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Abus de droit social : développements et perspectives
L’évolution de la notion de travail illégal en quelques mots
Comme le soulignait Monsieur VISART DE BOCARME, procureur général de Liège, dans sa mercuriale, prononcée à l’occasion de la rentrée de la Cour du travail de Liège en 2008, le travail illégal constitue un véritable « fléau mettant en péril l’équilibre de notre système de sécurité sociale qui doit rester un modèle du genre pour continuer à contribuer au bien-être des citoyens de ce pays » (C. VISART DE BOCARME, « Pour une politique intégrée de lutte contre la fraude », J.T.T., 2008, p. 457 et s.).
Cette donnée sociale n’est évidemment pas limitée au territoire belge mais recouvre également une dimension européenne. Dès 1998, la Commission européenne a mis l’accent sur la nécessité d’élaborer une action coordonnée sur ce problème du travail non déclaré.
Face à ce phénomène, la Belgique a adopté plusieurs mesures dont l’une a été de mettre sur pied une structure fédérale ayant pour objet la coordination des actions internes menées dans le cadre de la lutte contre le travail illégal, tout en constituant le point de contact avec les institutions européennes en vue d’assurer une coordination des actions européennes.
C’est ainsi que le Comité fédéral de coordination et le Conseil fédéral de lutte contre le travail illégal et la fraude sociale ont été institués par la loi du 3 mai 2003 (M.B. 10.06.2003). A cette occasion, les cellules d’arrondissement, créées par un protocole interministériel du 30 juillet 1993, ont été redéfinies en leur composition et en leur fonctionnement.
La loi programme (I) du 27 décembre 2006 (M.B. 28.12.2006) a ensuite abrogé la susdite loi du 3 mai 2003 afin de modifier et simplifier la structure des institutions mises en place. La réforme entendait par ailleurs favoriser une meilleure coordination entre les acteurs de terrain en vue d’optimiser la lutte contre la fraude sociale et le travail illégal. A cet effet, il a été institué un service d’information et de recherche sociale (ci-après : le SIRS).
Ces dispositions légales définissent la fraude sociale et le travail illégal comme « toute violation d'une législation sociale qui relève de la compétence des autorités fédérales. »
Cette définition a, depuis lors, été reprise dans l’article 1er, §1er du le Code pénal social.
L’abus de droit social ou la lutte contre les évitements et les détournements de la loi
Le concept d’abus de droit social est apparu dans la loi programme du 27 décembre 2012 (I) (M.B. 31.12.2012).
L’article 27, §1er de cette loi précise que l’abus de droit social existe « lorsqu'à travers un acte juridique ou une qualification d'un acte juridique, un justiciable se place lui-même, contrairement aux objectifs visés par une ou plusieurs dispositions du droit social, soit en dehors de l'application de celles-ci, soit sous leur application. »
Par cette entremise, la loi programme entend poursuivre et renforcer la politique de lutte contre la fraude sociale sous ses diverses formes en instaurant une « disposition anti-abus », similaire à celle organisée en droit fiscal (article 344, §1er du CIR 1992), visant à appréhender les évitements et détournements de la loi.
L’outil mis à la disposition des instances compétentes définies à l’article 26 de la loi programme du 27 décembre 2012 (à titre d’exemples : l’ONEM, le service de Contrôle des lois sociales du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale ou encore l’Inspection sociale du SPF Sécurité sociale) consiste à rendre inopposable une situation juridique constitutive d’un abus de droit social.
Sur cette base, la situation juridique n’est donc pas invalidée et conserve tous ses effets juridiques. Néanmoins, les instances visées aux termes de la loi programme pourront, pour l’application du droit social, ignorer le montage juridique mis en place. L’inopposabilité des opérations juridiques est donc uniquement en vigueur pour les instances strictement définies dans la loi (institutions de sécurité sociale et inspections sociales).
Pour ce faire, les instances concernées doivent démontrer l’existence d’un abus de droit social. Selon l’exposé des motifs de la loi, celles-ci ne doivent pas apporter la preuve d’une « intention subjective d’abus dans le chef du justiciable, mais seulement l’existence d’une opération juridique contraire à l’objectif de la loi » (La Chambre, Doc. Parl., session 53, 2012/2013, 2561/001, p. 25).
Dès qu’une instance a apporté cette preuve, le justiciable est présumé se trouver dans une situation d’abus de droit social. Il pourra néanmoins renverser cette présomption en démontrant qu’il n’avait ement l’intention de se soustraire à l’application d’une disposition de droit social.
Pour le surplus, rencontrant une observation émise par le Conseil d’Etat, la loi ne définit pas les moyens probatoires auxquels les instances et les justiciables peuvent recourir de sorte que c’est le droit commun de la preuve qui est applicable (La Chambre, Doc. Parl., session 53, 2012/2013, 2561/001, p. 25).
Enfin, relevons que la loi précise que les cas dans lesquels la disposition générale anti-abus sera d’application seront fixés par arrêté royal après avis du Conseil national du travail. A l’heure actuelle, aucun arrêté royal d’exécution n’a encore été adopté si bien qu’il n’est pas possible d’en déterminer la portée précise.
La coordination et le partage d’informations
Dans le cadre de la création d’une politique efficace de lutte contre la fraude sociale, le législateur a compris la nécessité d’optimiser la mise en commun des informations recueillies par les différents services pouvant être amenés à intervenir en cette matière.
Tenant compte des compétences de l’Etat fédéral et des entités fédérées, un accord de coopération a été conclu le 1er juin 2011 entre l’Etat, les Régions et le Communautés concernant la coordination des contrôles en matière de travail illégal et de fraude sociale. Cet accord a fait l’objet d’une loi d’assentiment du 1er mars 2013 (M.B. 21.03.2013).
L’objectif premier de cet accord est d’assurer la coordination de l’action des instances compétentes en matière de contrôle de la main-d’œuvre étrangère. En effet, cette matière, régie par la loi du 30 avril 1999 relative à l’occupation des travailleurs étrangers, ressort aussi bien de la compétence des services de contrôles régionaux et communautaires, que des services fédéraux (M.B. 21.05.1999).
L’exposé des motifs de la loi énonce que la coordination s’articule autour des trois grands axes suivants :
la collaboration permanente et la coordination active en matière de contrôles essentiellement menés par les cellules d’arrondissement dans le cadre de la lutte contre la fraude sociale;
l’échange d’informations dans le cadre de la cellule d’arrondissement;
l’échange de formations dans le cadre de cette même cellule.
Outre cet objectif, l’accord de coopération énonce que « le non-respect de la législation relative à l’occupation de main-d’œuvre étrangère se révèle et se traduit aussi par la violation d’autres législations et nécessite une coopération entre services qui va au-delà de la collaboration en matière de surveillance de la loi du 30 avril 1999 » (La Chambre, Doc. Parl., session 53, 2508/001).
Dès lors, l’accord de coopération du 1er juin 2011 n’est pas limité à la seule question de l’occupation des travailleurs étrangers, mais peut être étendu à toute autre matière relative au travail illégal et à la fraude sociale ressortant de la compétence de l’Etat fédéral, des Communautés et des Régions. Les travaux parlementaires visent ainsi plus particulièrement « la lutte contre le travail illégal et la fraude sociale dans les domaines tels que la traite des êtres humains, le trafic des êtres humains, la mise à disposition de travailleurs, les bureaux de placements payants, la discrimination ainsi que les mesures pour l’emploi » (La Chambre, Doc. Parl., session 53, 2508/001, pp. 6-7).
Conclusions et perspectives :
L’objectif poursuivi par le législateur, lors de l’adoption du concept d’abus de droit social, visait à se prévaloir d’une mesure générale anti-abus en vue de permettre aux autorités compétentes d’appréhender un maximum de situations problématiques. Tenant compte de cet objectif, l’abus de droit social demeure un concept relativement flou.
Gageons que l’arrêté royal, qui déterminera les cas dans lesquels la législation anti-abus sera d’application, permettra une meilleure compréhension d’un concept qui paraît pour l’heure difficilement applicable.