Partager sur
La loi du 31 mai 2017 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité décennale
Maître Bruno Devos, avocat au barreau de Liège
Cette différence de traitement a été épinglée par la Cour constitutionnelle le 12 juillet 2007, ce qui a donc finalement, contraint le législateur à adopter la loi du 31 mai 2017, instaurant une assurance obligatoire, limitée cependant à la responsabilité décennale.
Sont soumis à l’obligation d’assurance responsabilité décennale :
- L’entrepreneur, à savoir « toute personne physique ou morale qui s’est engagée à effectuer, pour le compte d’autrui, moyennant rémunération directe ou indirecte, (…), un travail immobilier donné sur des habitations situées en Belgique, pour lesquelles l’intervention de l’architecte est obligatoire (…) ». Tous les entrepreneurs, en ce compris les sous-traitants, sont ainsi visés, dès lors qu’ils participent à un travail immobilier soumis à l’intervention obligatoire d’un architecte, sur une habitation située en Belgique.
- « Toute personne physique ou morale, autre que le promoteur immobilier, qui s’engage à effectuer, pour le compte d’autrui, moyennant rémunération directe ou indirecte, en toute indépendance, mais sans pouvoir de représentation, des prestations de nature immatérielle, relatives à un travail immobilier donné sur des habitations situées en Belgique». Sont notamment visés les architectes, les bureaux d’étude, les bureaux de contrôle technique, le coordinateur sécurité-santé, s’il vient à préconiser l’utilisation de certains matériaux ou une méthode de construction particulière[1].
Travaux soumis à obligation d’assurance
En vertu de l’article 2, 1° de la loi, est soumis à obligation d’assurance tout travail immobilier effectué sur une habitation en Belgique, pour lequel l’intervention de l’architecte est obligatoire (l’article 4 de la loi du 20 février 1939 sur la protection du titre et de la profession d’architecte). L’habitation est définie comme étant « un bâtiment où la partie d’un bâtiment, notamment la maison unifamiliale ou l’appartement qui dès le début des travaux immobiliers de par sa nature est destiné totalement ou principalement à être habité par une famille, éventuellement unipersonnelle, et dans lequel se déroulent les activités du ménage ».
Objet de l’obligation d’assurance – la responsabilité décennale
Selon l’article 3 de la loi, doit être couverte « la responsabilité civile visée aux articles 1792 et 2270 du Code civil pour une période de 10 ans à partir de l’agréation des travaux, limitée à la solidité, la stabilité et l’étanchéité du gros œuvre fermé de l’habitation, lorsque cette dernière met en péril la solidité ou la stabilité de l’habitation, (…) ».
C’est donc bien la responsabilité décennale qui est couverte, c’est-à-dire une responsabilité contractuelle, et non extracontractuelle, à base de faute (le terme de garantie décennale est régulièrement utilisé, mais à tort). Il s’agit d’une responsabilité après réception – agréation. Ainsi, tous les défauts de stabilité ou de solidité survenant avant l’agréation des travaux ne seront pas couverts. Le vice doit affecter le gros œuvre et doit être grave en ce qu’il doit compromettre, ou être susceptible de compromettre la stabilité du bâtiment ou d’une de ses parties maîtresses[2][3].
Étendue de la garantie d’assurance
La limite de la garantie est fixée à la valeur de reconstruction du bâtiment, plafonnée à 500.000 € indexable, si la valeur de reconstruction est supérieure à ce montant. La loi prévoit par ailleurs que les dommages d’un montant inférieur à 2.500 € ne sont pas couverts, hypothèse cependant peu probable s’agissant de responsabilité décennale.
Sont exclus de la garantie les dommages d’ordre esthétique, les dommages immatériels purs, les frais résultant de modifications et/ou améliorations apportées à l’habitation après sinistre, ainsi que les dommages apparents ou connus de l’assuré, au moment de la réception.
Cette exclusion des vices apparents atténue fortement la protection des intérêts du maître de l’ouvrage alors que les risques d’atteintes à la stabilité et à l’étanchéité du bâtiment sont précisément plus fréquents avant réception-agréation. Cette exclusion risque par ailleurs d’entraîner des difficultés, puisqu’il s’agira de déterminer, a posteriori, ce qui était connu ou devait être connu par l’assuré, qu’il s’agisse de l’entrepreneur, du sous-traitant, de l’architecte ou de tout autre professionnel.
Forme de la police d’assurance – police annuelle – police projet – police globale
L’article 8 prévoit que l’assurance peut être souscrite soit sous la forme d’une police annuelle, sous la forme d’une police par projet ou sous la forme d’une police d’assurance globale, « souscrite pour le compte de tous les débiteurs de l’obligation d’assurance appelés à intervenir sur un chantier déterminé.
Preuve du respect de l’obligation d’assurance
L’assureur qui conclut une assurance RC décennale doit émettre une attestation qui établit le respect de l’obligation d’assurance, et dont les mentions obligatoires ont été précisées.
Un registre centralisant ces attestations est instauré ; il peut être consulté par les architectes, par les agents constatateurs désignés par arrêté royal, et par les notaires, lors de la cession d’un droit réel sur un bien.
Constatations des infractions et sanctions
L’article 14 prévoit la désignation d’agents par arrêté royal pour surveiller l’application de la loi. Dans l’hypothèse où ces agents constateraient le non-respect des dispositions de la loi, ils pourront dresser un avertissement, précisant les suites qui doivent être réservées aux manquements constatés, à défaut de quoi le dossier sera transmis au Procureur du Roi. Ces dispositions peuvent être sanctionnées par une amende comprise entre 26 et 10.000 EUR, majorés des décimes additionnels.
Entrée en vigueur
Les articles 21 et 22 prévoient une entrée en vigueur des nouvelles obligations légales à partir des travaux immobiliers pour lesquels un permis d’urbanisme définitif était délivré après le 1er juillet 2018.
Quelles conséquences attendre des nouvelles dispositions légales ?
A l’heure de rédiger la présente, il est difficile de déterminer l’impact qu’auront les nouvelles dispositions légales sur les chantiers.
On peut déjà s’interroger sur les conséquences qu’aura l’exclusion de garantie des vices considérés comme apparents lors de la réception-agréation, lorsqu’ils entraînent a posteriori la responsabilité décennale des constructeurs. Ces derniers, au premier rang desquels l’architecte, mais le maître de l’ouvrage également, pourraient avoir intérêt à ce que la garantie d’assurance soit acquise, et donc à taire, ou à ne pas relever les vices susceptibles d’engager la responsabilité décennale.
Les nouvelles dispositions légales risquent d’entraîner régulièrement des conflits d’intérêts entre assureurs et assurés. L’assureur pourrait avoir intérêt à soutenir que le vice en question n’engage pas la responsabilité décennale de son assuré, pour éviter sa garantie, alors même que l’assuré pourrait avoir l’intérêt inverse. De même, l’assureur pourrait soutenir que le vice était apparent lors de la réception provisoire, alors que l’assuré aurait l’intérêt financier immédiat de soutenir l’inverse.
D’un point de vue financier, en raison de la durée particulièrement importante de la garantie et du fait que celle-ci sera inconditionnellement offerte par l’assureur, dès l’émission de l’attestation, le coût risque d’être assez élevé. Ce coût particulièrement élevé a d’ailleurs poussé le législateur à prévoir l’intervention d’un bureau de tarification, par son article 10, avec également la possibilité de substituer un cautionnement à la garantie légale, cautionnement qui ne semble cependant pas actuellement offert par le marché (article 13).
Les nouvelles dispositions légales présentent incontestablement l’avantage d’offrir des garanties supplémentaires au maître de l’ouvrage, dans le cadre de la construction d’une habitation, en les mettant face à un débiteur solvable. Il a également pour avantage de faire disparaitre l’inégalité constatée par la Cour constitutionnelle, entre les architectes et les autres intervenants.
Cette nouvelle assurance risque cependant de compliquer les procédures et les expertises, puisque la recherche de la responsabilité décennale des constructeurs va devenir un enjeu majeur. Outre le fait que cette responsabilité décennale permettra d’écarter une éventuelle clause d’exonération de responsabilité in solidum, elle permettra également, lorsqu’il s’agit d’habitation, d’entraîner la garantie d’un assureur, et ainsi de remédier à l’éventuelle insolvabilité d’un constructeur. Les expertises vont donc être « compliquées » par le fait que l’expert sera à présent, régulièrement chargé de donner son avis sur la mise en cause de la stabilité ou de la solidité du bâtiment, et par le caractère apparent ou non du vice lors de la réception-agréation. Cela ne va pas faciliter les choses, tout comme cela va également faire réduire l’intérêt d’une réparation en nature, qui était régulièrement recherchée dans le cadre d’expertise.
La pratique et la jurisprudence devront bien évidemment faire leur œuvre, afin de mesurer les avantages et les inconvénients de cette police d’assurance, qui ne va pas résoudre, d’elle-même, les difficultés constatées dans le secteur, mais au contraire va en créer de nouvelles, même si elle offre manifestement une garantie supplémentaire au maître de l’ouvrage profane.