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Tous complices ?
Maître Benoît Lecarte, avocat au barreau de Liège
La responsabilité d’un tiers à une convention peut être retenue lorsqu’il participe sciemment à la violation, par une partie, des obligations qu’elle a contractées à l’égard d’un premier partenaire.
Une partie s’engage à l’égard d’une autre par contrat. De meilleures conditions sont offertes au débiteur par un tiers à la convention, qui sait ou doit savoir que son client potentiel est déjà lié, et soumis à une obligation d’exclusivité ou de non-concurrence, par exemple.
Risque d’indemnisation
En concluant un nouveau contrat avec le tiers, au mépris de l’obligation d’exclusivité ou de non-concurrence , le débiteur viole ses obligations contractuelles, et s’expose à une demande en indemnisation du créancier originaire lésé par la rupture du contrat. Mais le débiteur originaire n’est pas le seul auquel le créancier pourra demander des comptes…
Le tiers, qui sait ou doit savoir que son nouveau client n’était pas libre de s’engager avec lui, participe, en qualité de tiers complice, à la rupture du contrat et engage sa responsabilité quasi-délictuelle (c’est-à-dire fondée sur l’article 1382 du Code civil) à l’égard du créancier évincé.
Il ne suffit pas que le débiteur rompe fautivement le contrat qui le lie au créancier pour que la responsabilité du tiers soit engagée. Il faut que le tiers participe à cette faute, ce qui suppose concrètement qu’il conclue avec le débiteur un contrat ayant le même objet.
A quelles conditions ?
La tierce complicité est établie dans le chef du nouveau partenaire si :
- Un contrat valable existe entre le débiteur des obligations contractuelles initiales et le créancier évincé.
- Le débiteur commet une faute de nature contractuelle à l’égard du cocontractant évincé.
- Le tiers connaît ou doit connaître (le cas échéant après s’être un mimimum informé), en raison des circonstances, l’existence d’obligations antérieures liant son client.
- Le tiers participe à la violation de ces obligations : il s’immisce en quelque sorte dans la relation contractuelle préexistante avec l’intention de se substituer au créancier originaire.
Réparation du dommage
Le cocontractant qui ne respecte pas les obligations nées du contrat pourra être tenu de réparer le dommage qu’il cause à son partenaire évincé. L’évaluation du dommage peut notamment être prévue par le contrat (la convention contient une clause pénale, par exemple), ou être fixée sur base du préjudice réellement subi (manque à gagner).
Le dommage à la réparation duquel le tiers complice sera tenu pourra être identique.
La jurisprudence admet parfois que le tiers puisse faire « marche arrière » lorsqu’il réalise que son partenaire n’était pas autorisé, en vertu d’un contrat préexistant, à se lier avec lui. Attention : cette faculté de renoncement a pour corollaire une responsabilité plus étendue du tiers. Puisqu’il peut encore renoncer au marché lorsqu’il apprend que son client ou partenaire est déjà tenu à un contrat similaire, il ne pourra pas se prévaloir de son ignorance initiale pour échapper aux sanctions évoquées ci-dessus.
En d’autres termes, la faute ne consisterait pas seulement en la signature d’un nouveau contrat, mais également dans la poursuite de l’exécution de cette nouvelle convention au préjudice des droits du tiers évincé. Il faut souligner que cette jurisprudence est peu fréquente et fait l’objet de critiques.
La prudence recommande de s’informer sur les obligations contractuelles exclusives qui peuvent lier un client ou un partenaire potentiel à un concurrent, spécialement lorsque les usages de la profession ou du secteur impliquent fréquemment une telle exclusivité (contrat de brasserie, distribution commerciale, jeux de hasard,…).
Le cocontractant qui réalise qu’un contrat qu’il vient de conclure avec un nouveau partenaire l’a été au mépris d’obligations contractuelles préexistantes liant ce nouveau client à un concurrent sera bien inspiré d’envisager de résilier ce nouveau contrat afin de ne pas s’exposer à une demande en indemnisation du cocontractant évincé.