Share on
La réserve de liquidation : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
À partir de l’exercice d’imposition 2015, une « petite société » au sens du Code des sociétés – cette notion correspondant à la notion économique de PME – peut décider de constituer une « réserve de liquidation », c’est-à-dire de comptabiliser de manière distincte au passif une somme, prélevée sur les réserves taxées de l’exercice, qui est immédiatement soumise à une cotisation spéciale de 10 %.
Lors de la liquidation ultérieure de la société, cette réserve ne subira plus aucun prélèvement fiscal, de sorte que le taux d’impôt effectivement applicable sur ces réserves correspondra à l’ancien taux de précompte mobilier tel qu’applicable avant le 1er octobre 2014, soit 10 %.
Quel impôt ?
Si la réserve de liquidation est distribuée sous forme de dividendes par la société, un impôt complémentaire de 15 % sera dû, ce qui porte l’imposition globale à 25 %, correspondant au précompte mobilier actuellement prélevé sur les distributions de dividendes.
Toutefois, si le prélèvement sur la réserve de liquidation survient plus de cinq après la fin de l’exercice au cours duquel la réserve a été constituée, l’imposition complémentaire ne s’élèvera plus qu’à 5 %.
Dans le cadre limité de la présente contribution, nous ne développerons pas les difficultés d’application du régime, notamment en ce qui concerne le calcul de la durée de cinq ans ou l’importance de l’ordre de retrait des réserves qui ont été constituées au cours de plusieurs exercices successifs, pas plus que nous ne développerons la problématique de la conformité de ce nouveau régime à la directive européenne mère-filiale.
Pour quel exercice ?
Comme si cela ne suffisait pas en termes de complexité, le législateur s’est en effet rendu compte qu’en prévoyant l’entrée en vigueur de la mesure pour les réserves constituées à partir de l’exercice d’imposition 2015 (correspondant le plus souvent à l’exercice comptable 2014), tandis que l’ancien régime « 537 » ne visait que les réserves figurant dans des comptes annuels approuvés au plus tard le 31 mars 2013 (correspondant donc le plus souvent à l’exercice comptable 2011), il demeurait deux exercices en souffrance, à savoir les exercices comptables 2012 et 2013 (voire 2012-2013 et 2013-2014 pour les sociétés qui ont un exercice comptable décalé par rapport à l’année civile).
Aussi, en cours d’année 2015, le législateur a décidé de mettre en place une réserve de liquidation spéciale, applicable uniquement aux bénéfices des exercices d’imposition 2013 et 2014.
Mécanisme limité dans le temps
Cette réserve spéciale a été instaurée par la loi-programme du 10 août 2015. Il s’agit donc d’un mécanisme correcteur, aux effets nécessairement limités dans le temps.
Les bénéfices réservés par les PME pour les deux exercices en question peuvent être transférés dans un compte de réserve de liquidation, moyennant le paiement d’une cotisation spéciale de 10 %. Celle-ci doit être payée au plus tard le 30 novembre 2015 pour ce qui concerne l’exercice 2013 et le 30 novembre 2016 pour l’exercice suivant.
Quelques différences existent entre le régime ordinaire et celui de la réserve spéciale, que ce soit sur le plan formel ou de fond. Néanmoins, l’examen détaillé de celles-ci dépasse le cadre de la présente contribution.
Qu’il nous soit néanmoins permis de déplorer que cette réserve spéciale occasionne un risque supplémentaire au regard de la sécurité juridique à laquelle le contribuable peut prétendre.
Abus fiscal ?
Compte tenu du caractère très favorable du taux de prélèvement – 10 % seulement – en cas d’affectation à la réserve de liquidation suivie d’une liquidation effective de la société, certains pourraient être tentés de constituer une telle réserve, puis de liquider à brève échéance la société, sans plus payer d’impôt sur le boni de liquidation, alors même que la liquidation immédiate d’une société, sans procéder à la constitution d’une telle réserve, occasionne le paiement d’un précompte mobilier désormais fixé à 25 %.
L’administration fiscale pourrait considérer qu’en agissant de la sorte, il est commis un abus fiscal, mais il nous paraît que l’administration devrait alors démontrer que l’opération n’a été accomplie qu’en vue de réaliser cet avantage fiscal. Ce pourrait notamment être le cas si la liquidation de la société est suivie, de manière rapprochée, de la constitution par les mêmes associés d’une autre société ayant un objet social identique.
Ces mesures sont évidemment favorables aux contribuables et l’on devrait donc se réjouir de leur adoption. Cependant, compte tenu de leur complexité et de l’insécurité juridique qui les menace, nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’il aurait été, en définitive, nettement plus simple de ramener purement et simplement le taux du précompte mobilier à 10 % sur le boni de liquidation, quitte à réserver cette faveur aux PME. Immanquablement, par manque d’information ou en raison du non-respect de l’une ou l’autre condition de forme ou de délai, certains contribuables ne pourront profiter de cette mesure de faveur, ce qui risque de générer un contentieux fiscal dont les Cours et Tribunaux se passeraient volontiers, sans même évoquer la problématique de la responsabilité des professionnels du chiffre qui accompagnent au quotidien, dans ce dédale, les patrons de PME.