Élections sociales 2016 – un employeur peut-il s’opposer à la candidature (abusive) d’un travailleur ?

Maître Hervé Deckers, Avocat

Les prochaines élections sociales auront lieu entre le 9 et le 22 mai 2016.  Les candidats aux élections des représentants du personnel au sein des conseils d'entreprise et des comités pour la prévention et la protection au travail bénéficient d'une protection spécifique contre le licenciement, laquelle fait l’objet de la loi du 19 mars 1991.

Cette protection, qui s’applique tant aux candidats élus qu’aux candidats non-élus (même si la durée de la protection est différente), interdit à l’employeur de les licencier sauf pour des raisons d’ordre économique ou technique, préalablement reconnues par la Commission Paritaire, ou pour un motif grave, préalablement admis par le Tribunal du Travail.

Dès lors, l’employeur se doit d’être attentif aux travailleurs qui présenteront leur candidature aux prochaines élections sociales, puisque cela conditionne le droit de ces travailleurs de bénéficier de cette protection contre le licenciement.

Indemnité importante

En effet, l’employeur qui licencierait malgré tout un travailleur protégé, sans respecter les procédures de licenciement particulières mises en place par la loi du 19 mars 1991, lui serait redevable d'une indemnité de protection correspondant à :

  • 2 ans de rémunération lorsque le travailleur compte moins de 10 années de service dans l'entreprise;

  • 3 ans de rémunération lorsqu'il compte de 10 à moins de 20 années de service dans l'entreprise;

  • 4 ans de rémunération lorsqu'il compte 20 années de service ou plus dans l'entreprise.

En outre, si le travailleur demande sa réintégration dans les formes et délais imposés par la loi et que celle-ci est refusée par l'employeur, ce dernier sera redevable d'une seconde indemnité correspondant à la rémunération pour la période restant à courir jusqu'à la fin du mandat des membres représentant le personnel à l'élection desquelles le travailleur a été candidat.

Cette vérification conseillée à l’employeur est d’autant plus utile qu’il ressort d’un arrêt de la Cour de Cassation du 17 octobre 2011 qu’à défaut d’avoir contesté la validité de la candidature du travailleur durant la période des élections sociales, l’employeur ne peut plus le faire ultérieurement.

Dans ces conditions, un employeur peut-il s’opposer à la candidature d’un de ses travailleurs, notamment s’il la considère abusive ?

S’opposer à la candidature d’un travailleur ?

La première hypothèse dans laquelle l’employeur peut s’opposer à la candidature de l’un de ses travailleurs est celle dans laquelle celui-ci ne remplit pas les conditions d’éligibilité pour pouvoir être élu.

Celles-ci sont les suivantes :

  1. être occupé par l’entreprise (ou l’U.T.E.) dans le cadre d’un contrat de travail ;
  2. être âgé de 18 ans au moins (16 ans et moins de 25 ans pour les délégués des jeunes travailleurs);
  3. ne pas faire partie du personnel de direction, ni avoir la qualité de conseiller en prévention du service interne pour la prévention et la protection au travail ni être personne de confiance ;
  4. soit être occupé de façon ininterrompue depuis 6 mois au moins dans l'entité juridique dont relève l'entreprise ou dans l'unité technique d'exploitation que forment plusieurs entités juridiques, soit avoir été occupé, dans l'entité juridique dont relève l'entreprise ou dans l'unité technique d'exploitation que forment plusieurs entités juridiques pendant l'année qui précède celle au cours de laquelle ont lieu les élections, au total durant au moins neuf mois pendant plusieurs périodes;
  5. ne pas avoir atteint l'âge de soixante-cinq ans.

Ces conditions doivent être remplies à la date des élections.

Candidature abusive

Même si le travailleur remplit les conditions d’éligibilité, l’employeur peut encore contester sa candidature s’il démontre que celle-ci est abusive.

Ainsi, la candidature peut être abusive si elle a été présentée dans un autre but que l’exercice du mandat de représentant des travailleurs dans un organe de concertation. Tel peut être le cas, notamment, de la candidature présentée exclusivement dans le but de bénéficier illégitimement d’une protection contre le licenciement ou pour faire échec à un licenciement. L’employeur devra démontrer l’existence concrète d’un abus, dès lors que la jurisprudence considère généralement que :

  • la confection des listes et la présentation des candidats aux élections est, avant toute chose, de la responsabilité des organisations syndicales, de sorte que ni le Tribunal, ni, a fortiori, l’employeur, ne peuvent en principe s’immiscer dans cette question;

  • le caractère abusif ne peut jamais se déduire de considérations, de supputations ou d’estimations relatives à la réalité de l’engagement futur du candidat dans les organes sociaux.

Sur cette base, pourraient être considérées comme abusives les candidatures de travailleurs qui se trouvent dans les cas suivants :

  • incapacité de travail : le travailleur qui est absent de l’entreprise depuis une longue période et dont il n’est pas établi qu’il pourrait à brève échéance réintégrer l’entreprise, peut difficilement justifier d’un intérêt à présenter sa candidature, sachant qu’il ne pourra pas exercer son mandat s’il est élu.

  • dégradation des relations avec l’employeur : le travailleur qui se trouve en conflit avec son employeur et qui n’a antérieurement jamais témoigné d’intérêt pour une organisation syndicale, peut être tenté de présenter sa candidature dans le seul but d’éviter un licenciement qu’il pressent comme imminent.

  • absence de représentativité : le travailleur dont la candidature est contestée par ses collègues au motif qu’ils considèrent qu’il n’est pas apte à les représenter.

  • travailleur licencié : le fait de prester un préavis ne s’oppose pas nécessairement au dépôt d’une candidature, étant toutefois précisé que le mandat prendra fin à l’échéance du préavis.

 

Tout sera cependant question d’appréciation du cas d’espèce.