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Le registre des titres
Me Laurent Stas de Richelle et Florian Ernotte, avocats au barreau de Liège
La présente contribution se limitera à l’examen du registre des titres de la société privée à responsabilité limitée (SPRL), les parts, et ceux de la société anonyme (SA), les actions. Les titres représentent dans ces sociétés une quotité du capital et attribuent à son titulaire une série de droits. Ceux-ci sont généralement de trois ordres : politiques (droit de vote, contrôle de la gestion,…), financiers (faire fructifier son investissement en percevant un dividende) et patrimoniaux (ces titres ont une valeur et sont donc négociables).
Le capital social est une notion abstraite, essentiellement comptable. On peut le définir comme étant « la somme des biens détachés par les associés de leur patrimoine personnel, à laquelle ils entendent limiter leur responsabilité et en dessous de laquelle ils s’interdisent de ramener la valeur de l’actif net par des distributions de dividendes » (1)
Le capital constitue en principe une garantie pour les créanciers de recouvrir leur créance.
Ce capital est souscrit à concurrence d’un certain montant par les associés ou actionnaires. Cette souscription est l’engagement fait par le titulaire d’apporter une certaine somme à la société.
Le capital social de la SPRL doit être souscrit au minimum à concurrence de 18.550 € et être libéré à concurrence de 6.200 € ou 12.400 € (articles 214 et 223 du Code des Sociétés). (2)
Le capital social d’une SA doit quant à lui être souscrit et libéré au minimum à concurrence de 61.550 € (articles 439 et 448 du Code des Sociétés).
Quid en cas de faillite et de capital non-libéré ?
En conséquence, la propriété des titres et l’opposabilité des cessions peuvent aboutir à un conflit lorsque le capital d’une société en faillite ou en liquidation n’a pas été intégralement libéré. En effet, le propriétaire d’un titre est titulaire de droits et d’obligations dont notamment l’obligation de libérer le capital non appelé attaché à ce titre, en cas de besoin.
La vie des affaires étant ce qu’elle est, les titres sont cessibles et peuvent donc circuler. Le Code des Sociétés prévoit un régime d’opposabilité spécifique pour la cession de ces titres.
Ce régime spécifique consiste en la tenue d’un registre permettant de « tracer » la propriété des titres pour pouvoir déterminer qui en était le propriétaire et quand.
Nous examinerons dans un premier temps le registre des parts, spécifique à la SPRL, pour ensuite examiner le registre des actions, spécifique quant à lui à la SA.
1. Le registre des parts dans la SPRL
L’article 233 du Code des Sociétés dispose que le registre des parts contient :
- la désignation précise de chaque associé et le nombre des parts lui appartenant;
- l'indication des versements effectués;
- les transferts de parts avec leur date, datés et signés par le cédant et le cessionnaire en cas de cession entre vifs, par le gérant et le bénéficiaire en cas de transmission pour cause de mort.
Aucune disposition légale n’impose un formalisme particulier pour la tenue de ce registre. (3)
Selon l’article 235 du Code des Sociétés, l’inscription de l’identité de l’associé au registre correspondant permet donc d’établir son droit de propriété sur les titres nominatifs qui lui sont attribués en vertu de ce registre et par voie de conséquence sa qualité d’associé.
Enfin l’article 250 du Code des Sociétés dispose que « les cessions ou transmissions n'ont d'effet vis-à-vis de la société et des tiers qu'à dater de leur inscription dans le registre des parts conformément à l'article 235 ».
En conséquence, une cession de parts ne sera opposable qu’à partir de son inscription dans le registre.
A partir de ce moment, deux thèses s’affrontent quant à la libération du cédant.
Une doctrine majoritaire, suivie par une partie de la jurisprudence, estime que le cédant est dégagé de son obligation de libérer le capital souscrit non appelé à concurrence de ses parts, seul le cessionnaire restant tenu.
Une doctrine minoritaire, suivie également par une partie de la jurisprudence, estime que l’opposabilité de la cession ne déroge pas au droit commun de la cession de dette. Le droit commun dispose, en effet, qu’une cession ne dégage le cédant que si la société accepte expressément de le décharger de son obligation de libération.
Il est donc recommandé, pour le cédant, de veiller à disposer d’une preuve de ce que la société le décharge de la libération du solde non libéré des parts cédées (une décision du gérant ou de l’assemblée générale reprise dans un procès-verbal fera office de preuve).
2. Le registre des actions dans la SA
L’article 504 du Code des Sociétés dispose que :
« La cession des titres nominatifs s'opère par une déclaration de transfert inscrite dans le registre relatif à ces titres, datée et signée par le cédant et le cessionnaire ou par leurs fondés de pouvoir.
Si le registre est tenu sous la forme électronique, la déclaration de transfert peut prendre la forme électronique et être revêtue d'une signature électronique avancée réalisée sur la base d'un certificat qualifié attestant de l'identité du cédant et du cessionnaire et conçue au moyen d'un dispositif sécurisé de création de signature électronique, en conformité avec la législation applicable.
Il est loisible à la société d'accepter et d'inscrire dans le registre un transfert qui serait constaté par la correspondance ou d'autres documents établissant l'accord du cédant et du cessionnaire. »
Les conditions d’opposabilité sont, dans leur principe, identiques à celles de la SPRL à une exception près : le dernier alinéa de l’article 504 du Code des Sociétés autorise la société d’accepter, et donc d’inscrire dans le registre, une cession sur la base d’autres documents.
Cela signifie qu’une cession pourra être reconnue postérieurement par la société mais surtout prouvée postérieurement. Cette différence nous semble importante dans la mesure où ce régime octroie un pouvoir discrétionnaire à la société pour accepter une cession. Ce régime fait donc preuve de plus de souplesse que celui des SPRL à notre estime.
A noter également qu’il existe un régime spécifique en cas de transfert d’actions non entièrement libérées qui se loge aux articles 506 et 507 du Code des Sociétés. Ilpermet de solutionner les conflits qui surgissent lorsque le capital d’une société en faillite ou en liquidation n’a pas été intégralement libéré.
Une formalité supplémentaire est requise dans ce cas, à savoir une publication par extraits ou par mention aux Annexes du Moniteur belge. A défaut, la cession n’est pas opposable aux tiers.
En outre, l’article 507 dispose que « la cession des actions non libérées ne peut affranchir leurs souscripteurs de contribuer, à concurrence du montant non libéré, aux dettes antérieures à la publication. L'ancien propriétaire a un recours solidaire contre celui à qui il a cédé son titre et contre les cessionnaires ultérieurs. »
La cession de titres se révèle être un moyen intéressant dans la vie des affaires pour transmettre un patrimoine de manière généralement non taxée.
Nous devons attirer cependant l’attention des titulaires de titres lors de l’achat mais aussi lors de la revente de ceux-ci.
La pratique révèle trop souvent des cas où le cédant et/ou le cessionnaire a fait preuve de légèreté dans cette cession.
Il importe donc de veiller au respect du formalisme exposé ci-dessus et de conserver l’ensemble des preuves au cas où la société connaîtrait des difficultés subséquemment à la cession.
Janvier 2017
(1) J. VAN HOUTTE, «Société privées à responsabilité limitée », Rep. Not., Bruxelles, Larcier, 1989, n°31.
(2) Voir aussi le cas particulier de la SPRL STARTER avec 1 € de capital à libérer – article 223 du Code des sociétés
(3) La société peut tout à fait tenir elle-même son registre pour autant qu’il contienne les mentions prévues à l’article 233 du Code des Sociétés et qu’il soit “broché” de façon à éviter la perte, la dispersion ou la substitution de tout ou partie de son contenu.