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L’exigence de « public nouveau » en droit d’auteur : la Cour de justice impose et fait bouger les lignes !
Maître Thameur Ellouze, Avocat
L’article XI.165, § 1er, 4ème alinéa du Code de droit économique énonce que « L'auteur d'une œuvre littéraire ou artistique a seul le droit de la communiquer au public par un procédé quelconque, y compris par la mise à disposition du public de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement ».
Cette règle a dû faire face à plusieurs défis liés aux communications secondaires d’œuvres protégées tels que la retransmission sur internet, les bouquets satellitaires ou encore les liens hypertextes sur internet qui permettent à quiconque d’accéder à une œuvre protégée à partir de n’importe quel site.
Les contours du droit exclusif de communication au public de l’auteur lors de transmissions secondaires ont été définis par la jurisprudence communautaire. C’est dans ce contexte qu’est intervenue la notion de « public nouveau ».
Dans son arrêt du 7 décembre 2006, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que la retransmission d’œuvres protégées dans des chambres d’hôtel constituait une communication qui s’analyse comme « une communication faite par un organisme de retransmission différent de l’organisme d’origine. Ainsi, une telle transmission se fait à un public distinct du public visé par l’acte de communication originaire de l’œuvre, c’est-à-dire un public nouveau » [1].
Le concept du « public nouveau » est ainsi devenu le nouveau critère déterminant pour identifier les cas où l’auteur est en droit d’interdire une communication au public de son œuvre.
Liens hypertextes
L’arrêt Svensson du 13 février 2014 relatif aux liens cliquables sur internet (liens hypertextes) a été l’occasion de clarifier cette notion de « public nouveau » en décidant que « Pour relever de la notion de «communication au public» (…), encore faut-il qu’une communication, (…) visant les mêmes œuvres que la communication initiale et ayant été effectuée sur Internet à l’instar de la communication initiale, donc selon le même mode technique, soit adressée à un public nouveau, c’est-à-dire à un public n’ayant pas été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur, lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale au public » [2].
En l’espèce, la Cour a jugé qu’il n’existe pas de public nouveau lorsque la communication initiale était adressée à l’ensemble des visiteurs potentiels du site concerné, car, en l’absence de mesure technique pour restreindre l’accès aux œuvres, tous les internautes pouvaient donc y avoir accès librement.
Dans ce cas, tous les internautes doivent être considérés comme des destinataires potentiels de la communication initiale et donc comme faisant partie du public pris en compte par le titulaire des droits d’auteur lorsque ce dernier a autorisé la communication initiale.
L’auteur se voit donc privé de ses droits exclusifs lorsqu’il met à la disposition du public son œuvre sur internet sans restriction puisqu’il est présumé s’adresser, lors de sa communication initiale, à tous les internautes potentiels.
Les internautes des sites incrustant un lien cliquable vers l’œuvre originale ne peuvent donc pas constituer un public nouveau.
L’importance des restrictions
Il est donc essentiel pour l’auteur d’imposer des restrictions à l’accès de son œuvre s’il souhaite conserver son droit exclusif d’interdire toute communication non autorisée au public sur internet.
Les restrictions visées sont généralement comprises comme des mesures techniques telles que les accès soumis à un mot de passe, à une inscription, à une formule d’abonnement….
Il s’agit, en tous cas, d’une manière d’établir que l’auteur ne souhaite pas s’adresser à l’ensemble des internautes mais seulement à ceux ayant un droit d’accès à l’œuvre, c’est-à-dire un public restreint.
Ainsi, lorsqu’un site internet libre d’accès met gratuitement à disposition des internautes, au moyen d’une diffusion streaming, une retransmission télévisuelle initialement payante d’œuvres protégées sur un autre site, une telle communication est jugée comme étant adressée à un nouveau public de non-abonnés [3].
Pour éviter la présomption de communication à tous les internautes d’opérer, il semble aussi envisageable de mettre en place des restrictions de nature juridique ou contractuelle. En effet, l’objectif étant que l’auteur, lors de la communication initiale, manifeste sa volonté de ne communiquer son œuvre qu’aux visiteurs du site sur lequel est communiquée l’œuvre pour la première fois, à l’exclusion des autres.
Il est en tout cas fondamental pour l’auteur d’être particulièrement attentif à la manière dont il souhaite communiquer son œuvre protégée au public sur internet et de définir dès le départ le public cible auquel l’œuvre est strictement adressée.
[1] CJUE, 7 décembre 2006, C-306/05, Sociedad General de Autores y Editores de España (SGAE) contre Rafael Hoteles SA, Rec. I-11519
[2] CJUE, 13 février 2014, C-466/12, Svensson/Retriever Sverige AB, ECLI:EU:C:2014:76.
[3] CJUE, 26 mars 2015, C More Entertainment AB contre Linus Sandberg, C-279/13, non encore publié