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La réforme de l’impôt des sociétés de la loi du 25 décembre 2017 - 2e partie : les mesures compensatoires ou les « mauvaises » nouvelles pour les sociétés contribuables
Maître Jean-Luc Wuidard, avocat au barreau de Liège
La comparaison entre la charge fiscale de l’impôt des sociétés pour les entreprises avant la réforme et après la réforme doit s’analyser différemment selon la société concernée, car si le législateur a visé la neutralité budgétaire au sein du rendement de l’impôt des sociétés lui-même, cette neutralité ne vise que le budget de l’État. Du côté des entreprises, il y a cependant clairement des « gagnants » et des « perdants ». Étant donné le caractère quelque peu hétéroclite des mesures compensatoires, nous ne voyons pas d’autre possibilité que d’évoquer les mesures les plus importantes (dont certaines ne seront d’application qu’à partir de l’exercice d’imposition 2020).
Nouvelle cotisation distincte à l’ISoc en cas d’absence de rémunération minimale annuelle allouée à au moins un dirigeant d’entreprise
Toutes les sociétés, quelle que soit leur taille, qui souhaitent éviter cette cotisation distincte doivent allouer à au moins un dirigeant une rémunération annuelle d’au moins 45.000 € (montant brut incluant les avantages en nature) (ou d’un montant au moins équivalent au résultat imposable lorsque celui-ci est inférieur à 90.000 € avant l’attribution de cette rémunération) ; en cas de rémunération insuffisante, une nouvelle cotisation distincte est due et elle est fixée à un taux de 5,1% (pour les exercices d’imposition 2019 et 2020) et à 10 % (dès l’exercice d’imposition 2021) de l’insuffisance de rémunération par rapport au plancher de 45.000 €.
Un régime particulier est prévu en cas de sociétés liées au sens de l’art.11CS (sociétés dont au moins la moitié des dirigeants sont les mêmes personnes); dans ce cas, le montant des rémunérations allouées par les sociétés liées à un même dirigeant doit atteindre au moins 75.000 €.
Relevons que cette cotisation distincte à l’impôt des sociétés est un impôt déductible dans le cadre du calcul de l’impôt des sociétés.
Refonte importante du régime de déduction des intérêts notionnels (ou déduction pour capital à risque)
La base de calcul est modifiée de manière fondamentale dans la mesure où elle est désormais limitée à l’accroissement des fonds propres calculé sur la base d'un cinquième de la différence positive entre, d'une part, le montant des capitaux propres à la fin de la période imposable et, d'autre part, le montant des capitaux propres à la fin de la cinquième période imposable précédente.
Ce changement considérable remet en question certaines approches suivies précédemment quant à la structuration des fonds propres au sein des groupes de sociétés. Il prive également un certain nombre de sociétés de «l’effet d’aubaine» quasi-automatique de déduction récurrente d’intérêts notionnels résultant de l’ampleur historique des fonds propres qui sont parfois d’un niveau disproportionné par rapport à leurs résultats opérationnels usuels.
Nouvelle condition à remplir pour bénéficier de l’’exonération des plus-values sur actions : exigence d’un niveau de participation d’au moins 10 %
Pour être exonérées, les plus-values sur actions ou parts doivent dorénavant se rapporter à des actions ou parts répondant aux mêmes conditions « quantitatives » que celles qui sont d’application pour que les dividendes reçus puissent bénéficier de la déduction pour «RDT (« régime des revenus définitivement taxés ») ; pour que la plus-value à laquelle donne lieu la réalisation de ces actions ou parts reste exonérée, la participation doit désormais atteindre au moins 10 % du capital de la société (ou un montant égal ou supérieur à 2.500.000 €).
Nouvelle base d’imposition minimale pour les sociétés dont le résultat fiscal est supérieur à 1.000.000 € (régime de la « corbeille »)
Même lorsqu’une société dispose de différentes déductions fiscales reportées (telles que des pertes reportées antérieures, des déductions pour capital à risque reportées, des excédents de déductions de RDT d’exercices antérieurs, de montants de déductions pour revenus d’innovation et de déductions pour investissements, etc.), dès que son résultat fiscal de l’exercice excède le montant d’un million d’euros, elle ne pourra pas déduire plus que 70 % de ces différentes déductions ; ceci aboutit à la taxation effective des 30 % restants, avec report du solde des déductions à des exercices ultérieurs.
Il s’agit bien là d’un changement très important notamment pour les sociétés qui sont actives dans des secteurs nécessitant des investissements à long terme ou qui sont susceptibles de rencontrer ce type de situations de reports d’excédents de déductions.
Assimilation à des dividendes et taxation proportionnelle des sommes allouées aux actionnaires lors d’opérations de réduction du capital
La notion de capital libéré sur le plan fiscal a fait l’objet d’une nouvelle définition. Lors d’une opération de réduction de capital, une fiction fiscale impose une imputation obligatoire sur les réserves taxées des montants alloués aux actionnaires.
Ceci implique dès lors l’obligation de retenir le précompte mobilier au même taux que celui applicable aux dividendes (actuellement 30 %) sur la partie de la réduction de capital correspondant au prorata que représente les réserves taxées dans le total des fonds propres.
Les montants ainsi considérés comme étant des prélèvements sur les réserves, et qui sont taxés anticipativement, sont repris comme réserves négatives au sein des déclarations fiscales de manière à assurer, de manière cohérente, le suivi de l’évolution du «bon capital fiscal», qui reste susceptible d’être remboursé sans taxation ultérieurement.
Les montants de réductions de capital prélevés sur des montants souscrits dans le cadre du régime transitoire optionnel mis en place avant l’augmentation du taux de précompte mobilier sur les boni de liquidation du 1er octobre 2014 (régime « article 537 CIR ») ne sont pas concernés par cette mesure.
En cas de rectification donnant lieu à un accroissement d’impôt d’au moins 10 %, refus d’imputer diverses déductions fiscales sur le montant de majoration de la base imposable
En cas de majoration de la base imposable à la suite de contrôles donnant lieu à des accroissements d’impôt de 10 % ou plus, il n’est plus possible de porter en déduction de ces majorations d’éventuels montants encore disponibles de déductions fiscales, à l’exception de la déduction «RDT» relative à des dividendes perçus durant l’exercice en cours. Les PME débutantes (sociétés PME durant les quatre ans à compter de leur constitution) ne sont pas visées par cette limitation.
Suppression du régime des amortissements dégressifs à l’ISOC
La possibilité d’appliquer le régime des amortissements dégressifs (doublement de l’amortissement linéaire) permettant de réduire la charge fiscale de manière notable au cours des premiers exercices qui suivent l’année de l’investissement est supprimée.
Obligation d’amortir « prorata temporis » étendue à toutes les sociétés
Les sociétés PME qui pouvaient encore déduire fiscalement une annuité complète de l’amortissement relatif à un investissement, indépendamment du moment auquel cet investissement est effectué (que ce soit en début ou en fin de la période comptable), se voient désormais alignées sur le régime déjà en vigueur pour les sociétés non PME. L’amortissement admissible fiscalement est limité, pour l’année d’acquisition, en proportion de la durée restant à courir entre la date d’investissement et la date de clôture.
Suppression de la possibilité de déduction fiscale immédiate des charges payées anticipativement au cours de l’année de paiement
Le régime fiscal de déduction des charges payées anticipativement est aligné sur les règles comptables et le principe comptable de rattachement des charges et produits à la période comptable correspondante (« matching principle ») est désormais d’application.
Condition supplémentaire pour l’exonération de provisions pour risques et charges
Seules sont déductibles fiscalement les provisions se rapportant à des risques probables et dont la dotation répond à des obligations légales qui existent à la date du bilan ; les provisions comptabilisées uniquement sur la base des exigences du droit comptable ne sont plus des réserves susceptibles d’exonération et sont désormais des réserves taxables (sont notamment visées les provisions pour entretiens et réparations périodiques, ..).
Toutes les amendes sont des dépenses non admises
Toutes les amendes sont non déductibles même si elles sont relatives à un impôt ou à des charges déductibles (sont donc des dépenses non admises les amendes administratives, les amendes proportionnelles à la TVA, les amendes en matière de droit d’enregistrement, de précompte immobilier, les majorations de cotisations sociales ONSS, les amendes de cartel et celles appliquées par les autorités de la non-concurrence, etc.).
Nouvelle adaptation de la déductibilité des frais de voitures et suppression de déduction excédant 100%
La non-déductibilité des frais de voitures est étendue par l’insertion de critères plus sévères en matière de grammes de CO2, ce qui renforce l’attractivité de véhicules moins polluants. Les incitants fiscaux qui accordaient une déduction à 120 % des frais investis dans des véhicules non polluants sont ramenés à 100%.
Pour le surplus, nous mentionnerons également les différents changements qui suivent :
- Suppression du régime de la réserve d’investissement.
- Relèvement à 40.000 EUR au lieu de 19.000 EUR de la base minimale d’imposition en cas d’absence de rentrée de déclaration ou de déclaration tardive.
- Augmentation de la majoration d’impôt en cas d’absence ou d’insuffisance de versements anticipés (6,75 % pour les revenus 2018).
- En cas de défaut de remploi sur les plus-values dans les délais impartis, il est fait application du taux d’impôt des sociétés applicable durant l’année de réalisation de la plus-value.
- Réforme du régime fiscal des entreprises d’insertion.
- Suppression de la possibilité de déduire un escompte sur une dette en rapport avec un actif non amortissable.
- Non déductibilité intégrale à l’impôt des sociétés de la cotisation sur dépenses non justifiées (de 50 ou de 100 %) (« taxe sur commissions secrètes »).
- Limitation de la possibilité de déduction des pertes d’établissements stables étrangers.
Par ailleurs, il est bon de mentionner qu’en plus de ces différents éléments, en matière d’impôts sur les revenus, le taux d’intérêt de retard correspond désormais à la moyenne des indices de référence des obligations linéaires à 10 ans, sans qu’il puisse être inférieur à 4 %, ni supérieur à 10%. Pour l’année 2018, le taux est de 4 %.
Cependant, le taux applicable aux intérêts moratoires en faveur du contribuable a également été modifié et il est désormais prévu qu’il est égal au taux applicable aux intérêts de retard, diminué de 2 % ! Pour l’année 2018, il est donc limité à 2 %.
Cette réforme fiscale, malgré l’abaissement du taux facial, suscite toujours de nombreuses critiques de la part de différents acteurs du monde économique. Selon de nombreux praticiens, c’est sans doute une occasion ratée d’une réforme plus en profondeur axée sur les priorités que devraient être 1) la cohérence de l’impôt, 2) la lisibilité de l’impôt et 3) de l’efficience de son recouvrement.
L’on y relève certains aspects positifs, parfois nuancés par des éléments contradictoires et diverses incohérences, et certaines mesures risquent d’être soumises à la censure des Cours et Tribunaux et peut poser question quant au respect du principe d’égalité devant l’impôt.
L’on peut cependant conclure qu’il y a assurément des « perdants » et « gagnants » par rapport à la législation antérieure. Comme toujours, il revient à chaque contribuable d’examiner sa situation spécifique après cette nouvelle « redistribution des cartes » dans ce jeu de lois, où le plaisir fait de plus en plus défaut… Si le retour à la case « prison » n’est pas une option, il est certain que les joueurs ont lancé les dés.