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Activité en personne physique ou en société, que choisir ?
Maîtres Julie Neuray et Edouard Franck, avocats
Lors du lancement de son activité ou en cours d’activité, l’entrepreneur doit s’interroger quant à l’opportunité d’exercer son activité en personne physique ou de créer une société, au travers de laquelle il exercera sa profession.
Avantages et inconvénients
L’exercice d’une activité en personne physique présente certains avantages au niveau de la gestion quotidienne. La gestion d’une activité en personne physique est plus simple que la gestion d’une société, tant au niveau fiscal, comptable qu’administratif. En outre, dans le cadre d’une activité en personne physique, l’entrepreneur ne doit s’occuper que d’une seule comptabilité : la sienne. Tandis que, pour les sociétés, il y a lieu de tenir une comptabilité distincte pour la personne morale.
Il faut également souligner les coûts relatifs à la constitution d’une société. Ceux-ci peuvent être importants.
Toutefois, plusieurs raisons peuvent pousser un entrepreneur à créer une société.
Lorsque plusieurs entités développent un projet commun, il est vivement conseillé de créer une société pour ce faire. La gestion d’une activité commune par plusieurs personnes physiques indépendantes peut s’avérer compliquée et risquée (les personnes impliquées étant personnellement et solidairement responsables des actes posés, même par les autres membres, et de leurs conséquences, notamment sur le plan financier).
Protection du patrimoine
La création d’une société peut également résulter de la volonté de l’entrepreneur de protéger son patrimoine privé des aléas de la vie professionnelle, en scindant patrimoine privé et professionnel. Cependant, cette division n’est pas sans contrainte. Ainsi, la distinction entre le patrimoine privé et le patrimoine de la société implique que les associés ne peuvent disposer à leur guise des avoirs de celle-ci. Ils doivent se plier aux règles du droit des sociétés, sous peine de voir mise en cause leur responsabilité civile, et même pénale !
Au niveau fiscal, le passage en société peut se justifier lorsque les activités prennent un certain essor. Lorsque le bénéfice est peu élevé, la fiscalité des personnes physiques présente certains intérêts (tranche exemptée, tranches d’imposition dégressives, …). Mais passé un certain seuil de bénéfices, il peut être opportun de combiner les deux types de fiscalité. Ces questions ne seront toutefois pas abordées dans la présente contribution.
Une fois la décision prise de créer une société, il faut déterminer le type de société le plus adapté au projet et à la situation existante. Pour ce faire, il faut tenir compte des spécificités de chaque société, lesquelles sont exposées de façon synthétique ci-après (et dans le tableau récapitulatif).
Quelles sont les formes de sociétés ?
En droit des affaires, les sociétés les plus couramment utilisées sont la SPRL, la SA et la SCRL. Mais le code des sociétés prévoit d’autres types de sociétés.
Certaines sociétés sont dites à forme civile, il s’agit de la société de droit commun, la société momentanée et la société interne (art. 46 à 55), et d’autres sont dites à forme commerciale (énumérées à l’art. 2), il s’agit des :
- Société en nom collectif : SNC (art. 201 à 209)
- Société en commandite simple : SCS (art. 201 à 209)
- Société privée à responsabilité limitée : SPRL (art. 210 à 349)
- Société coopérative à responsabilité limitée / illimitée : SCRL / SCRI (art. 350 à 436)
- Société anonyme : SA (art. 437 à 653)
- Société en commandite par actions : SCA (art. 654 à 660)
- Société agricole : S. Agr. (art. 789 à 838)
- Groupement d'intérêt économique : GIE (art. 839 à 873)
- Société européenne : SE (art. 874 à 948)
- Société coopérative européenne : SCE (art. 949 à 1011)
Quel est le projet, quelle sera l’activité ?
L’article 1 du Code des sociétés précise qu’une société est constituée « dans le but de procurer aux associés un bénéfice patrimonial direct ou indirect. » Il faut donc que les associés aient un but de lucre pour constituer une société.
Si le projet visé ne rencontre pas ce but de lucre, il peut être intéressant de s’interroger quant à la possibilité de créer une société à finalité sociale [1], une fondation ou une ASBL. Attention toutefois à la problématique des fausses ASBL et au fait que certaines ASBL peuvent parfois exercer une activité commerciale et de ce fait être également soumises à l’impôt des sociétés.
Outre le but de lucre, il convient de déterminer l’objet de la société. Les sociétés peuvent avoir un objet commercial, et dès lors avoir la qualité de commerçant, ou un objet civil (pour les professions libérales, notamment). Il faut distinguer forme et objet de la société. Une société civile ou commerciale peut avoir un objet civil ou commercial.
Seul ou à plusieurs ?
Le choix du type de sociétés peut également être influencé par le nombre de personnes qui participent au projet.
En principe, l’exercice d’une activité en société nécessite la présence de plusieurs associés. Selon le Code des sociétés, le nombre minimum d’associés est de deux, sauf dans le cadre d'une société coopérative, où le législateur exige au moins trois associés.
Cependant, le législateur belge a mis en place un type de société pouvant ne comporter qu’un seul associé. Il s'agit de la SPRLU. Une personne seule peut donc également exercer son activité en société, mais devra opter pour la SPRLU.
Comment minimiser les risques ?
Certains types de sociétés offrent plus de protection aux associés que d’autres.
Il existe une première distinction importante : sociétés avec ou sans la personnalité juridique.
Les sociétés n’ayant pas la personnalité juridique ne sont pas, en tant que telles, titulaires de droits et obligations. Elles n’ont pas de patrimoine propre. Les engagements pris au nom d’une telle société sont en réalité souscrits par les associés personnellement. Il s’agit de la société de droit commun, la société interne et la société momentanée.
Les sociétés bénéficiant de la personnalité juridique sont les sociétés à forme commerciale. Elles ont une personnalité propre, distincte de celle des associés. Elles peuvent être titulaires de droits et obligations. Elles ont un patrimoine propre qui servira de garantie aux créanciers.
Au sein des sociétés disposant de la personnalité juridique, il existe une seconde distinction fondamentale relative à la responsabilité des associés quant aux engagements pris par la société. Leur responsabilité peut être limitée ou illimitée.
On parle de responsabilité limitée lorsque les risques pris par les associés, dans l'éventualité où la société ne sait plus faire face à ses obligations, sont limités aux apports qu’ils ont réalisés. En principe, les créanciers de la société ne peuvent pas saisir le patrimoine privé des associés. Les sociétés à responsabilité limitée sont les SA, SPRL et SCRL. La responsabilité des associés commanditaires dans les SCS et SCA est également limitée à leurs apports. La contrepartie d'une responsabilité limitée est, le plus souvent, l'exigence légale d'un capital minimum (voir point 6).
Dans les autres types de sociétés, les associés sont tenus de toutes les dettes de la société. En cas de défaut de paiement de la société, ses créanciers peuvent se retourner sur le patrimoine des associés.
Cette distinction doit être nuancée dans la mesure où, fréquemment, les associés d'une société à responsabilité limitée se portent caution des engagements de la société (vis-à-vis des banques, par exemple). Dans cette hypothèse, le patrimoine privé des associés peut être engagé. Enfin, lorsque les associés sont également les dirigeants de la société, leur responsabilité peut être mise en cause, soit par un créancier, soit par le curateur, en cas de faute de gestion.
Quels sont les moyens financiers disponibles pour le projet ?
La constitution d’une société peut entraîner différents coûts : les frais de notaire, l’établissement d’un plan financier, … Pour certaines formes de sociétés, il faut également tenir compte du capital minimum qui doit être mis à disposition de la société. Le choix entre les différentes formes de sociétés peut donc se justifier en fonction des moyens des associés.
Le plus souvent, aucun capital minimum n’est exigé pour les sociétés à responsabilité illimitée.
Par contre, pour les sociétés à responsabilité limitée, le capital minimum exigé peut grimper jusqu’à 61.500 € (dans le cas des S.A.). En outre, au travers d’un plan financier, les associés doivent démontrer que les moyens mis à disposition de la société sont suffisants pour l’activité projetée. A défaut de moyens suffisants, les associés-fondateurs peuvent voir leur responsabilité mise en cause.
Lorsqu’un capital minimum est exigé, il doit en principe être intégralement souscrit à la constitution de la société (c’est-à-dire que les associés doivent avoir pris l’engagement de mettre l’entièreté de cette somme à disposition de la société). Par contre, il n’est pas toujours requis qu’il soit intégralement libéré (c’est à dire payé) à la constitution de la société.
Notons également que le capital ne doit pas obligatoirement être constitué d’apports numéraires. Des apports en nature sont possibles (immeubles, clientèle, marques, etc.), mais sont soumis à un contrôle strict (rapport d’un réviseur d’entreprises, notamment).
Quelles sont les relations entre associés ?
Le régime de cessibilité des parts peut être un élément important lors du choix de la forme de la société. Tout comme le fait de savoir si le nombre d’associés peut être amené à changer régulièrement.
Dans certaines formes de sociétés, il est impossible de céder ses titres à un tiers sans obtenir au préalable l’accord de ses associés. C’est notamment le cas dans les SPRL : le cessionnaire doit être agréé par la moitié des associés représentant trois quart du capital. A l'opposé, la cession des titres dans les SA est, en principe, libre.
Dans la pratique, il est toujours possible, via les statuts ou moyennant la signature d’une convention d’actionnaires, d’encadrer et de restreindre la possibilité de céder ses parts.
Par ailleurs, si le nombre d’associés est amené à varier régulièrement, les sociétés coopératives présentent une particularité qui peut s’avérer intéressante. En principe, le capital d’une société est intangible et sa modification implique des formalités contraignantes. Les sociétés coopératives dérogent à ce principe : elles ont une partie de capital fixe et une partie de capital variable. Cette partie variable du capital peut être augmentée ou diminuée par simple décision du conseil d’administration. Cette particularité permet de facilité l’arrivée ou le départ d’associés.
Et donc, en personne physique ou au travers d’une personne morale ?
Le choix d’exercer son activité en personne physique ou en société et la mise en œuvre du projet de création d’une société impliquent de disposer des toutes les informations utiles, notamment pour être averti des risques existants et dont il faut être conscient (risque pénal, risque relatif aux cotisations spéciales sur les commissions secrètes, responsabilité par rapport aux tiers, etc.). Ces choix doivent être mûrement réfléchis, avec l’assistance de conseillers financiers et juridiques.
Enfin, la vérité d’un jour n’est pas forcément celle du lendemain. Ainsi, de nombreux entrepreneurs démarrent leur activité en personne physique et choisissent de passer par la suite en société, en fonction de leur évolution professionnelle et de l’essor de leurs activités. La situation n’est jamais figée. Au contraire, il est important de s’assurer, à intervalles réguliers, que les choix posés par le passé correspondent toujours à la situation actuelle.
[1] Les sociétés à finalité sociale « ne sont pas vouées à l'enrichissement de leurs associés » (art. 661 et s.).