Le licenciement des agents contractuels du service public : évolutions récentes

Maîtres Rodrigue Capart et Emeline Delbrouwire, avocats au barreau de Liège

 

L’agent contractuel occupé dans une administration ou une entreprise de droit public se trouve dans une situation juridique particulièrement complexe, au croisement du droit du travail et du droit administratif. Des controverses existent en doctrine et en jurisprudence quant à la question de savoir si l’employeur public doit obligatoirement respecter les principes généraux de droit administratif, ainsi que certains textes propres au secteur public, lorsqu’il licencie un agent contractuel. Ainsi, doit-il préalablement entendre le travailleur en vertu de l’adage audi alteral partem ? Doit-il motiver formellement l’acte administratif donnant congé, conformément à la loi du 29 juillet 1991 sur la motivation formelle des actes administratifs ?


Une première tendance essentiellement francophone considérait qu’il y avait lieu de cumuler les garanties prévues par le droit du travail et par le droit administratif. En effet, les défenseurs de cette théorie estimaient notamment que l’autorité administrative ne changeait pas de nature lorsqu’elle entreprenait ou rompait une relation même contractuelle avec un agent.



Une deuxième tendance essentiellement néerlandophone estimait au contraire que le licenciement d’un agent contractuel par un employeur public n’était pas un acte administratif mais un acte purement privé. Ainsi, l’employeur devait uniquement être soumis au droit du travail.


 

Quid de la motivation ?


La Cour de cassation a récemment été amenée à se pencher sur la question et à prendre position. Son important arrêt du 12 octobre 2015 va à l’encontre de la position adoptée jusqu’ici majoritairement par les juridictions sociales, à tout le moins francophones, qui imposaient la motivation formelle du licenciement d’un agent contractuel et l’audition préalable de l’intéressé.



La Cour y affirme que ni la loi du 29 juillet 1991 précitée, ni les principes généraux de bonne administration et plus particulièrement celui de l'audition préalable, ne s'appliquent au licenciement d'un agent contractuel occupé par un employeur du secteur public. Elle précise aussi qu'un principe général de bonne administration ne saurait faire obstacle à l'application des dispositions de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, qui n'imposent pas à l'employeur d'entendre le travailleur préalablement à son licenciement.



Il résulte de cet arrêt que, légalement, l’employeur public n’est pas nécessairement tenu de procéder à l’audition préalable de ses travailleurs contractuels avant de décider de leur licenciement, pas plus qu’il n’est tenu de motiver formellement la lettre de congé.


 

Agent d’une intercommunale


Par un arrêt du 27 septembre 2016, le Conseil d’Etat a confirmé la jurisprudence de la Cour de cassation. L’affaire portait sur le cas d’un agent d’une intercommunale qui avait été licencié sans avoir été entendu préalablement. L’intéressé avait introduit un recours gracieux auprès de l’autorité de tutelle, prétendant à l’irrégularité de son licenciement. Ce recours avait été accueilli et la décision de l’employeur annulée par arrêté de tutelle. L’intercommunale avait ensuite formé un recours devant le Conseil d’Etat. Celui-ci s’est simplement référé à l’arrêt du 12 octobre 2015 de la Cour de cassation et, estimant la controverse ainsi tranchée, a en conséquence annulé l’arrêté par lequel l’autorité de tutelle avait invalidé le licenciement.



Cette jurisprudence récente, bien que déjà relativement bien suivie par les cours et tribunaux, est vivement critiquée par une partie de la doctrine francophone du pays, selon laquelle la motivation de l’arrêt de la Cour de cassation ne convainc pas. Ces auteurs exhortent donc les employeurs publics à la prudence.



La situation en devient même paradoxale puisque contrairement au travailleur du secteur privé, l’agent contractuel du service public ne peut se prévaloir de la C.C.T n° 109 concernant la motivation du licenciement, puisque contrairement au souhait du législateur, aucun régime analogue à cette CCT n’a encore à ce jour été adopté pour le service public.



Même au sein du secteur public, les agents contractuels et les agents statutaires ne bénéficient pas des mêmes droits en matière d’audition préalable au licenciement et de motivation formelle de l’acte de congé. A cet égard, le tribunal du travail francophone de Bruxelles a récemment interrogé la Cour constitutionnelle, dans un jugement du 14 avril 2016, quant à l’obligation de l’employeur public de procéder ou pas à l’audition préalable d’un agent contractuel avant de le licencier, alors que ce droit est garanti aux agents statutaires.


 

Au tour de la Cour constitutionnelle de prendre position


Après les deux autres Cours suprêmes du royaume, la Cour constitutionnelle va donc prochainement répondre elle aussi à la question. Il est probable qu’à l’instar de ce qu’elle a décidé le 30 juin 2016 au sujet de la fin du régime de licenciement abusif des ouvriers dans le secteur public, elle recommande aux juridictions de garantir sans discrimination les droits de tous les travailleurs du secteur public en s’inspirant, le cas échéant, de la CCT n° 109.



La matière est en pleine évolution et il existe encore de réelles incertitudes, tant en doctrine qu’en jurisprudence.


 

La prudence reste donc conseillée aux employeurs publics qui souhaitent licencier un de leurs agents, en veillant :

  • à l’auditionner après lui avoir communiqué les faits qui lui sont reprochés et lui avoir donné accès à son dossier personnel ;
  • à motiver suffisamment la décision de rupture ;
  • et à conserver les preuves de l’inaptitude ou de la conduite inappropriée de l’agent ou encore des nécessités de fonctionnement du service.