La protection contre le licenciement en matière de violence et de harcèlement au travail
Me Stéphanie Bar, avocate au barreau de Liège
1. En 2002, le législateur a adopté des mesures visant à prévenir et remédier au harcèlement et à la violence sur les lieux du travail.
Ces dispositions ont été intégrées dans la loi du 4 août 1996 relative au bien-être au travail (article 32 bis et suivants).
Le travailleur victime de violence ou de harcèlement au travail peut depuis lors déposer une plainte ou introduire une action judiciaire spécifiquement prévues par la loi.
Afin que le travailleur puisse faire valoir ses droits en toute liberté, sans craindre les représailles de son employeur, une protection a été mise en place. Cette protection fait l’objet de l’article 32 tredecies de la loi.
A l’origine, il s’agissait uniquement d’une protection contre le licenciement et la modification unilatérale des conditions de travail par l’employeur.
L’article 32 tredecies a été largement revu en 2014 (loi du 28 février 2014, entrée en vigueur le 1er septembre 2014).
Voici ce qu’il prévoit actuellement :
2. La protection est prévue en faveur des personnes suivantes (article 32 tredecies de la loi du 4 août 1996) :
- le travailleur qui a introduit une demande d'intervention psychosociale formelle au niveau de l’entreprise pour faits de violence ou de harcèlement moral ou sexuel au travail, selon les procédures en vigueur ; cette demande est adressée au conseiller en prévention aspects psychosociaux désigné par l’employeur ;
- le travailleur qui a déposé une plainte conforme aux exigences de la loi (voir ci-dessous, point (6)) auprès de l’Inspection du Contrôle du bien-être au travail ou auprès des services de police, du ministère public ou du juge d'instruction ;
- le travailleur qui intente ou pour lequel est intentée une action en justice (que ce soit devant une juridiction pénale, une juridiction civile ou même devant le conseil d’état)
- le travailleur qui témoigne dans le cadre de l'examen de la demande d'intervention psychosociale formelle pour faits de violence ou de harcèlement moral ou sexuel au travail ou d’une action en justice
Il importe peu à cet égard que la demande d’intervention formelle, la plainte ou l’action en justice soit fondée ou non.
C’est le simple dépôt de la demande d’intervention, de la plainte, du témoignage ou l’introduction de l’action qui fait naître la protection.
3. En quoi consiste la protection ?
L’employeur se voit interdire de :
- licencier le travailleur protégé et de prendre, à son égard, une mesure préjudiciable après la cessation des relations de travail, sauf pour des motifs étrangers à la demande d'intervention psychosociale formelle, à la plainte, à l'action en justice ou au témoignage ;
- prendre à l’égard du travailleur protégé, pendant l'existence des relations de travail, une mesure préjudiciable qui est liée à la demande d'intervention psychosociale formelle, à la plainte, à l'action en justice ou au témoignage. A cet égard, la loi précise que les mesures que l’employeur serait amené à prendre, en vertu de l’obligation que lui impose la loi, pour remédier aux faits de violence ou de harcèlement dont il est informé, ne constituent pas des mesures préjudiciables si elles présentent un caractère proportionnel et raisonnable.
Il ne s’agit donc pas seulement de protéger le travailleur contre le licenciement mais également de le protéger contre des mesures préjudiciables qui seraient prises en cours de contrat, ou après la fin de celui-ci.
4. Renversement de la charge de la preuve
Cette protection est complétée par un renversement de la charge de la preuve en faveur du travailleur protégé (article 32 tredecies §2).
Ce régime est toutefois limité dans le temps : il s’applique pendant les 12 mois qui suivent la demande d’intervention formelle, le dépôt de la plainte ou le témoignage ou en cas d’action en justice, jusque 3 mois après que le jugement soit coulé en force de chose jugée.
Si le travailleur est licencié ou si les mesures interviennent au cours de cette période, il appartiendra à l’employeur de prouver que le licenciement ou la mesure, est justifié par des motifs totalement étrangers à la demande d’intervention formelle, la plainte, le témoignage ou l’action en justice (par exemple des nécessités de restructuration, de réorganisation, des problèmes comportementaux du travailleur, une incompétence, des insubordinations, …).
Si l’employeur échoue dans cette preuve, il sera redevable de l’indemnité de protection (voir ci-dessous point (10)).
5. Début de la protection
La protection prend cours dès que l’événement qui y donne lieu se produit, c’est-à-dire :
- à partir du moment où la demande d’intervention formelle est acceptée par le conseiller en prévention (auquel la loi octroie un certain pouvoir d’appréciation) ;
- dès le moment où la plainte répondant aux exigences de la loi (voir ci-dessous, point (6)) a été réceptionnée par son destinataire ;
- à partir de la convocation ou de la citation à témoigner en justice ;
- dès que la citation en justice est signifiée ou dès que la requête introductive d’instance est déposée.
Comment l’employeur est-il informé de l’événement qui donne lieu à la protection (art. 32 tredecies §6) ?
Il est informé par :
- le conseiller en prévention dès que celui-ci a accepté la demande d’intervention formelle, de l’existence de la protection en faveur du travailleur et/ou du témoin ;
- celui qui a réceptionné la plainte, et ce le plus rapidement possible ;
- le témoin en justice lui-même (la convocation ou la citation en justice invite le témoin à procéder à cette information) ;;
- ou par le travailleur lui-même lorsqu’il introduit une action en justice.
Il résulte de ce qui précède qu’il y aura parfois un décalage entre la prise de cours de la protection et l’information de l’employeur.
6. Quel doit être l’objet de la plainte pour qu’elle donne lieu à la protection légale ?
La plainte déposée auprès de l’Inspection du Contrôle du bien-être au travail, des services de police, du ministère public ou du juge d’instruction donnera lieu à la protection si elle est fondée sur l’un des motifs suivants :
- l'employeur n'a pas désigné de conseiller en prévention spécialisé dans les aspects psychosociaux du travail ;
- l’employeur n'a pas mis en place les procédures de prévention spécifiques en matière de violence et de harcèlement moral ou sexuel au travail, telles que prévues par la loi ;
- la demande d'intervention psychosociale formelle pour faits de violence ou de harcèlement moral ou sexuel au travail n'a pas, selon le travailleur, abouti à mettre fin aux faits de violence ou de harcèlement ;
- les procédures de prévention spécifiques en matière de violence et de harcèlement moral ou sexuel au travail n'ont pas, selon le travailleur, été appliquées légalement.
La plainte déposée auprès des services de police, du ministère public ou du juge d'instruction, donnera en outre lieu à la protection si elle est déposée en raison du fait que la procédure interne (c’est-à-dire la demande d’intervention psychosociale formelle) n'est pas appropriée, vu la gravité des faits dont le travailleur fait l'objet.
8. Durée de la protection
La loi ne précise pas quand la protection prend fin. Les modifications intervenues en 2014 n’ont pas remédié à cette lacune.
La question fait l’objet de controverses.
Certains soutiennent qu’en vertu de l’article 32 tredecies §2, la protection prend fin 12 mois après la demande d’intervention formelle, le dépôt de la plainte ou du témoignage, ou 3 mois après que le jugement soit devenu définitif.
Cette thèse ne semble toutefois pas autorisée par le texte qui n’évoque nullement la fin de la protection mais seulement la durée limitée du régime de renversement de la charge de la preuve.
Elle semble en outre contraire à la ratio legis de la protection dès lors que rien ne permet d’affirmer que 12 mois après la demande d’intervention, la plainte ou le témoignage, ou 3 mois après le jugement définitif faisant suite à l’action en justice, le travailleur serait à l’abri de tout risque de représailles.
Selon une interprétation stricte du texte, seul le renversement de la charge de la preuve prend fin après la période prévue par l’article 32 tredecies §2, en sorte que le travailleur qui prétendrait, 2, 3 ou 10 ans après le dépôt d’une plainte, qu’il est licencié en raison de cette plainte, bénéficierait certes toujours de la protection mais plus du renversement de la charge de la preuve. Il lui appartiendrait de démontrer positivement qu’il a été licencié à titre de représailles. L’écoulement du temps rendra cette tâche de plus en plus difficile.
9. Demande de réintégration
Le travailleur qui bénéficie de la protection et qui est licencié ou dont les conditions de travail sont modifiées de façon injustifiée, peut demander sa réintégration dans l’entreprise dans les conditions de travail antérieures.
Il doit le faire par lettre recommandée dans les 30 jours du licenciement (rupture immédiate ou notification d’un préavis) ou de la modification. L’employeur doit alors prendre position dans les 30 jours suivant la notification de la demande de réintégration (article 32 tredecies §3).
Ce n’est toutefois qu’une faculté du travailleur et non une obligation en sorte que l’absence de demande de réintégration ne le prive pas du droit de réclamer l’indemnité de protection.
Si l’employeur réintègre le travailleur ou rétablit les conditions de travail antérieures, il doit payer au travailleur les arriérés de rémunération perdus entretemps.
10. Sanction de la violation de la protection
Le travailleur a le choix (article 32 tredecies §4) soit de demander l’indemnisation du préjudice qu’il a réellement subi soit de demander le paiement d’une indemnité forfaitaire de 6 mois de rémunération.
Le travailleur choisira le plus souvent l’indemnité forfaitaire car s’il choisit la première voie, il devra apporter la preuve de l’existence et de l’étendue de son préjudice, et démontrer que celui-ci est distinct de celui qui est réparé par l’indemnité compensatoire de préavis à laquelle il peut éventuellement prétendre.
Décembre 2018