Qu’est-ce qu’une PRJ (procédure de réorganisation judiciaire) ?

Mes Virginie Bloom et François Frederick, avocats au barreau de Liège-Huy

Mis à jour par Me Florian Ernotte, avocat au barreau de Liège-Huy

 

Au gré de l’évolution de ses affaires, l’entreprise peut être amenée à connaître des difficultés temporaires, dues par exemple à une crise générale ou sectorielle, à la faillite d’un de ses fournisseurs ou de clients importants, à un investissement inopportun, à une condamnation judiciaire ou encore à un accident quelconque, une gestion déficiente, la pression concurrentielle, la maladie ou le décès de son dirigeant, …

Le législateur a instauré le procédure de réorganisation judiciaire qui a pour but de préserver, sous le contrôle du juge, la continuité de tout ou partie des actifs ou des activités de l'entreprise. Cette procédure permet de trouver un équilibre entre l’entreprise, les travailleurs de cette entreprise et ses créanciers.

La procédure de réorganisation judiciaire est intégrée dans le livre XX « insolvabilité des entreprises » du Code de droit économique, entré en vigueur à partir du 01/05/2018.

 Sont ici visées par la procédure toute entreprise au sens de l’article I.1, alinéa 1er, 1° du Code de droit économique (personne physique ou personne morale).

 

2 types de mesures :

  1. Mesures provisoires en dehors de la procédure de réorganisation judiciaire

Il s’agit tout d’abord de la création du statut de médiateur d’entreprise qui est un praticien de l’insolvabilité et qui est désigné par le Tribunal. Il a pour mission de faciliter la réorganisation de tout ou partie des actifs ou des activités de l’entreprise.

Il a pour mission légale de préparer et favoriser soit la conclusion d'un accord amiable, d’un accord collectif ou d’un transfert sous autorités de justice de tout ou partie de l’activité de l’entreprise.

Ce rôle de facilitateur est essentiel pour les entreprises. Les entreprises trouveront dans le médiateur un praticien de l’insolvabilité chevronné qui, désigné par le Tribunal, agira comme mandataire de justice ce qui lui confère, aux yeux des tiers, une neutralité nécessaire pour réorganiser une entreprise.

La désignation du mandataire n’est pas publiée. Cela permet à l’entreprise de ne pas faire « peur » à ses créanciers et permet aussi de négocier « en coulisse ».

Le médiateur peut solliciter, de son propre chef, un sursis ne pouvant excéder 4 mois, pour lui permettre de faciliter la réorganisation de l’entreprise dans de bonnes conditions.

 

  1. La procédure de réorganisation judiciaire

La loi permet de viser trois types d’objectif au sein d’une procédure de réorganisation judiciaire.

Une réorganisation par accord amiable, une réorganisation par accord collectif ou la réorganisation par transfert sous autorité de justice.

Il est tout à fait possible de passer, en cours de procédure, d’un objectif à l’autre voire de les combiner. 

La procédure débute par le dépôt d’une requête auprès du Tribunal de l’Entreprise. Cette requête explique l’objectif de la procédure (accord amiable, accord collectif ou transfert).

Comme nous le verrons ci-dessous, la période de sursis (d’un délai de maximum 6 mois pouvant être reconduit) va permettre à l’entreprise en difficulté d’être mise à l’abri de ses créanciers, lesquels ne pourront plus engager contre elle de mesure d’exécution (sauf dans certains cas où il s’avère qu’une date avait déjà été fixée pour la vente, avec la possibilité cependant pour le Tribunal de lever la saisie ou le jour de vente).

 Dans le délai du sursis imparti par le Tribunal, l’entreprise devra :

  • soit trouver un accord avec au moins 2 créanciers dans le cadre d’une procédure par accord amiable,
  • soit proposer un plan de désintéressement à tous ses créanciers dans le cadre d’une procédure par accord collectif,
  • soit proposer au Tribunal un projet de transfert de l’activité de l’entreprise par l’intermédiaire d’un mandataire de justice qui aura été désigné par le Tribunal au préalable.
  1. La réorganisation judiciaire par accord amiable avec tous les créanciers ou avec deux ou plusieurs d’entre eux permet l’établissement d’une convention ne pouvant être remise en question par une faillite ultérieure du débiteur.
  1. La réorganisation judiciaire par accord collectif permet la mise en œuvre d’un plan global de paiement des créanciers dont la créance a une cause antérieure au dépôt de la requête. Le plan, d’une durée maximale de cinq ans peut prévoir des abattements de créances jusqu’à 80 %.

    Ce plan est soumis au vote des créanciers. Si celui-ci est approuvé par la majorité de ces derniers et homologué par le tribunal, il devra être scrupuleusement exécuté sous peine de voir le tribunal prononcer sa révocation, ce qui aboutira à l’annulation du plan et des éventuels abattements.

    Cet objectif n’est à envisager que si les prévisions de l’entreprise démontrent une certaine rentabilité à moyen terme de l’activité. La période de sursis, habituellement de six mois, pourrait d’ailleurs être réduite à une durée bien moindre si le Tribunal avait des doutes quant à celle-ci.
  1. La réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice de tout ou partie de l’entreprise ou de ses activités peut être ordonnée par le Tribunal lorsque le débiteur y consent dans sa requête en réorganisation judiciaire ou ultérieurement au cours de la procédure. La procédure de collecte des offres et le transfert sont supervisés par le mandataire de justice. Le cas échéant, le cessionnaire choisit lui-même les travailleurs qu’il reprend, lesquels conservent en principe leurs droits et obligations en cas de transfert. Leurs conditions de travail pourraient néanmoins être modifiées dans le cadre de négociations concertées (CCT) en vue de préserver l’emploi ou dans le cadre de négociations individuelles entre cessionnaire et travailleurs. Le cessionnaire, le cédant ou le mandataire de justice peuvent solliciter l’homologation du transfert projeté auprès du tribunal du travail afin d’en accroître la sécurité juridique.

 

D’un point de vue procédural, l’entrepreneur en difficulté qui veut se placer sous la protection de la PRJ doit déposer une requête en réorganisation judiciaire au greffe du tribunal de commerce.

L’introduction d’une telle procédure se fait désormais via la plate-forme Regsol. Le coût de l’introduction de la requête s’élève à un montant de 298 €, à majorer d’un montant de 20 € de contributions pour l’aide juridique.

L’entreprise en difficulté sollicitera le plus souvent l’aide d’un avocat pour la préparation de la requête et surtout la constitution de son dossier qui devra être suffisamment étayé.

En effet, celui-ci doit contenir au moins les éléments suivants :

1/ un exposé des événements sur lesquels est fondée sa demande et dont il ressort qu'à son estime, la continuité de son entreprise est menacée à bref délai ou à terme;

2/ l'indication de l'objectif ou des objectifs pour lesquels il sollicite l'ouverture de la procédure de réorganisation (réorganisation par accord amiable sous supervision judiciaire, la réorganisation par accord collectif ou la réorganisation par transfert sous autorité de justice) ;

3/ l'indication d'une adresse électronique à laquelle il peut être joint tant que dure la procédure et à partir de laquelle il peut accuser réception des communications ;

4/ les deux derniers comptes annuels qui auraient dû être déposés conformément aux statuts, ainsi que les comptes annuels du dernier exercice, qui n'auraient éventuellement pas encore été déposés ou, si le débiteur est une personne physique, les deux dernières déclarations à l'impôt des personnes physiques;

5/ une situation comptable qui reflète l'actif et le passif et le compte de résultats ne datant pas de plus de trois mois, établis avec l’assistance d'un réviseur d'entreprises, d'un expert-comptable externe, d'un comptable agréé externe ou d'un comptable-fiscaliste agréé externe;

6/ un budget contenant une estimation des recettes et dépenses (une prévision de rentabilité / un business plan) pour la durée minimale du sursis demandé (la plupart du temps 6 mois), préparé avec l'assistance d'un expert-comptable externe, d'un comptable fiscaliste agréé externe ou d'un réviseur d'entreprises; sur avis de la Commission des normes comptables, le Roi peut établir un modèle de prévisions budgétaires ;

7/ une liste complète de l’ensemble des créanciers sursitaires reconnus ou se prétendant tels [fournisseurs, banques, institutionnels (SFFF, ONSS, bailleur,..], avec mention de leur nom, de leur adresse et du montant de leur créance et avec mention spécifique de la qualité de créancier sursitaire extraordinaire (créanciers bénéficiant d’une hypothèque ou d’un privilège spécial, créancier gagiste, vendeur d’effets mobiliers impayés, société de leasing, bailleur, vendeur bénéficiant d’une clause de réserve de propriété) ;

8/ les mesures et propositions qu'il envisage pour rétablir la rentabilité et la solvabilité de son entreprise, pour mettre en œuvre un éventuel plan social et pour satisfaire les créanciers (réorganisation, investissement et/ou investisseur pressenti, carnet de commandes, nouveaux projets qui viendraient relancer le carnet de commandes, adjonction d’un partenaire financier ou commercial,…) ;

9/ l'indication que le débiteur a satisfait aux obligations légales et conventionnelles d'information et de consultation des travailleurs ou de leurs représentants en vue de l’introduction de la requête en PRJ.

10/ la liste des associés si l’entreprise est une personne dont les associés ont une responsabilité illimitée, et la preuve que les associés ont été informés;

11/ une copie des commandements et exploits de saisie-exécution mobilières et immobilières, tels qu'ils apparaissent au fichier central des avis de saisie, de délégation, de cession et de règlement collectif de dettes, dans l'hypothèse où il sollicite la suspension des opérations de vente sur saisie exécution immobilière ;

Une fois la requête déposée, un Juge délégué est alors désigné pour surveiller le déroulement de la procédure et tenir le Tribunal informé de l’évolution de la situation du débiteur. En principe, une première réunion se déroule au siège d’activité de l’entreprise avant l’audience au Tribunal. 

La requête est examinée par le tribunal dans les quinze jours de son dépôt au greffe, après avoir entendu le rapport du juge délégué sur la recevabilité et le fondement de la demande et sur tout élément utile à son appréciation.

Le Tribunal octroie le bénéfice de la procédure en réorganisation judiciaire si la continuité de l’entreprise est menacée, ce qui est présumé être le cas pour une personne morale lorsque les pertes ont réduit l’actif net à moins de la moitié du capital.

En cas de feu vert du tribunal, l’entreprise reçoit alors une bouffée d’oxygène, car ses dettes échues sont « gelées » durant la période dite « sursitaire » (maximum 6 mois mais prorogeable jusqu’à douze, voire dix-huit mois dans des circonstances exceptionnelles). Les nouvelles dettes contractées dans le cadre de l’activité de l’entreprise ne sont cependant pas concernées par le sursis et devront être payées à leur échéance.

Concernant les dettes sursitaires, l’entreprise ne peut pas les payer, sauf cas exceptionnel et autorisation du juge délégué, avant l’homologation du plan ou du transfert.

A dater du jugement et endéans un délai de huit jours, les créanciers doivent quant à eux être informés par l’entreprise en difficulté de l’octroi du sursis. L’entreprise informera aussi ses créanciers du montant de leur créance inscrite dans les comptes qui aura été déclaré au tribunal.

Durant cette période sursitaire, les procédures d’exécution forcée sont suspendues et les créanciers ne peuvent plus pratiquer de saisie, même conservatoire ; la faillite de l’entreprise ne peut plus être déclarée. Par contre, les actions directes ne sont quant à elles pas entravées, ce qui représente évidemment un bémol pour les entreprises actives dans le secteur de la construction. De même, les retenues en matière fiscale et/ou sociale devront toujours être opérées par le commettant qui fait appel à un cocontractant qui a pareille dette et ce, même durant la période de sursis. Cela constitue un retour en arrière par rapport à la législation précédente qui avait supprimé ces retenues. Ce nouveau régime est applicable depuis le 01/01/2020.

En fonction de l’objectif qui aura été choisi parmi ceux susvisées, la période sursitaire visera la recherche d’un accord avec les créanciers de l’entreprise en difficulté ou du repreneur idéal qui permettra de pérenniser tout ou partie de l’activité de l’entreprise.

 

En pratique, focalisés sur leurs activités, les entreprises avisées veilleront à s’entourer, dès le début des difficultés, de spécialistes qui sauront le conseiller au mieux et juger de l’opportunité d’une telle procédure. Il faudra encore en convaincre le tribunal sur la base d’un dossier étayé, objectif et rationnel, tant au stade de l’introduction de la requête que de la suite de la procédure. L’avocat, aux côtés du professionnel du chiffre, sera donc le partenaire idéal de l’entrepreneur en difficulté pour établir un plan de réorganisation adéquat en vue d’assurer la continuité de l’entreprise.