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Les entreprises et l’expropriation immobilière
Maître Jean-Marc Secretin, avocat au barreau de Liège
Extension du zoning des Hauts-Sarts, réforme du réseau des transports en commun, revitalisations urbaines à HERSTAL et à SERAING, pour ne citer que quelques exemples : autant de grands projets qui ont ramené à l’actualité les expropriations de biens immobiliers pour cause d’utilité publique. Les entreprises peuvent y être confrontées au même titre que les particuliers. Dans ce contexte, il nous a paru intéressant de reprendre, dans une brève synthèse, les principales étapes de procédure, les droits de l’exproprié et les précautions élémentaires à prendre pour les préserver.
Les règles d’or de l’expropriation
Le droit de propriété étant protégé par la Constitution belge et par la Convention Européenne des Droits de l’Homme, les atteintes qui peuvent y être portées sont exceptionnelles et limitatives.
C’est notamment le cas de l’expropriation, procédure qui permet aux pouvoirs publics de réaliser l’acquisition forcée de biens immobiliers appartenant à des tiers.
Ce droit n’est évidemment pas absolu. Il doit se plier à certaines conditions strictes :
- l’expropriation ne peut intervenir que par ou en vertu de la loi ;
- exclusivement pour cause d’utilité publique ;
- moyennant une juste et préalable indemnité ;
- la vérification de la régularité de la procédure et la fixation des indemnités d’expropriation doivent pouvoir faire l’objet d’un débat contradictoire en justice, dont la décision finale appartient au pouvoir judiciaire.
Grandes étapes de la procédure
1 - En premier lieu, le pouvoir public qui souhaite acquérir des biens de tiers pour un projet d’intérêt public doit arrêter provisoirement un plan d’expropriation et le tableau des emprises. Selon la qualité du pouvoir expropriant, une enquête publique doit également pouvoir être tenue à ce stade.
En tout cas, cette étape initiale sera généralement l’occasion d’un premier contact entre l’administration et la personne expropriée, qui recevra les premières informations utiles.
2 - Une fois le plan d’expropriation et le tableau des emprises définitivement approuvés, le dossier est transmis au Gouvernement fédéral ou régional qui doit prendre un arrêté autorisant l’expropriation.
Dans la quasi-totalité des cas, l’habitude est de solliciter l’expropriation sous la procédure d’extrême urgence régie par la loi du 26 juillet 1962.
La particularité de cette loi est qu’elle organise une procédure raccourcie qui permet une prise de possession rapide, ce qui contraint souvent l’exproprié à devoir organiser au mieux sa défense dans un minimum de temps.
3 - Une fois l’arrêté d’expropriation adopté, la loi impose une tentative préalable d’acquisition amiable. Trop souvent malheureusement, il n’y a pas de réelle négociation et la tentative amiable n’est qu’un simulacre, le pouvoir public n’offrant qu’une indemnité minimaliste « pour la forme », sachant pertinemment que cette proposition sera rejetée.
4 - Vient ensuite la phase judiciaire qui démarre par une citation à comparaître devant le Juge de paix.
La première audience se tient sur les lieux à exproprier, en présence des parties et de l’expert que le juge aura préalablement désigné. Dans les 48 heures, le juge statue sur la régularité de l’expropriation, ordonne le transfert de propriété et alloue à l’exproprié une indemnité provisionnelle qui ne peut dépasser le montant proposé par l’administration pour acquérir le bien.
Une fois cette indemnité provisionnelle payée, c'est-à-dire versée à la Caisse des Dépôts et Consignations, le juge rend une ordonnance d’envoi en possession qui sera signifiée à l’exproprié et qui autorisera le pouvoir public à prendre possession des biens.
5 - Suit la phase d’expertise au cours de laquelle l’expert désigné par le juge établit d’abord un état descriptif du bien exproprié, puis il dresse un rapport sur la valeur des différentes indemnités auxquelles peut prétendre l’exproprié.
Sur base de ce rapport et des argumentations écrites échangées par les parties, le juge de paix statue sur les indemnités définitives.
6 - Lorsque le juge de paix a vidé sa saisine, c'est-à-dire lorsqu’il a rendu tous ses jugements successifs, tant l’administration que l’exproprié peuvent saisir le Tribunal de 1ère Instance d’une action en révision à l’occasion de laquelle tous les points peuvent être à nouveau débattus, de la régularité des opérations d’expropriation aux montants des indemnités allouées.
Le cas échéant, la décision du tribunal sur cette action en révision est susceptible d’appel selon le droit commun.
Comment se calcule l’indemnité ?
L’expropriation ne consiste pas à vendre un bien immobilier en contrepartie d’un prix d’achat. Il s’agit d’une privation forcée de la propriété qui doit donner lieu à la réparation intégrale du préjudice que subit l’exproprié.
La nuance est importante car elle conditionne la nature même des réclamations que l’exproprié peut valablement formuler.
Bien entendu, l’exproprié a d’abord droit à une indemnité couvrant la valeur vénale du bien dont il est privé, c'est-à-dire la somme qu’il obtiendrait en cas de vente réalisée dans des conditions normales.
Mais d’autres indemnités sont également à considérer, dont principalement :
- la valeur d’avenir : c’est la plus-value que l’exproprié aurait vraisemblablement réalisée s’il n’avait pas été contraint de céder aujourd’hui le bien à sa valeur actuelle ;
- la valeur de convenance : c’est la valeur spécifique du bien pour la personne expropriée, en raison des aménagements particuliers dont il faisait l’objet ou de son attachement affectif spécifique ;
- la dépréciation des biens conservés : c’est l’indemnité qui couvre l’éventuelle perte de valeur que subissent les biens dont l’exproprié conserve la propriété (par exemple un restaurant que l’expropriation prive de tout parking) ;
- les indemnités de remploi : c’est la compensation des frais d’enregistrement, de transcription et autres que l’exproprié devra exposer pour acquérir un immeuble équivalent et reconstituer son patrimoine ;
- les intérêts d’attente : ils couvrent le préjudice de l’exproprié lié au temps qui lui est nécessaire pour trouver un bien similaire ;
- les frais de déménagement ;
- les préjudices commerciaux : l’indemnité couvre le dommage des propriétaires qui exerceraient une activité commerciale dans le bien exproprié et qui subiraient temporairement une cessation ou une réduction de leur activité.
Principaux moyens de défense que l’exproprié peut faire valoir
En premier lieu, la personne expropriée peut tenter de s’opposer au principe même de l’expropriation et contester sa régularité. C’est alors la légalité même de l’arrêté d’expropriation qui est mis en cause et plusieurs moyens peuvent être envisagés, parmi lesquels principalement :
- l’absence d’utilité publique réelle ;
- le défaut d’urgence ;
- la motivation insuffisante, inadéquate ou inexacte de l’arrêté d’expropriation.
Cette contestation peut se concrétiser par un recours devant le Conseil d’État contre l’arrêté d’expropriation, mais les arguments peuvent également être invoqués devant le juge de paix dans le cadre de la procédure judiciaire ou devant le Tribunal de 1ère Instance et la Cour d’appel dans le cadre de l’action en révision.
D’autre part, et éventuellement à titre subsidiaire, les contestations de la personne expropriée peuvent aussi porter sur les indemnités qui sont proposées par le pouvoir public, voire même les indemnités qui auront été retenues par le juge de paix en introduisant une procédure en révision.
Enfin, lorsque l’expropriation est terminée, le pouvoir public est évidemment tenu de réaliser le but d’utilité publique qui a justifié l’expropriation. A défaut, il doit en informer la personne expropriée pour lui permettre de retrouver sa propriété moyennant remboursement des indemnités perçues. Et si le pouvoir public omet cette information, l’exproprié pourra agir en justice pour réclamer la rétrocession de son bien, sans préjudice de dommage et intérêts si celui-ci a perdu de sa valeur.
L’expropriation pour cause d’utilité publique se singularise par la complexité d’une procédure et d’une matière qu’en définitive, peu de praticiens maitrisent en raison de la relative rareté des cas d’espèces. En tout cas, pour la personne confrontée à une expropriation, qu’il s’agisse d’un particulier ou d’une entreprise, il est illusoire d’espérer assurer seul une défense avisée de ses intérêts. L’intervention d’un conseil spécialisé est indispensable pour assurer une protection optimale de ceux-ci.