Quel tribunal est compétent pour en connaître ?
Me Françoise Vidts, avocate au barreau de Bruxelles
Introduction
Les contrats internationaux sont susceptibles de donner lieu tant à des conflits de juridiction - dans quel pays le différend entre les parties doit-il être jugé ? – qu’à des conflits de loi - au droit de quel pays est soumis le rapport de droit au cœur du litige?
Les deux problématiques, bien que parfois étroitement liées, sont distinctes: un tribunal belge peut très bien être compétent pour connaître d’un litige né d’un contrat commercial, tout en devant appliquer un droit étranger (voir la note consacrée à ce thème).
Ces questions relèvent du droit international privé (constituant l'ensemble des principes, des usages ou des conventions qui gouvernent les relations juridiques établies entre des personnes régies par des législations d'États différents).
En raison des divergences existant entre les différents systèmes juridiques nationaux, des efforts d’unification ont été engagés au travers de conventions bilatérales entre pays, des Instruments européens (principalement des règlements) et des Conventions internationales (notamment la Conférence de La Haye - www.hcch.net).
Il n’en reste pas moins que l’articulation entre ces différentes règles reste complexe et dans certaines configurations contractuelles, il faut, avant de pouvoir aborder le fond du litige, résoudre la question de compétence. Les parties peuvent limiter cette incertitude, en décidant de soumettre à la compétence d’une juridiction désignée tout litige relatif à ce contrat (stipulation habituellement dénommée « clause attributive de juridiction » ou « accord/clause d’élection de for »).
Lorsque les parties conviennent de désigner ainsi une juridiction par un accord d’élection de for, il est essentiel qu’elles soient assurées que seule cette juridiction sera fondée à connaitre de l’affaire en cas de litige et que la décision en résultant sera reconnue et exécutée à l’étranger. Certains instruments internationaux leur offrent cette sécurité pour autant que leur accord remplisse certaines conditions. Les parties doivent donc être attentives à celles-ci.
Enfin, si un différend surgit entre les parties en relation avec leur contrat, chacune d’entre elles a intérêt a priori à ce que les juridictions du pays dont elle ressort, soient seules compétentes pour en connaître et ce pour des raisons de coût et de facilité. Dans certains pays, des risques possibles de corruption peuvent, par ailleurs, rendre l’accès à la justice aléatoire. Afin d’éviter un blocage des négociations et de gérer ce risque, les parties peuvent décider d’exclure la compétence des tribunaux étatiques, en cas de litige, en faisant choix de l’arbitrage. Celui-ci constitue un système alternatif de règlement des différends adapté aux transactions internationales. Il sera abordé en dernière partie cette note.
Cadre légal
Les institutions européennes ont adopté un Règlement européen (Règlement UE n°1215/2012 dit « Règlement Bruxelles I bis » qui a succédé le 10 janvier 2015 au Règlement Bruxelles I)) concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
Parallèlement à ce Règlement européen – donc directement applicable aux Etats membres de l’UE - la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale conclue à Lugano le 30 octobre 2007 (dite Convention de Lugano) étend les principes posés par le Règlement de Bruxelles aux membres de l’AELE (l’Association européenne de libre-échange, soit actuellement l’Islande, la Norvège, la Principauté du Liechtenstein et la Suisse).
Enfin, la Convention de la Haye du 30 juin 2005 sur les accords d'élection de for, entrée en vigueur le 10 octobre 2015 dans tous les États membres de l'Union européenne, à l'exception du Danemark, et au Mexique régit les accords d’élection de for exclusif désignant un état lié à la Convention et propose un régime complémentaire à celui du Règlement. Cette convention devrait prendre de l’importance au fil des ratifications futures (Singapour vient d’y adhérer).
Choix des parties : comment exprimer ce choix valablement ?
Le Règlement de Bruxelles 1 bis a pour vocation d’assurer le respect des accords d’élection de for au sein de l’Union européenne. Le même objectif est poursuivi par la Convention de la Haye, en ce qui concerne les états liés à la Convention.
Le Règlement régit toutes clauses attributives de compétence qui désignent la juridiction d’un Etat membre, quel que soit le domicile des parties (Etat membre ou Etat tiers) (article 25 du Règlement). Les dispositions de la Convention de la Haye priment cependant sur celles du Règlement sauf si les deux parties résident dans un Etat membre ou sont originaires d’un Etat n’ayant pas ratifié la Convention (article 26 de la Convention). L’exécution dans les États membres de l’Union Européenne des accords d’élection de for en faveur de la compétence des juridictions suisses, norvégiennes, islandaises ou du Liechtenstein est quant à elle régie par la Convention de Lugano.
Le champ d’application du Règlement – de même que la Convention de la Haye– est limité aux clauses qui répondent à certaines conditions.
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L’accord d’élection de for doit être en faveur des tribunaux d’un État membre (pour le Règlement) ou d’un état contractant à la Convention de la Haye (pour la Convention) ;
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Il doit y avoir un accord (valable) entre toutes les parties, la validité de cet accord étant déterminé au regard du droit de l’Etat du tribunal élu : .
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L’accord d’élection de for doit respecter certaines exigences de forme : il doit être conclu ou documenté soit i) par écrit soit ii) par tout autre moyen de communication qui rende l’information accessible pour être consultée ultérieurement, selon la Convention de la Haye (article 3 c de la Convention de la Haye); selon le Règlement de Bruxelles, outre le forme écrite ou verbale avec confirmation écrite, il peut être également valablement conclu sous une forme conforme aux habitudes établies entre les parties ou, dans le commerce international, sous une forme conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée (article 25 du Règlement).
En conclusion et en pratique, bien qu’un accord valable puisse être déduit d’un échange de documents (dans la mesure où ceux-ci permettent d’établir la rencontre de consentement des parties), il est recommandé aux parties d’insérer une clause d’élection de for dans un contrat signé. Cette voie permet d’éviter toute incertitude quant à la réalité de l’accord. A l’inverse, les communications successives de conditions unilatérales divergentes (au moment de l’offre, du bon de commande, de sa confirmation, de la facture, etc..) sont une source habituelle de discussions (liées aux questions d’opposabilité des conditions et de conflit éventuel entre celles-ci).
Il est également prudent d’éviter les clauses attributives de juridiction asymétriques (en vertu desquelles l’une des parties peut engager une action uniquement devant le tribunal désigné, mais l’autre partie peut poursuivre devant d’autres tribunaux également). Leur validité peut être en effet problématique au regard de certains systèmes nationaux ; elles ne constituent par ailleurs pas un accord exclusif au sens de la Convention de la Haye (le caractère exclusif devant exister quelle que soit la partie engageant la procédure).
Le Règlement de Bruxelles 1 bis - tout comme la Convention de La Haye - garantit l’efficacité des clauses attributives de juridiction tombant dans son champ d’application, en consacrant trois principes :
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le tribunal choisi par les parties doit, en principe, connaître du litige ;
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tout autre tribunal devant lequel le litige est porté doit refuser d'en connaître ;
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et enfin, tout jugement rendu par le tribunal élu doit être reconnu et exécuté dans les autres États contractants.
Plus particulièrement, le Règlement prévoit qu’en cas de litispendance (lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différentes), la juridiction saisie en deuxième lieu doit surseoir à statuer tant que la juridiction saisie en premier lieu n’a pas statué sur sa compétence (article 29, par. 1, du Règlement). Il est cependant dérogé à cette règle, en cas de clause d’élection de for : en ce cas, la priorité revient à la juridiction élue par les parties (article 31, par. 2, du Règlement). Par exemple, si une société italienne assigne une société belge devant un tribunal italien alors que le contrat prévoit la compétence des tribunaux belges, la partie belge peut cependant citer la partie italienne pour le même différend devant un tribunal belge, et le tribunal italien, pourtant saisi le premier, devra attendre que le tribunal belge se prononce sur sa compétence. S’il se déclare compétent, le tribunal italien n’aura d’autre choix que de se dessaisir de cette affaire.
Cependant, une clause attributive de juridiction ne fait pas obstacle à la possibilité pour chaque partie de saisir les tribunaux compétents pour ordonner des mesures provisoires et conservatoires (article 24 in fine du Règlement). Ainsi, une société belge qui aurait confié à une société française, l’exécution de prestations sur un chantier italien peut toujours saisir les tribunaux italiens pour obtenir une expertise, même si le contrat désigne les tribunaux belges (ou italiens) comme seuls compétents pour trancher d’un différend.
En l’absence de choix des parties quel est le tribunal compétent ?
Que se passe-t-il si les parties n’ont rien prévu ou si leur accord n’est pas valable ? Le Règlement de Bruxelles 1 bis énonce une série de principes permettant de déterminer le ou les tribunaux compétents pour connaître d’un différend en l’absence d’une clause d’élection de for.
Le principe premier est que les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre peuvent être attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre, sous réserve de l’application des autres règles édictées par le Règlement (article 4 du Règlement). Si, par contre, le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre (article 6 du Règlement). Par exemple, si une société belge assigne son partenaire russe devant un tribunal belge, celui-ci vérifiera sa compétence au regard du Code de droit international privé belge.
En dérogation à ce principe premier, l’article 7 instaure une série de compétences spéciales : à ce titre, en matière contractuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande, qui – selon le Règlement – s’identifie, sauf convention contraire des parties, pour la vente de marchandises, au lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées, tandis que pour la fourniture de services, au lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis (article 7, 1), b), du Règlement). Par exemple, si les prestations prévues dans un contrat de services passé entre une société française et une société allemande doivent être délivrées au Portugal, les tribunaux portugais seront compétents pour connaître d’un éventuel différend, à défaut pour les parties d’avoir prévu une clause d’élection de for.
L’arbitrage
L’arbitrage est une forme de règlement alternatif des litiges. En lieu et place de soumettre leur différend à un tribunal étatique, les parties décident d’avoir recours à la justice privée.
L’arbitrage ne peut se dérouler qu’avec le consentement explicite de toutes les parties concernées. Ce consentement peut être exprimé dans le contrat, sous la forme d’une clause d’arbitrage, ou après la naissance du litige.
Les parties peuvent valablement décider de recourir à l’arbitrage pour leurs contrats commerciaux, sous réserve de certaines exceptions (par exemple, cette possibilité est écartée pour certains différends liés à la fin du contrat de distribution exclusive soumis aux dispositions impératives de droit belge si cela aboutit à la non-application du droit belge).
Le tribunal arbitral est composé d’un ou plusieurs arbitres. S’il s’agit un arbitrage institutionnel (se déroulant donc sous l’égide d’une institution arbitrale, comme la CCI (Chambre de Commerce Internationale) ou le Cepani (Centre belge d’arbitrage et de médiation)), l’arbitrage offre un système de résolution de différends adapté à un contexte international : le lieu d’arbitrage peut être librement choisi par les parties de même que la langue utilisée pour la procédure ; celle-ci sera régie par des règles de procédure issues par l’institution arbitrale ; enfin, en cas d’arbitre unique, celui-ci sera en principe d’une autre nationalité que celle des parties ; en cas de panel de trois arbitres, il en sera de même pour le président du tribunal: l’arbitrage permet donc d’éviter un déséquilibre entre les parties, qui résulterait du choix des juridictions du pays dont relève l’une d’entre elles, ou encore un rattachement artificiel malencontreux à un forum étranger (par exemple, il n’y a aucune raison objective de désigner dans un contrat les tribunaux suisses comme seuls compétents en cas de différend si ce contrat n’entretient aucun lien avec cette juridiction).
La procédure d’arbitrage offre une sécurité équivalente à une procédure judiciaire étatique : le tribunal arbitral rend une sentence arbitrale obligatoire après avoir entendu toutes les parties. Si c’est nécessaire, l’exécution de cette sentence peut faire l’objet d’une exécution forcée. Celle-ci est facilitée par la Convention de New York de 1958 pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères.
Elle présente des avantages en termes de rapidité, en raison de l’absence d’appel possible (en principe) et de la flexibilité de la procédure (ce sont les parties avec les arbitres qui fixent la plupart des règles).
Une procédure d’arbitrage est par ailleurs confidentielle, contrairement aux procédures devant les cours et tribunaux qui sont en principe publiques.
Elle peut cependant être considérée avec défaveur en raison de son coût. Les parties doivent en effet débourser des frais d’arbitrage. Cependant, la rapidité et la flexibilité de la procédure, de même que l’absence d’appel permettent de réduire les frais de défense.
En conclusion, le choix de l’arbitrage est approprié lorsque la transaction présente des enjeux importants ou est susceptible de donner lieu à un litige complexe. L’arbitrage offre également aux parties à un mode de résolution alternatif de différends éprouvé. Par contre, il reste un mode de résolution de différend trop onéreux pour des contrats de faible importance.
Recommandations finales
Dans une transaction internationale, il est essentiel de soumettre celle-ci à un régime de résolution de différends adapté. Plutôt que de négliger la question lors des négociations, il est préférable de l’envisager d’emblée, en insérant dans le contrat une clause attributive de juridiction ou une clause d’arbitrage.
Dans tous les cas de figures, cette clause devra être rédigée avec soin pour éviter tout problème d’interprétation et de validité. Le choix du forum ou de l’institution arbitrale doit également faire l’objet d’une réflexion préalable, selon les spécificités du contrat et les éléments d’extranéité présentés. En toute hypothèse, il est préférable, si on opte pour les tribunaux d’un pays, de faire choix d’un état membre de l’UE pour des raisons de coût (proximité) et de sécurité juridique ou, si on préfère l’arbitrage, de placer celui-ci sous l’égide d’une institution internationale reconnue (comme la CCI), voire moins connue internationalement (comme le CEPANI) mais offrant des coûts d’arbitrage avantageux.
Août 2016