Les faux indépendants

Me Sandrine Piret, avocate au barreau de Liège

 

La nouvelle loi du 25 août 2012 sur les faux indépendants est entrée en vigueur ce 1er janvier 2013

 

Ce 1er janvier 2013 est entrée en vigueur la loi du 25 août 2012, modifiant le titre XIII de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006, en ce qui concerne la nature des relations de travail (Moniteur Belge du 11/09/2012), par laquelle le législateur entend s’attaquer au phénomène des « faux indépendants », par l’application de présomptions.

 

Position du problème

 

Dans certains secteurs, il n’est pas rare de rencontrer des entreprises qui embauchent du personnel comme indépendant, ce qui permet au « donneur d’ordre » d’échapper aux cotisations sociales des travailleurs salariés, dont on sait qu’elles constituent une charge particulièrement importante pour les employeurs.

 

Le cas type pourrait être celui d’une société active dans le secteur du textile, qui fait appel à une société de nettoyage pour l’entretien de ses locaux, à une firme de gardiennage pour la surveillance de ses installations, et à un chauffeur de poids lourds indépendant pour livrer sa production à ses clients finaux.

 

Secteurs visés et critères d’appréciation

 

Le gouvernement a choisi de s’attaquer par priorité à 4 secteurs, particulièrement touchés par le phénomène, et qui sont :

 

  • le travail immobilier (à savoir le secteur de la construction);
  • les activités de transport de biens et de personnes pour le compte de tiers;
  • les activités de surveillance et de gardiennage pour le compte de tiers;
  • les activités qui dépendent du champ d’application de la commission paritaire pour le nettoyage.

 

Dans ces 4 secteurs, l’Inspection sociale pourra utiliser une liste de 9 critères, prévus par la loi pour vérifier si la relation de travail est effectivement une relation de travail indépendante; si elle constate que plus de la moitié de ces 9 critères sont remplis, la relation de travail sera présumée être exécutée dans les liens d’un contrat de travail salarié, jusqu’à preuve du contraire.

 

Les critères permettant d’identifier les « faux indépendants » sont les suivants :

  • l’exécuteur des travaux ne court aucun risque financier ou économique (absence d’investissement personnel et substantiel dans l’entreprise avec du capital propre, ou absence d’investissement personnel et substantiel dans les gains et les pertes de l’entreprise);
  • l’exécuteur des travaux n’a pas de pouvoir de décision financière;
  • il ne participe pas à la politique d’achat de l’entreprise;
  • il n’a pas le pouvoir de fixer les prix de vente de l’entreprise, sauf si les prix sont légalement fixés;
  • il n’a aucune obligation de résultat concernant le travail convenu;
  • il a la garantie d’une rémunération fixe, quels que soient les résultats de l’entreprise ou le volume des prestations qu’il a fournies;
  • il n’a pas son propre personnel, ni la possibilité d’engager du personnel ou de se faire remplacer pour l’exécution du travail convenu;
  • il ne se comporte pas comme une entreprise vis-à-vis des tiers ou il travaille habituellement ou principalement pour un seul client;
  • il travaille dans des locaux dont il n’est ni le propriétaire ni le locataire, et/ou avec du matériel mis à sa disposition, financé ou garanti par son client.

 

Pour chaque secteur, un arrêté royal pourra prévoir en outre des critères spécifiques propres.

 

Relevons que la nouvelle législation n’est pas applicable aux relations de travail familiales, c’est-à-dire aux relations de travail entre des parents et des alliés jusqu'au troisième degré inclus et entre des cohabitants ayant effectué une déclaration de cohabitation légale.

 

Cette présomption vaut donc jusqu’à preuve du contraire; elle peut être renversée par toutes voies de droit, et notamment sur la base des critères généraux fixés dans la loi du 27 décembre 2006, à savoir :

  • la volonté des parties exprimée dans leur contrat, pour autant que la mise en œuvre concrète de la collaboration y corresponde; en cas de conflit entre la qualification juridique choisie par les parties et la façon dont la convention est effectivement exécutée, c’est la qualification, telle qu’elle se révèle de l'exercice effectif de la convention, qui primera;
  • la liberté d’organisation du temps de travail;
  • la liberté d’organisation du travail;
  • la possibilité d’exercer un contrôle hiérarchique.

 

Incidence de la requalification

 

Le risque de requalification pèsera principalement sur l’utilisateur, requalifié employeur.

 

Puisque l’employeur est responsable légalement du paiement des cotisations sociales, la requalification entraînera en effet, d’une part, l’application des dispositions composant la sécurité sociale des travailleurs salariés (rectification des cotisations patronales et des cotisations personnelles dues à l’ONSS dans le régime de sécurité sociale des travailleurs salariés, sur une durée de 3 ans pouvant être portée à 7 ans en cas de fraude).

 

La requalification entraînera, d’autre part, l’application de toutes les dispositions régissant les relations de travail entre un salarié et son employeur, et notamment la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail (ce qui ouvrirait le droit à un pécule de vacances, une indemnité de licenciement et une prime de fin d’année par exemple dans le chef du « faux indépendant » requalifié), la législation sur les vacances annuelles, sur le temps de travail, etc.

 

Enfin, des sanctions pénales ou administratives sont également possibles.

 

En conclusion

 

Ces nouvelles dispositions valent pour toutes les relations de sous-traitance, en ce compris les conventions déjà existantes à la date du 1er janvier 2013, qui courent donc un risque de requalification, si plus de la moitié des critères sont remplis et que la présomption n’est pas renversée par les parties.

 

Une requalification pouvant avoir de lourdes conséquences financières, surtout pour le maître de l’ouvrage, toute entreprise qui sous-traite une activité appartenant à l’un des 4 secteurs visés doit passer au crible les contrats de sous-traitance qui ont été conclus, afin de vérifier s’ils sont en conformité avec la nouvelle législation.

 

Si aujourd’hui seuls 4 secteurs sensibles sont visés, il n’est pas exclu que dans l’avenir, la mesure soit étendue à d’autres secteurs.

 

Janvier 2013