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Marché public de services et concession de services publics : 2 notions à ne pas confondre
Maître Jean-Marc Secretin, avocat au barreau de Liège
Pour l’une comme pour l’autre, il est essentiel de déterminer s’il s’agit d’un marché public de services ou d’une concession de services publics, parce que les règles régissant ces deux notions sont différentes. La première pourra s’assurer de la validité de son offre. La seconde pourra sécuriser la régularité de sa procédure de mise en concurrence.
Régimes différents
Les marchés publics et les concessions sont régis par deux lois du 17 juin 2016, entrées en vigueur le 30 juin 2017. Elles traduisent en droit belge la réforme des directives européennes en matière de passation des marchés publics (directive 2014/24/UE et directive 2014/25/UE) et l’adoption d’une troisième directive exclusivement consacrée aux concessions (directive 2014/23/UE).
Avant cette réforme, les marchés publics de services, au même titre que tout autre marché public, étaient régis par la loi du 15 juin 2006 et ses arrêtés d’exécution. Par contre, les concessions de services publics n’entraient pas dans le champ d’application de cette loi et aucune législation spécifique n’y était dédiée. Par conséquent, les différences entre les deux régimes étaient importantes :
- les marchés publics de services étaient encadrés par des règles de passation strictes et détaillées, alors que les concessions de services étaient uniquement régies par une série de principes généraux (égalité, bonne administration, transparence administrative, motivation formelle des actes administratifs, etc.) ;
- l’exécution des concessions de services publics était librement régie par le contrat conclu entre l’administration et le concessionnaire, alors que les marchés publics de services étaient en principe soumis à l’arrêté du 14 janvier 2013 établissant les règles générales d’exécution des marchés publics et des concessions de travaux publics ;
- les soumissionnaires évincés d’un marché public de services bénéficiaient d’un régime légal de protection de leurs droits résultant de la loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l’information et aux voies de recours en matière de marchés publics, avec certaines facilités en matière de stand still ou de démonstration de l’urgence ; par contre, le candidat concessionnaire ne bénéficiait pas de ce régime et il ne pouvait intenter que des actions de droit commun en référé et/ou en ité.
L’entrée en vigueur des deux lois du 17 juin 2016 a changé la donne.
Les concessions sont à présent soumises à des règles de passation équivalentes à celles qui s’appliquent en matière de marchés publics. En outre, les candidats concessionnaires bénéficient à présent aussi du mécanisme des voies de recours spécifiques mis en place par la loi du 17 juin 2013.
Cependant, il subsiste des différences entre les deux régimes qui ne sont pas purement anecdotiques :
- en-dessous du seuil européen (5.225.000 €), les concessions de services ne sont soumises qu’aux principes généraux de transparence et d’égalité, alors que tous les marchés publics de services sont soumis à des dispositions précises imposées par la loi du 17 juin 2016, y compris les marchés inférieurs au seuil européen ;
- les règles principalement relatives aux voies de recours ne s’appliquent pas à toutes les concessions de services publics mais uniquement à celles qui relèvent de la loi du 17 juin 2016 ;
- les règles de passation applicables aux contrats de concession de services publics dont le montant dépasse le seuil européen sont plus souples que celles applicables aux marchés publics, notamment quant à la liberté pour le pouvoir public de choisir son mode de passation.
Critère de distinction
Dans un arrêt du 14 février 2017[1], le Conseil d’État s’est prononcé sur le critère de qualification entre les notions de marché public de services et de concession de services publics.
Se référant à la directive européenne qui allait très bientôt être transposée par la nouvelle loi du 17 juin 2016, le Conseil d’État a retenu le critère du risque lié à l’exploitation.
Alors que l’adjudicataire d’un marché public se contente de prester un service contre rémunération, le concessionnaire l’exploite, le gère et en assume véritablement le risque lié à l’exploitation. Ce risque peut être limité, mais il ne peut pas être nul et il doit trouver son origine dans des facteurs sur lesquels les parties n’ont aucun contrôle.
En d’autres termes, il ne peut pas y avoir de concession de services publics s’il n’y a pas de risque économique d’exploitation assumé par le concessionnaire. S’il s’agit simplement de prester un service en échange d’un prix, il s’agira d’un marché public de services et non d’une concession de services publics.
Intérêt de la distinction
Pour une commune, un CPAS ou n’importe quelle entreprise de droit public, il est fondamental de déterminer, au moment de choisir son prestataire, s’il s’agira d’un marché public ou d’une concession. Toute la validité de sa procédure de désignation en dépend puisque les deux régimes sont régis par deux lois différentes.
Pour toutes les entreprises privées, prestataires de services, susceptibles d’être concernés par ces procédures de mise en concurrence, il est nécessaire de vérifier si l’administration a bien appliqué les lois en vigueur et le critère de qualification retenu par le Conseil d’État. En effet, si l’administration applique par exemple le régime de la concession de services publics alors qu’il s’agit plutôt d’un marché public de services, l’entreprise privée qui se porte candidat concessionnaire devra savoir :
- que son éventuelle désignation comme concessionnaire sera susceptible d’être remise en cause dans le cadre d’une procédure de recours qu’intenterait un concurrent évincé ;
- que si au contraire cette entreprise n’est pas retenue, elle pourra faire échouer la procédure d’attribution de la concession en invoquant son irrégularité, ce qui contraindra l’administration à recommencer sa procédure de passation depuis le début et en respectant la loi sur les marchés publics.
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La distinction entre le marché public de services et la concession de services publics s’apparente plutôt à une nuance, mais un récent arrêt du Conseil d’État a permis d’y voir un peu plus clair en consacrant le critère du risque économique lié à l’exploitation. Aussi bien pour le pouvoir public qui attribue que pour l’entreprise privée qui participe à la procédure, il est important de vérifier que le régime légal appliqué est bien le bon. À défaut, toute la procédure d’attribution sera suspendue à un fil, sous la menace d’une éventuelle annulation.
[1] C.E., arrêt n° 237.379 du 14.02.2017, Intermédiance / ONSS.