolution était anciennement utilisé comme ultime remède pour mettre fin aux conflits entre associés. Cependant, depuis l’introduction des actions en retrait et exclusion forcé, ce mode est quelque peu tombé en désuétude.
- Réduction de l’actif net de la société :
Un autre cas de mise en liquidation judiciaire est l’hypothèse où les fonds propres d’une société passent sous le montant du capital minimum autorisé.
Toute personne intéressée peut demander la mise en liquidation de la société.
Lorsqu’il est saisi d’une demande, le Tribunal a la faculté d’offrir un délai à la société pour régulariser sa situation.
- Dissolution prononcée par le Juge pénal
Ce cas est rare mais il reste possible conformément à l’article 35 du Code pénal, c’est dire lorsque la personne morale a été constituée intentionnellement aux fins d’exercer des activités délictueuses (exemple , trafic de drogues…).
- Dissolution de plein droit :
D’autre cas de dissolution existent encore :
- Arrivé à terme de la société lorsqu’il s’agit d’une société à durée limitée ;
- Nombre d’associés insuffisant dans une SC ;
- Mort ou faillite d’un associé dans le société à responsabilité illimitée ;
- Clôture de la faillite ;
- …
- Effets de la mise en liquidation :
En principe la société dissoute reste titulaire de ses droits et tenue de ses obligations jusqu’ à sa clôture.
A l’instar de la faillite, la dissolution et la mise en liquidation entrainent une situation de concours entre les créanciers, ce qui signifie un gel du passif et, en principe, l’impossibilité pour les créanciers de poursuivre individuellement des mesures d’exécution contre la société en liquidation.
Elles entrainent également le dessaisissement des organes de gestion qui sont remplacés par le liquidateur. Dans le cadre de liquidation volontaire, l’assemblée générale garde certaines prérogatives.
- Liquidateur :
Dans le cadre de dissolution volontaire, le liquidateur est librement choisi par l’assemblée. Il peut s’agir d’un dirigeant, d’un associé, d’un tiers professionnel ou non.
Il existe une limite à la liberté de choix du liquidateur. En effet, il doit être soumis au Tribunal pour confirmation. Le Tribunal vérifie que le candidat présente toutes les garanties de probité pour l’exercice de ce mandat.
Si le recours à un liquidateur professionnel n’est donc pas obligatoire, on ne peut que conseiller d’y recourir surtout lorsqu’il s’agit d’une liquidation qui s’avère déficitaire : dans ce cas, notamment, certaines difficultés techniques se présentent quant à la répartition des actifs entre les différents créanciers.
Le mandat du liquidateur peut être à titre gratuit ou à titre onéreux. Le mode de rémunération est prévu dans l’acte de mise en liquidation.
Durant toute la liquidation, l’assemblée générale reste libre de changer de liquidateur. Il faut noter que dans certaines hypothèses, le tribunal peut procéder au remplacement d’un liquidateur désigné par l’assemblée générale. Tel est le cas lorsque le liquidateur omet de respecter ses obligations et notamment de déposer au tribunal des rapports de façon régulière et que l’assemblée générale ne réagit pas.
Dans le cadre d’une dissolution judiciaire, le liquidateur est choisi par le tribunal. Dans ce cas le liquidateur ne rend de comptes qu’au tribunal qui peut seul décider le cas échéant de le remplacer. L’assemblée générale n’a, dans ce cas, pas son mot à dire.
- De la gestion de la liquidation :
A l’instar du curateur dans le cadre d’une faillite, la mission du liquidateur est de réaliser au mieux tous les actifs de la société afin de d’intéresser les créanciers et le cas échéant de rembourser le capital aux associés, voire de distribuer un boni de liquidation aux mêmes associés si le produit de réalisation des actifs le permet.
Le liquidateur n’a donc pas vocation à poursuivre les activités de la société. Une brève poursuite d’activité afin de finaliser certains contrats ou permettre une cession des activités est bien entendu possible. Elle se fera alors sous la seule responsabilité du liquidateur.
Une fois l’activité stoppée ou cédée, le liquidateur procédera à la résiliation des contrats en cours, à la vente des actifs, récupération des créances, poursuite des litiges…
En cas de cession de fonds de commerce, la société en liquidation ne bénéficie pas d’un régime particulier comme celui de la faillite. Elle devra normalement procéder aux notifications fiscales et sociales.Concernant le personnel, elle n’entre pas dans le même chapitre de la CCT 32 bis qu’une société en faillite. Il existe donc un risque de solidarité du cessionnaire vis-à-vis des dettes sociales. Une grande prudence s’impose donc.
Le liquidateur doit également être attentif au fait que certaines opérations doivent être soumises à l’autorisation préalable de l’assemblée générale. Tel est le cas notamment pour les ventes immobilières. L’acte de mise en liquidation peut cependant l’en dispenser.
- Obligations comptables et fiscales :
La mise en liquidation ne signifie pas la fin des obligations comptables et fiscales de la société. Durant toute la procédure de liquidation, la société reste soumise aux mêmes obligations comptables et fiscales qu’avant la liquidation.
- Clôture de la liquidation :
Une fois tous les actifs réalisés et le passif connu avec certitude (par les déclarations de créance des créanciers), le liquidateur préparera les comptes de clôture dans lequel il prévoira la répartition des fonds entre les créanciers en tenant compte des différents privilèges dont ceux-ci bénéficient.
Dans les liquidations volontaires, une fois les comptes établis, le liquidateur les soumettra au tribunal afin de les faire homologuer. Une fois l’homologation obtenue, il les soumettra à l’assemblée générale qui les validera et décidera la clôture de la liquidation.
L’assemblé générale statuera aussi sur la décharge à donner au liquidateur, décidera du lieu de conservation des documents de la société, de la personne chargée de procéder à la publication de la clôture ou encore de la personne chargée des démarches vis-à-vis des administrations fiscales, …
La clôture d’une liquidation ne doit pas être faite par acte authentique. Sauf dispositions statutaires contraires, elle ne nécessite ni quorum, ni majorité particulier.
Dans le cadre d’une liquidation judiciaire, le tribunal approuvera les comptes et clôturera la liquidation. Le recours à l’assemblée générale n’est dans ce cas pas nécessaire.
En cas de liquidation bénéficiaire, il veillera notamment à procéder au paiement de tous les impôts et en particulier du précompte mobilier sur le boni de liquidation.
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La mise en liquidation et l’homologation de la désignation de liquidateur doivent faire l’objet d’une publication au Moniteur belge.
La société en liquidation doit également faire apparaitre sur tous ses documents commerciaux la mention « en liquidation ».
Habituellement, les liquidateurs écrivent à tous les créanciers connus afin de les informer de la mise en liquidation et les invite à lui adresser une déclaration de créance.
Le liquidateur doit déposer au greffe du tribunal compétent un premier rapport dans les 7 mois de la liquidation et ensuite un rapport annuel qui sont consultables par les créanciers.
- Liquidation déficitaire et faillite de société en liquidation :
Recourir à la liquidation reste une alternative par rapport à la faillite même si au moment de prendre la décision, il est certain qu’une partie du passif ne pourra être honorée. On parle alors de « liquidation déficitaire ». Ce mécanisme a été validé par la Cour de cassation.
Il ne faut cependant pas perdre de vue que les dirigeants d’une société doivent en principe déposer l’aveu de faillite lorsque la société est a cessé ses paiements et que son crédit est ébranlé. Cette obligation est sanctionnée pénalement.
Une société en liquidation peut toujours être déclarée en faillite. Dans cette hypothèse, la condition d’ébranlement du crédit sera appréciée différemment, de manière spécifique. La perte de confiance des créanciers dans la liquidation et la personne du liquidateur doit être démontrée.
L’option de la liquidation plutôt que l’aveu de faillite répond généralement à des impératifs économiques : meilleure valorisation des actifs, plus grande implication et assistance du management, réputation d’un groupe dont une filiale est en difficulté, etc…
Mai 2017