Les pièges à éviter en matière de qualification d’une relation de travail : le cas des "faux indépendants"

Maître Olivier Coenegrachts, avocat au barreau de Liège

Lorsqu’une entreprise souhaite faire appel à de nouveaux collaborateurs, elle doit déterminer le cadre juridique dans lequel cette relation professionnelle va évoluer. Elle peut décider de conclure un contrat de travail ou alors de recourir à des travailleurs indépendants. Ce choix n’est pas anodin et a des répercussions importantes sur les droits et obligations des deux parties.

Opter pour une collaboration avec un indépendant présente certains avantages pour les parties, notamment au niveau des charges sociales et de la flexibilité de l’organisation du travail. Cependant, cette option ne permet pas de bénéficier de la protection du droit du travail. En outre, le régime de sécurité social qui en découle est, sous certains aspects, moins avantageux pour le prestataire indépendant.

Le statut d’indépendant étant a priori plus avantageux pour les entreprises, ces dernières pourraient être tentées d’y recourir, alors qu’il ne correspond pas exactement à la réalité. L’entreprise doit, toutefois, avoir conscience que la qualification de la relation de travail choisie par les parties peut être remise en cause par l’ONSS ou par le travailleur, même si ce dernier avait à l’origine marqué son accord sur le statut d’indépendant. En cas de requalification du contrat d’indépendant en contrat de travail, les conséquences peuvent être graves pour l’entreprise, qui devra notamment régulariser les arriérés de cotisations sociales, les arriérés de rémunérations et devra respecter les règles impératives du droit du travail, comme en matière de rupture du contrat, par exemple.

Quels critères permettent de distinguer un travailleur salarié d’un travailleur indépendant ? Le critère distinctif principal repose sur l’existence d’un lien de subordination entre l’employeur et le salarié. Cette subordination est absente dans le cadre d’une collaboration entre une entreprise et un indépendant.

Qu’est-ce qu’un lien de subordination ? Il s’agit du pouvoir de l’employeur de donner des instructions au travailleur et d’en contrôler l’exécution. Le législateur a établi, dans une loi du 27 décembre 2006, une liste de critères qui permettent de vérifier si un lien de subordination est présent, et donc de qualifier la relation de travail. D’une part, la loi prévoit des critères généraux applicables à tous les secteurs d’activité permettant de déterminer la nature de la relation de travail :

  • La volonté des parties de collaborer ou non sur une base indépendante. Il faut vérifier la manière dont le contrat est exécuté concrètement pour déterminer s’il s’agit d’un contrat de travail ou d’un travail indépendant. La dénomination du contrat est sans incidence. 
     
  • La liberté d’organisation du temps de travail. Les éléments suivants constituent, notamment, des indices de l’existence d’un contrat de travail :

     
    • si le travailleur a l’obligation de se conformer à un horaire précis et contraignant ;
    • s’il ne peut pas fixer ses jours de congé librement ;
    • s’il doit prévenir en cas d’absence et s’il a l’obligation de justifier ses absences.
       

Néanmoins, il faut noter que l’obligation de travailler en respectant certain horaires peut être justifiée par des raisons d’ordre organisationnel et commercial. Cela ne signifie donc pas automatiquement qu’il existe un contrat de travail.

  • La liberté d’organisation du travail. Si l’une des parties doit systématiquement donner des instructions précises à l’autre et lui indiquer la manière dont le travail doit être effectué, cela laisse également penser qu’un contrat de travail existe entre les parties. En revanche, s’il s’agit d’instructions d’ordre général et nécessaires à la bonne organisation de la société, cela reste compatible avec un travail indépendant.
  • La possibilité d’exercer un contrôle hiérarchique. Si une partie exerce sur l’autre une autorité hiérarchique, il ne peut pas s’agir d’un travail indépendant. Il est cependant possible qu’une partie exerce un contrôle de qualité du travail effectué par l’autre partie. Cela n’implique pas automatiquement qu’un contrat de travail existe.

    D’autre part, la loi fixe des critères spécifiques dans certains domaines, tels que notamment la construction, le gardiennage, le transport et  le nettoyage.

Notre conseil : il est vivement conseillé aux parties débutant une nouvelle collaboration professionnelle de se montrer prudentes, lorsqu’elles déterminent la qualification de leur contrat, a fortiori dans les secteurs d’activités pour lesquels des critères spécifiques de qualification ont été fixés par le législateur. Une fois le choix du statut opéré, il convient d’abord de rédiger le contrat conformément à cette qualification – qualification qui doit correspondre à la réalité - et, surtout ensuite d’exécuter la convention conformément à son contenu. En cas de doute, il est préférable de consulter un avocat ou un conseil juridique qui pourra rendre un avis aux parties. 

Dans les cas les plus sensibles, il sera également possible d’interroger la Commission administrative de règlement de la relation de travail. Cette Commission est notamment compétente pour rendre des décisions sur la qualification d’une relation de travail (procédure de ruling), soit avant le début de celle-ci, soit dans un délai d’un an à partir du début d’activités. Ce mécanisme de ruling, encore peu utilisé actuellement, est de nature à augmenter la sécurité juridique et à diminuer le risque de litige sur la question de la qualification de la relation de travail.