Partager sur
Moteurs de recherche, réseaux sociaux : les gafa sonnent-ils le glas des droits d’auteur ?
Maître Damien Dessard, avocat au barreau de Liège
Ce droit d’auteur peut protéger des photographies mais également des dessins, des sculptures, des livres, des articles de presse, des textes de natures diverses et variées, etc.
Dès qu’un droit d’auteur peut être reconnu sur une œuvre (photographie, peinture, texte, …), le titulaire de ce droit dispose des droits exclusifs sur l’œuvre en question, lui conférant, et à lui seul, la possibilité d’exploiter sa création et de la protéger. Parmi ces droits exclusifs figurent notamment le droit de reproduction de l’œuvre ou encore le droit de communication de l’œuvre… chacun de ces droits confère, au titulaire du droit d’auteur sur l’œuvre, la possibilité d’interdire ou, au contraire, d’autoriser moyennant financement à tous les tiers généralement quelconques, d’exploiter l’œuvre en question.
Diffusion via les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple)
Ne voyons-nous pas sur les réseaux sociaux et autres plates-formes de recherches, pulluler à la vitesse de l’éclair nombre de reproductions de textes, photographies, livres ou extraits de livres… dont l’auteur est ou non mentionné et dont on ne sait si, en définitive, il a oui ou non autorisé et dans quelle condition la reproduction / la diffusion / la communication au public de son «œuvre» ?
Si cette question peut paraître anodine pour certains, il faut avoir à l’esprit que le droit d’auteur constitue la juste rémunération du travail réalisé par certaines personnes et que lorsque l’on bafoue le droit des auteurs en question en reproduisant, par exemple, leurs articles de presse sans leur autorisation et, a fortiori, sans leur verser le moindre euro, tout en en percevant soi-même une contrepartie financière (via les publicités présentes sur les sites visés), il s’agit là d’une véritable spoliation.
Prenons un exemple concret : les sites de presse qui publient les articles de leurs journalistes en ligne prennent soin de solliciter le paiement d’un abonnement à la version informatique de leurs textes pour permettre aux lecteurs de prendre connaissance des articles concernés.
Dans l’hypothèse où un abonné, qui a donc payé les droits l’autorisant à consulter un article, procède à un copier/coller dudit article pour ensuite le diffuser sur son profil via un réseau social quelconque, il peut entraîner malgré lui une diffusion et donc une reproduction bien plus large que ce qu’il n’imaginait lui-même, notamment par le biais des moteurs de recherche des plates-formes utilisant les hyperliens.
.
Réaction de l’Europe
Nombre d’auteurs s’en sont émus et le législateur européen s’est enfin emparé du problème. Il a récemment adopté une «Directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique».
L’origine de ce texte remonte déjà à 2016 et le temps écoulé pour son adoption révèle à quel point les enjeux économiques en présence sont importants, les géants du numérique faisant tout pour ne pas subir de contraintes ni de charges à cet égard.
Par ailleurs, l’adoption de cette Directive ne pouvait en soi être considérée comme une entrave à la liberté d’expression et il fallait éviter tous les pièges sur la question. D’aucun ont même associé l’adoption de cette Directive à la disparition de l’internet tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Quel est le contenu de la Directive ?
Si le texte est immanquablement issu d’un compromis, force est de constater qu’il penche malgré cela (et heureusement !) quelque peu en faveur des auteurs et éditeurs de presse et non des géantes plates-formes du numérique, les « GAFA ».
La présente note n’a évidemment pas pour but de faire un commentaire exhaustif ni scientifique des articles contenus dans la Directive, mais d’en relever certains points parmi les plus importants. Parmi ceux-ci se trouve un nouveau droit reconnu aux éditeurs de presse, lesquels se voient attribuer un droit dit «voisin».
Dans les très grandes lignes, le « droit voisin » au droit d’auteur est le droit des artistes interprètes comme les chanteurs, acteurs et autres qui disposent d’un droit non pas sur le texte même qu’ils interprètent, mais sur la façon dont ils l’interprètent.
Pour l’éditeur donc, le voici doté d’un « droit voisin » sur les articles rédigés et œuvres créées par des journalistes et/ou artistes qui en sont les auteurs. L’éditeur qui rétribue ses journalistes et créateurs pour qu’ils rédigent et créent, afin que lui-même puisse les faire paraître, se voit donc doté d’un droit exclusif de reproduction et donc de communication au public des articles et œuvres en question.
Si les plates-formes souhaitent dès lors les reproduire ou des extraits de ceux-ci, elles sont donc contraintes de rémunérer les éditeurs de presse.
La question qui vient de suite à l’esprit est dès lors : comment les plates-formes rémunèrent-elles les éditeurs de presse ?
S’agissant d’une Directive européenne qui doit dès lors faire l’objet d’une transposition en droit national, le législateur européen a laissé le soin aux différents états de régler cette question …
Si, pour la disposition précédente, qui a fait pourtant «grincer les dents» des GAFA, il n’est question que de répartition du gâteau financier, la nouveauté qui suit agace, quant à elle, clairement lesdits géants.
Responsabilité engagée
En effet, par cette Directive, les plates-formes voient leur responsabilité engagée lorsque leurs utilisateurs, à savoir « Monsieur et Madame tout le monde » et ce partout dans le monde, partagent des œuvres protégées par le droit d’auteur, sans avoir l’autorisation du titulaire du droit.
La responsabilité de la plate-forme est double dans la mesure où, d’une part il lui appartient, à elle, d’obtenir lesdites autorisations pour le compte de ses propres utilisateurs et en outre, si tel n’est pas le cas, il lui appartiendra de dédommager les titulaires des droits d’auteur qui auront vu ceux-ci bafoués. Il s’agit là d’une petite révolution dans la mesure où, à l’heure actuelle, l’utilisateur de la plate-forme est seul responsable des reproductions et autres diffusions qu’il met lui-même en ligne. Demain, avec cette Directive, la plate-forme devra en assumer les conséquences.
Très concrètement, pour cette dernière, il incombe donc aujourd’hui de solliciter des accords avec les ayants droit de toutes les œuvres qui sont diffusées via son entremise (qui dit accord, dit paiement de royalties) pour que cette diffusion puisse avoir lieu.
A défaut d’accord, elles devront bloquer la diffusion de contenus protégés pour lesquels aucun accord n’aura été trouvé (soit parce que les ayants droit le refusent purement et simplement, soit parce que les parties ne s’entendent pas financièrement).
En conséquence, dans la mesure où elles seraient responsables de la diffusion par un tiers utilisateur d’un contenu pour lequel la plate-forme n’aurait pas obtenu les droits de diffusion, celui-ci devra être censuré.
C’est en cela que certains crient à la fin de l’internet que nous connaissons aujourd’hui. Nul doute que lors de sa transposition dans les différents droits nationaux, cette Directive fera encore l’objet de beaucoup de «papiers dans la presse» !