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L’utilisation de moyens électroniques dans le cadre des marchés publics – l’article 14 de la loi nouvelle du 17 juin 2016
Maître Jean-Luc Teheux, avocat au barreau de Liège
Cette obligation s’appliquera pour les marchés dont le montant est inférieur à ce seuil à partir du 1ier janvier 2020. La présente contribution rappelle les règles applicables en la matière.
Marchés publics dont le montant est supérieur ou égal au seuil de publicité européenne
L’article 14 de la loi nouvelle du 17 juin 2016 relative aux marchés publics impose le dépôt des demandes de participation et des offres via une plateforme électronique. Le texte prévoit également certaines exceptions.
Ce principe était d’ores et déjà contenu dans les directives 2014/24/UE et 2014/25/EU, lesquelles contraignaient les États membres à assurer que les communications entre les adjudicateurs et les opérateurs économiques soient réalisées en principe par des moyens électroniques, ce qui se justifiait par le fait que l’efficacité et la transparence des procédures de passation s’en trouvaient améliorées, et que cela faisait accroître les possibilités dont disposaient les opérateurs économiques pour présenter leur demande de participation ou remettre offre sur l’ensemble du marché interne européen[1].
Cette obligation d’utiliser des moyens électroniques a néanmoins fait l’objet de mesures transitoires. Ainsi, pour les marchés dont le montant est supérieur ou égal aux seuils européens, cette obligation est applicable depuis le 18 octobre 2018. Pour les marchés qui n’atteignent pas les seuils précités, cette obligation n’entrera en vigueur que le 1er janvier 2020.
Comment cela fonctionne-t-il ?
L’article 14 de la loi du 17 juin 2016 consacre le principe de la dématérialisation des marchés publics en imposant que les communications et les échanges d'informations entre l'adjudicateur et les opérateurs économiques doivent, à tous les stades de la procédure de passation, être réalisés par des moyens de communication électroniques. Les obligations en matière d’utilisation de moyens de communication électroniques ne s’appliquent donc qu’à la communication et à l’échange d’informations entre l’adjudicateur et les soumissionnaires/candidats. Elles ne portent pas sur la communication interne de l’adjudicateur.
La notion de « moyen électronique » est définie à l’article 2.42 de la loi comme suit :
« un équipement électronique de traitement, y compris la compression numérique, et de stockage de données, diffusées, acheminées et reçues par fils, par radio, par moyens optiques ou par d'autres moyens électromagnétiques »
Cette définition, quoique technique, est extensive et comprend dès lors l’e-mail. Néanmoins, il convient de souligner qu’en ce qui concerne la réception des offres, des demandes de participation ainsi que des plans et projets dans le cadre de concours, les soumissionnaires ou candidats devront recourir à des moyens électroniques «sécurisés» dont les garanties sont précisées par l’article 14, § 7, de la loi comme suit :
« Les outils et dispositifs de réception électronique des offres, des demandes de participation ainsi que des plans et projets dans le cadre des concours, ci-après dénommés “plateformes électroniques”, doivent au moins garantir, par les moyens techniques et procédures appropriés, que :
1° l'heure et la date exactes de la réception des offres, des demandes de participation et de la soumission des plans et projets peuvent être déterminées avec précision;
2° il peut être raisonnablement assuré que personne ne peut avoir accès aux données transmises en vertu des présentes exigences avant les dates limites spécifiées;
3° seules les personnes autorisées peuvent fixer ou modifier les dates de l'ouverture des données reçues;
4° lors des différents stades de la procédure de passation, de l'exécution ou du concours, seules les personnes autorisées doivent pouvoir avoir accès à la totalité, ou à une partie, des données soumises;
5° seules les personnes autorisées donnent accès aux données transmises et uniquement après la date spécifiée;
6° les données reçues et ouvertes en application des présentes exigences ne demeurent accessibles qu'aux personnes autorisées à en prendre connaissance;
7° en cas de violation ou de tentative de violation des interdictions ou conditions d'accès visées aux points 2°, 3°, 4°, 5° ou 6°, il peut être raisonnablement garanti que les violations ou tentatives de violation sont clairement détectables ».
Les parties intéressées doivent pouvoir disposer en outre des informations relatives aux spécifications liées à la soumission des offres et aux demandes de participation par voie électronique, y compris le cryptage et l'horodatage ».
Quelles exceptions ?
Le principe de dématérialisation souffre néanmoins de différentes exceptions prévues par le législateur. Ainsi, l'adjudicateur n'est pas tenu de prescrire l'usage de moyens de communication électroniques dans les hypothèses suivantes :
1° lorsque, en raison de la nature spécialisée du marché, l'utilisation de moyens de communication électroniques nécessiterait des outils, des dispositifs ou des formats de fichiers particuliers qui ne sont pas communément disponibles ou pris en charge par des applications communément disponibles (Art 14 § 2 1°);
2° lorsque les applications prenant en charge les formats de fichier adaptés à la description des offres utilisent des formats de fichiers qui ne peuvent être traités par aucune autre application ouverte ou communément disponibles ou sont soumises à un régime de licence propriétaire et ne peuvent être mises à disposition par téléchargement ou à distance par l'adjudicateur (Art 14 § 2 2°);
3° lorsque l'utilisation de moyens de communication électroniques nécessiterait un équipement de bureau spécialisé dont les adjudicateurs ne disposent pas communément (Art 14 § 2 3°);
4° lorsque les documents du marché exigent la présentation de maquettes ou de modèles réduits qui ne peuvent être transmis par voie électronique (Art 14 § 2 4°);
5° lorsqu'il s'agit d'un marché public passé selon la procédure négociée sans publication ou mise en concurrence préalable dont le montant estimé est inférieur au seuil fixé pour la publicité européenne (Art 14 § 2 5°);
6° lorsque l'utilisation d'autres moyens de communication que les moyens électroniques est nécessaire en raison soit d'une violation de la sécurité des moyens de communication électroniques, soit du caractère particulièrement sensible des informations (Art 14 § 3).
Dans les hypothèses prévues aux points 1° à 4° et 6° visés ci-dessus, l’adjudicateur est tenu d’indiquer dans un document écrit les raisons du recours à un autre moyen de communication. Le texte renvoie d’ailleurs à l’application de l'article 164, §§ 1er et 2 selon lequel les adjudicateurs conservent par écrit les raisons pour lesquelles des moyens de communication autres que les moyens électroniques ont été utilisés pour la soumission des offres.
Quid d’une communication ‘orale’ ?
Bien que l’adjudicateur utilise, en application de l’article 14 § 1 alinéa 1, des moyens électroniques, la communication orale reste permise pour la transmission d'autres communications que celles concernant les éléments essentiels de la procédure de passation, à condition de garder une trace suffisante de son contenu.
Sont notamment considérés comme faisant partie des éléments essentiels précités :
1° les documents du marché;
2° les demandes de participation;
3° les offres.
En ce qui concerne la communication orale avec les soumissionnaires, susceptible d'avoir une incidence importante sur le contenu et l'évaluation des offres, l'obligation de garder une trace suffisante se fait à l'aide de notes écrites ou d'enregistrements audio, d'un résumé des principaux éléments de la communication ou d'un autre moyen adéquat.
Phase transitoire pour les marchés non européens jusqu’au 31 décembre 2019
L’article 129 de l’Arrêté royal du 18 avril 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques fixant les dispositions transitoires pour les marchés inférieurs au seuil de la publicité européenne dispose que :
« Sans préjudice de l'article 14, § 2, alinéa 1er, 5°, de la loi et pour les marchés dont le montant estimé est inférieur au seuil fixé pour la publicité européenne, le pouvoir adjudicateur peut choisir jusqu'au 31 décembre 2019 en ce compris de ne pas faire usage, ou de ne pas exclusivement faire usage des moyens de communication électroniques dans une procédure de passation. Dans un tel cas, il indique dans les documents du marché quel moyen de communication sera utilisé pour l'échange d'information, à savoir:
1° la poste ou un autre porteur approprié;
2° le fax;
3° la communication électronique, mais sans utilisation des plateformes électroniques visées par l'article 14, § 7, de la loi, pour l'introduction des demandes de participation ou des offres;
4° une combinaison de ces moyens.
Lorsque le pouvoir adjudicateur choisit d'appliquer la mesure transitoire visée au présent article, les articles 45, 90, § 1er et § 2, alinéa 1er et 2, 91, § 1er, alinéa 1er et 2, 92, alinéas 1er à 3, 93 et 94 de l'arrêté royal du 15 juillet 2011 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques, continuent à s'appliquer.
Cependant :
1° sauf indication contraire dans les documents du marché, les articles 90, § 1er et § 2, alinéa 1er et 2, 91, § 1er, alinéa 1er et 2, 92, alinéas 1er à 3, 93 et 94 de l'arrêté royal du 15 juillet 2011 précité ne s'appliquent que lorsqu'usage est fait de la procédure ouverte ou restreinte;
2° lorsqu'il est fait usage d'une procédure ouverte ou restreinte, le retrait d'une offre peut également être communiqué par fax ou par un moyen électronique, pour autant qu'il parvienne au président de la séance d'ouverture avant que cette séance ne soit déclarée ouverte, et qu'il soit confirmé par un envoi recommandé au plus tard la veille du jour de la séance d'ouverture;
3° l'article 90, § 1er, de l'arrêté royal du 15 juillet 2011 précité ne peut être appliqué que pour autant qu'il soit fait usage de la poste ou d'un autre porteur appropriée comme moyen de communication.
Lorsqu'il est fait usage de la présente disposition transitoire pour une autre procédure de passation que la procédure ouverte ou restreinte, le pouvoir adjudicateur indique dans les documents du marché quelles règles additionnelles en matière de moyens de communication s'appliquent ».
En application de cette disposition, il appartient, dans le cadre d’un marché inférieur au seuil fixé pour la publicité européenne, à l’adjudicateur, qui n’entend pas recourir à des moyens électroniques, de l’indiquer dans les documents du marché. Dans cette hypothèse, la disposition transitoire citée supra renvoie à l’application des anciennes dispositions contenues dans l’AR du 15 juillet 2011, dont l’article 90 § 2 alinéa 1 et 2 selon lequel :
« Toute offre doit parvenir au président de séance avant qu'il ne déclare la séance ouverte.
Quelle qu'en soit la cause, les offres parvenues tardivement auprès du président sont refusées ou conservées sans être ouvertes.
Toutefois, une telle offre est acceptée pour autant que le pouvoir adjudicateur n'ait pas encore conclu le marché et que l'offre ait été envoyée sous pli recommandé, au plus tard le quatrième jour de calendrier précédant la date de l'ouverture des offres ».
Le troisième alinéa souligné dans le texte n’est a priori pas applicable puisqu’il n’y est pas fait référence dans la disposition transitoire. Néanmoins, la disposition transitoire fait également référence à l’application de l’article 94 selon lequel :
« Une séance d'ouverture supplémentaire, à laquelle tous les soumissionnaires présents à la séance initiale ou connus sont invités simultanément et par écrit, se tient dans les cas suivants:
1° en cas d'arrivée tardive d'offres, de modifications ou de retraits d'offres qui sont toutefois susceptibles d'être pris en considération conformément aux articles 90, § 2, alinéa 3, et 91, § 1er, alinéa 4 »;
L’article 90 § 2 alinéa 3 retrouverait le cas échéant à s’appliquer sous l’angle de l’article 94 et de la possibilité de prévoir une séance supplémentaire d’ouverture des offres.
La Jurisprudence évolutive du Conseil d’Etat relative au rejet des offres arrivées tardivement et ce quelle qu’en soit la cause (voy. à ce sujet l’avis du Conseil d’Etat n° 48.803/1 du 2 décembre 2010) conserve dès lors son intérêt jusqu’au 31 décembre 2019 (ou lorsque l’on se situerait dans une des exceptions prévues par l’article 14 de la loi nouvelle). A compter du 1erjanvier 2020, il ne sera, en effet, plus possible pour un soumissionnaire ou candidat de déposer une offre sur une plateforme électronique au-delà du délai de réception prévu dans les documents du marché.
[1] V.DOR, M.VASTMANS, Article 14 – Règles applicables aux moyens de communication – Loi 17 juin 2016 – Marchés publics – www.mercatus.be