Protection des secrets d’affaires : que nous réserve l’avenir ?

Maître Xavier Defoy, avocat au barreau de Liège

De quoi parle-t-on ?

Les entreprises innovantes accordent une grande valeur à leurs savoir-faire et aux informations qu’elles détiennent grâce à leurs travaux et recherches. Ces savoir-faire et informations constituent souvent un avantage concurrentiel dans leur secteur d’activité. Elles cherchent donc, et c’est bien légitime, à protéger leurs découvertes afin de maintenir cet avantage.

Pour ce faire, elles disposent de deux moyens. Elles peuvent protéger leurs découvertes soit grâce aux outils de la propriété intellectuelle, tels les brevets, les dessins ou les modèles, ce qui aura pour conséquence de rendre ces découvertes publiques mais inutilisables par leurs concurrents durant la durée de vie du droit de propriété intellectuelle, soit en conservant leurs découvertes secrètes. Ces savoir-faire et ces informations commerciales de valeur, qui ne sont pas divulgués et que l'on entend garder confidentiels, sont appelés secrets d'affaires. Dans ce cas, les entreprises ne bénéficient pas d’une protection légale particulière. Le droit belge connait bien entendu des mesures particulières, disséminées dans les droits pénal, du travail, de la concurrence, des pratiques du marchés, etc. mais aucune mesure générale protégeant ces secrets d’affaires.

Quel est le problème ?

Les entreprises, les Etats ainsi que l’Union européenne constatent depuis des années que les entreprises innovantes sont de plus en plus exposées à des pratiques malhonnêtes qui visent l'appropriation illicite de secrets d'affaires, tels que le vol, la copie non autorisée, l'espionnage économique ou le non-respect d'exigences de confidentialité.

Partant de ce constat, l’Union européenne a adopté une proposition de directive en vue de protéger ces savoir-faire et informations non divulgués, dite « Directive secrets d’affaires », non encore publiée à l’heure actuelle (Résolution législative du Parlement européen du 14 avril 2016 sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites).

Bien que cette directive ne portera d’effets concrets en droit belge que dans plusieurs années, l’on peut déjà tracer dans les grandes lignes les conséquences qu’elle produira dans le monde des affaires et de l’innovation.

Comment fonctionnera la protection des secrets d’affaires ?

La directive ayant pour objet de protéger des informations qui par définition ne sont pas connues, une protection a priori, à l’image des droits de propriété intellectuelle, est matériellement complexe à mettre en œuvre.

Pour cette raison, l’Union européenne met en place un système de protection a posteriori, consistant à sanctionner ceux qui se seront rendu coupable de l’obtention, de l’utilisation ou de la divulgation d’un secret d’affaires d’autrui de manière illicite.

Quand une obtention, divulgation ou utilisation de secrets d’affaires est-elle licite ou illicite ?

La directive considère que l'obtention d'un secret d'affaires est considérée comme licite lorsque ce secret est obtenu par l’un ou l’autre des moyens suivants :

  • une découverte ou une création indépendante;
  • l'observation, l'étude, le démontage ou le test d'un produit ou d'un objet qui a été mis à la disposition du public ou qui est de façon licite en possession de la personne qui obtient l'information ;
  • l'exercice du droit des travailleurs ou des représentants des travailleurs à l'information et à la consultation;
  • toute autre pratique qui, eu égard aux circonstances, est conforme aux usages honnêtes en matière commerciale.

En revanche, l'obtention d'un secret d'affaires sans le consentement du détenteur de ce secret est considérée comme illicite lorsqu'elle est réalisée par le biais :

  • d'un accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier électronique ou d'une appropriation ou copie non autorisée de ces éléments ;
  • de tout autre comportement qui, eu égard aux circonstances, est considéré comme contraire aux usages honnêtes en matière commerciale.

L’utilisation et la divulgation d’un secret d’affaires sont quant à elles illicites, bien entendu, lorsqu’elles résultent d’une obtention illicite de ce secret d’affaires, ou lorsqu’elles ont lieu en violation d’une obligation contractuelle, telle une clause de confidentialité.

Quelles sanctions ?

La directive ne définit pas de sanctions précises. Ce rôle revient à chaque Etat membre, qui devra déterminer la sanction à laquelle s’expose celui qui obtiendrait, divulguerait ou utiliserait un secret d’affaires de manière illicite.

La directive indique cependant que les Etats membres doivent prévoir d’une part un moyen pour les détenteurs de secrets d’affaires d’empêcher la divulgation de leurs secrets (lorsque cela est possible, bien entendu) et d’autre part un moyen d’obtenir réparation pour le préjudice subi en cas d’obtention, d’utilisation ou de divulgation illicite desdits secrets.

Conclusion

Comme précisé au début de cette brève, la directive « secrets d’affaires » n’est pas encore publiée. Lorsqu’elle l’aura été, elle devra encore être transposée en droit belge, processus qui généralement prend plusieurs années. Il est donc actuellement impossible de prédire la manière dont la Belgique appliquera cette directive dans son droit interne.

Pour l’heure, les secrets d’affaires sont encore relativement mal protégés, et il importe pour toute entreprise innovante soucieuse de conserver l’avantage concurrentiel qu’elle a obtenu grâce à son travail, de déterminer si sa découverte devrait être gardée secrète ou protégée par un droit de propriété intellectuelle. A cette fin, la consultation d’un avocat spécialisé ne peut qu’être conseillée.