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Droit d’auteur : le débat relatif aux hyperliens et à la notion de communication au public se poursuit…
Maître Vincent Lamberts, avocat au barreau de Liège
Dans son arrêt du 13 février 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a décidé que la fourniture d’un lien hypertexte vers une œuvre librement disponible sur un autre site internet ne constitue pas un acte de communication au public au sens de l’article 3, §1er de la Directive 2001/29 du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (CJUE, 13 février 2014, Svensson e.a., C-466/12). Nous soulignions lors d’une précédente brève que, selon la Cour de justice, le placement d’un lien hypertexte vers une œuvre protégée par le droit d’auteur devenait une communication au public ne nécessitant l’autorisation du titulaire du droit d’auteur que lorsqu’il entraîne une communication à un « public nouveau ».
L’auteur d’une œuvre se voyait donc privé de ses droits exclusifs de communication au public lorsqu’il met à la disposition du public son œuvre sur internet sans restriction, puisqu’il est présumé s’adresser, lors de sa communication initiale, à tous les internautes potentiels.
Autorisation ou pas ?
La Cour de justice, dans son arrêt du 8 septembre 2016 « GS Media», a apporté une nuance à ce qu’elle avait préalablement affirmé lors de l’arrêt « Svensson », jugeant que « il ne saurait être déduit (…) de l’arrêt « SVENSSON » (…) que le placement, sur un site internet, de liens hypertextes vers des œuvres protégées qui ont été rendues librement disponibles sur un autre site internet, mais sans l’autorisation des titulaires du droit d’auteur de ses œuvres, serait exclu, par principe, de la notion de « communication au public » au sens de l’article 3, §1er de la Directive 2001/29. Au contraire, cette décision confirme l’importance d’une telle autorisation au regard de cette disposition, cette dernière prévoyant précisément que chaque acte de communication donné au public doit être autorisé par le titulaire du droit d’auteur » (CJUE, 8 septembre 2016, GS Media, C-160/15).
La Cour de justice a ainsi décidé que la notion de « communication au public » dépendait aussi d’autres critères que la simple notion de « public nouveau » en affirmant que même si l’œuvre avait été initialement rendue librement disponible, sur un site internet, sans aucune restriction, il convenait de vérifier si ce placement initial était intervenu avec le consentement de l’auteur de ladite œuvre.
La difficulté réside donc dans la détermination du caractère autorisé ou non de la première mise à disposition de l’œuvre protégée.
Critère du but lucratif
A cette fin, la Cour de justice a décidé que « aux fins de l’appréciation individualisée de l’existence d’une « communication au public », au sens de l’article 3, §1er de la Directive 2001/29, il convient ainsi, lorsque le placement d’un lien hypertexte vers une œuvre librement disponible sur un autre site internet est effectué par une personne qui, se faisant, ne poursuit pas un but lucratif, de tenir compte de la circonstance que cette personne ne sait pas, et ne peut pas raisonnablement savoir, que cette œuvre avait été publiée sur internet sans l’autorisation du titulaire des droits d’auteur ».
La Cour ajoute que « par ailleurs, lorsque le placement des liens hypertextes est effectué dans un but lucratif, il peut être attendu de l’auteur d’un tel placement qu’il réalise les vérifications nécessaires pour s’assurer que l’œuvre concernée n’est pas illégalement publiée sur le site auquel mènent lesdits liens hypertextes, de sorte qu’il y a lieu de présumer que ce placement est intervenu en pleine connaissance de la nature protégée de ladite œuvre et de l’absence éventuelle d’autorisation d’une publication sur internet par le titulaire du droit d’auteur. Dans de telles circonstances, et pour autant que cette présomption réfragable ne soit pas renversée, l’acte consistant à placer un lien hypertexte ver une œuvre illégalement publiée sur internet constitue une communication au public au sens de l’article 3, §1er de la Directive 2001/29 ».
La Cour de justice a donc ajouté au débat relatif à la notion de « public nouveau » un critère, nouveau lui aussi, relatif au « but lucratif ou non du lien hypertexte ».
Un lien hypertexte vers une œuvre qui a été placée en libre accès sur internet pourrait donc également constituer une communication au public au sens de la Directive précitée si le placement initial de l’œuvre est intervenu sans l’autorisation de son auteur.
Si celui qui place le lien hypertexte poursuit un but lucratif, il est présumé avoir connaissance du caractère illégal de la publication initiale de l’œuvre. Par contre, si le lien hypertexte est fourni à un but non lucratif, il est présumé ignorer le caractère illégal du placement initial de l’œuvre et donc, l’usage de cet hyperlien ne pourra être considéré comme une communication au public et être interdit par l’auteur de l’œuvre.
Quid des contenus numériques ?
La Cour de justice a récemment étendu sa jurisprudence sur les hyperliens aux appareils multimédias permettant aux utilisateurs d’accéder directement et immédiatement à des contenus numériques protégés. Elle suivait ainsi l’opinion de l’Avocat général qui avait affirmé qu’ il n’existait aucune différence entre le fait d’insérer sur un site internet des hyperliens qui renvoient à des œuvres protégées et le fait de les installer sur un appareil multimédia conçu précisément pour être utilisé sur internet (CJUE, 27 avril 2017,Stichting Brein, C-527/15).
Pourtant, il ressort du Considérant 27 de la directive précitée que la simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en tant que telle une « communication » au sens de cette directive.
La Cour de justice a néanmoins confirmé son arrêt «GS Media » en ce que la fourniture dudit lecteur multimédia est réalisée dans le but d’en retirer un bénéfice, le prix acquitté pour ce même lecteur multimédia étant versé notamment pour obtenir un accès direct aux œuvres protégées, disponible sur des sites de diffusion en flux continu (streaming) sans l’autorisation des titulaires du droit d’auteur. Cette fourniture, c’est-à-dire la vente des lecteurs en question, constitue donc une « communication au public », au sens de la Directive précitée.
La frontière entre l’installation destinée à permettre ou à réaliser une communication et la communication au public en tant que telle est donc de plus en plus floue avec cette assimilation du lecteur multimédia à un hyperlien.
Piratage peer-to-peer
La notion de « communication au public » est assurément évolutive. Sans doute évoluera-t-elle encore avec la prochaine décision « Pirate Bay » (Affaire C-610/15) où l’Avocat général a déjà affirmé que le fait pour l’opérateur d’un site internet de permettre, en les indexant et en fournissant un moteur de recherche, de retrouver des fichiers contenant des œuvres protégées par le droit d’auteur qui sont proposés aux fins de partage dans un réseau peer-to-peer, constitue une communication au public au sens de la directive précitée si cet opérateur avait connaissance du fait qu’une œuvre était mise à disposition sur le réseau sans le consentement des titulaires des droits d’auteur et n’a pas réagi afin de rendre l’accès à cette œuvre impossible.
Nous verrons ce que décidera la Cour de justice…