Impôt des sociétés : la déduction pour revenus d’innovation au lieu de la déduction pour revenus de brevets

Maître Jean-Luc Wuidard, avocat au barreau de Liège

La loi du 7 février 2017 [1]publiée au Moniteur belge le 23 février 2017 a consacré, en matière d’impôt des sociétés, le régime fiscal de revenus d’innovation. Celui-ci présente un intérêt réel pour les entreprises innovantes.

Chaque pays a la possibilité de mettre en place des incitants fiscaux dans le but d’attirer des investissements ou des capitaux sur son territoire. Toutefois, la fiscalité internationale a évolué au cours des dernières années et les États doivent prendre en compte le Plan d’action « BEPS » (« Base Erosion and Profit Shifting ») mis en œuvre au sein de l’OCDE. Le plan BEPS vise à lutter contre les techniques de planification permettant d’éliminer la base imposable ou de transférer des bénéfices vers des pays à faible taxation. Par son adoption, les États de l’OCDE se sont engagés à ce que toute « concurrence fiscale » se fasse dans un cadre restrictif, c’est-à-dire par l’adoption de régimes fiscaux ne donnant pas lieu à des entraves au commerce international et ne s’opérant pas au détriment des autres pays.

L’Action 5 du plan OCDE vise à lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables par la prise en compte des principes de transparence (obligations de divulgation entre États) et de substance (exigence d’une réelle présence économique sur le territoire). Dans ce contexte, tous les régimes préférentiels en matière d’impôt des sociétés doivent désormais répondre à de nouvelles exigences qui s’imposent aux législateurs des différents États. Ceux-ci ne sont pas autorisés à maintenir ou mettre en place des régimes préférentiels « dommageables ».

Les incitants fiscaux en matière de recherche et développement (R&D) liés à la propriété intellectuelle ne doivent être admis que si l’entreprise qui en bénéficie a, sur le territoire de l’État concerné, une présence économique réelle. L’on doit veiller à n’autoriser le bénéfice de l’incitant fiscal à une entreprise que si celle-ci a effectivement supporté les frais de R&D qui ont donné lieu à la création ou l’amélioration des actifs incorporels donnant lieu à cet incitant fiscal. L’abrogation du régime belge de déduction pour revenus de brevets et son remplacement par le régime de déduction des revenus d’innovation fait suite à cette évolution fiscale internationale.

De quoi s’agit-il ?

Parmi les diverses opérations qui visent à déterminer la base imposable des revenus à l’impôt des sociétés, la déduction pour revenus de brevets permettait aux sociétés détentrices d’un brevet ou d’un certificat complémentaire de protection commercialisés après le 1er janvier 2007 de déduire 80 % des revenus directement attribuables à ceux-ci.

Il s’agit donc d’une déduction de certains revenus de la base imposable à l’impôt des sociétés, qui aboutit en fait à réduire de manière significative le taux de taxation réelle applicable à ce type de revenus. Dans le système de déduction de revenus de brevets, le taux effectif de taxation pouvait ainsi être réduit, dans les meilleurs cas de 33,99 % (taux normal actuel) à 6,8 %.

Ce régime de déduction a été considéré comme étant non conforme aux exigences précitées notamment en ce qu’il ne comportait pas de disposition conditionnant l’octroi de la déduction à l’exigence d’un niveau minimal de substance économique au niveau de la société bénéficiaire.

Ce régime fiscal particulier a été abrogé et remplacé par un nouveau régime désigné sous les termes « revenus d’innovation ». Les sociétés qui le souhaitent et qui remplissent certaines conditions peuvent opter pour le maintien de l’ancien régime durant une période transitoire de 5 ans jusqu’au 30 juin 2021. Ce choix devra s’opérer dans le cadre de la rentrée de la déclaration fiscale pour l’année de revenus 2016 (en principe avant le 27 septembre 2017).

Quelques points majeurs du régime de déduction des revenus d’innovation

Dans le cadre de la présente information, nous nous bornerons à mentionner les éléments majeurs du régime, lequel est toutefois assez complexe à appréhender.

a) Extension du champ d’application quant aux droits de propriété intellectuelle visés

Pour bénéficier du régime, les droits de propriété intellectuelle concernés ont été étendus. Sont désormais visés :

  • les brevets;
     
  • les certificats complémentaires de protection;
     
  • les droits d’obtention végétale;
     
  • les médicaments orphelins;
     
  • l’exclusivité des données ou l’exclusivité commerciale attribuée par les pouvoirs publics visant certains produits pharmaceutiques et vétérinaires;
     
  • les programmes d’ordinateur protégés par le droit d’auteur résultant de programmes de recherche ou de développement éligibles pour les régimes de dispense de versement de précompte professionnel. Ceux-ci doivent répondre à diverses exigences (relever de la recherche fondamentale ou industrielle, respecter l’obligation de les notifier auprès du SPF Politique Scientifique). L’on vise aussi la création dérivée ou une adaptation d’un programme existant, mais uniquement dans la mesure où la création dérivée ou l’adaptation est postérieure au 30 juin 2016.
     

Par contre, les revenus découlant de droits des marques, dessins et modèles ne sont pas considérés comme des revenus d’innovation éligibles.

b) Mode de calcul de la déduction

On peut résumer celui-ci comme suit : on détermine les revenus d’innovation nets et on y applique une fraction reprenant au numérateur les «Dépenses Qualifiantes» et au dénominateur les «Dépenses globales» ; le résultat de cette opération est ensuite multiplié par un coefficient de 85 %. La fraction vise à n’attribuer le bénéfice du régime incitatif qu’en proportion avec la quote-part des frais et investissements propres à la société belge. La loi belge consacre ainsi la notion de «dépenses qualifiantes» pour répondre aux exigences internationales OCDE en matière de mesures fiscales non dommageables.

On vise uniquement les revenus qui résultent de la propriété intellectuelle comprenant :
 

  1. Les redevances de licences (comprises dans le résultat imposable).
     
  2. Les redevances « incluses » dans le prix de vente des produits/services, à savoir les redevances de licences qui seraient dues à la société si les biens produits par la société (ou pour son compte) ou les services prestés étaient concédés à des tiers indépendants.
     
  3. Les redevances qui seraient dues à la société si le processus de production ou de livraison était suivi par un tiers en vertu d’une licence concédée par la société.
     
  4. Les indemnités dues à la société (décision judiciaire ou arbitrale, transaction amiable, contrat d’assurance) en raison de la violation d’un droit de propriété intellectuelle.
     
  5. Les montants obtenus lors de la vente d’un actif de propriété intellectuelle repris comme immobilisation incorporelle moyennant certaines conditions.
     

 

Relevons que la détermination des revenus nets doit avoir lieu distinctement pour chaque droit de propriété intellectuelle même si des exceptions sont admises : lorsque ce n’est pas possible, ce revenu net pourra être établi par type de produit ou service ou par type de groupe de produits ou services.

L’on doit partir du montant des revenus bruts et l’on doit déduire les coûts directement afférents aux revenus d’innovation.

Sont ainsi visées les dépenses globales reprises en dépenses de la période (en cas de sous-traitance de sociétés liées, ceci devra se faire pour un montant équivalent à celui applicable entre parties indépendantes) telles que les frais de personnel, frais de laboratoires, les amortissements de la propriété intellectuelle acquise de tiers, etc. Ne sont pas visés les paiements d’intérêts, ni les coûts afférents aux terrains et bâtiments et les autres coûts qui ne visent pas des activités de R&D proprement dites.

La loi donne d’autres précisions visant à encadrer de manière stricte ce régime.

c) Autres points d’intérêt du régime de déduction pour revenus d’innovation

Il faut noter qu’en cas d’insuffisance de base imposable au cours d’un exercice comptable durant lequel des revenus d’innovation ont été obtenus, le solde des déductions non utilisées peut être reporté aux périodes comptables suivantes, sans plafond ni limite dans le temps, ce qui marque une amélioration réelle par rapport à l’ancien régime.

Un autre aspect ne doit pas être négligé : le nouveau régime impose d’importantes obligations de documentation pour les entreprises qui veulent bénéficier de la déduction.

La loi pose des exigences de documentation détaillée et exhaustive et de conservation des pièces justificatives pour la constatation notamment :
 

  • de la conformité au prix du marché des transactions avec les sociétés liées;
     
  • du montant des revenus d’innovation qui résultent exclusivement de chaque propriété intellectuelle (ou type de produit/service ou groupes de produits/services) ;
     
  • du montant des dépenses qualifiantes et dépenses globales de l’exercice comptable et des dépenses historiques pour chaque droit de propriété intellectuelle (ou type de produit/service ou groupes de produits/services).

En guise de remarque finale, on ne peut que conseiller aux entrepreneurs actifs en recherche et développement de se faire assister en vue d’examiner si leurs entreprises peuvent entrer en ligne de compte pour ce régime, et, si tel est le cas, de prendre les mesures nécessaires en vue d’assurer qu’elles seront en mesure de satisfaire aux exigences lourdes de documentation qui en résultent. Ceci fait partie des différents choix stratégiques susceptibles de leur donner un réel avantage concurrentiel, mais ils devront prendre diverses dispositions pratiques en temps utile, telles que, par exemple, la réorientation de leur comptabilité analytique à des fins de ces documentations fiscales spécifiques. La complexité du régime belge de l’impôt des sociétés n’est pas une nouveauté. Ceci l’illustre une nouvelle fois (de trop)…

 

[1] Moniteur belge du 23 février 2017.