Des aspects sociaux de la cession d'une entreprise

Me François Ligot, avocat au barreau de Liège

 

En matière de cession d’entreprise, le sort et la protection des travailleurs est fonction du type de transfert d’entreprise réalisé.

 

On retient généralement trois formes de transferts, soit :

  • La cession dite « conventionnelle » d’une entreprise ;
  • La cession intervenant après un jugement de faillite ;
  • La cession intervenant dans le cadre d’une procédure en réorganisation judiciaire, en cas de transfert sous autorité de justice.

 

 

CHAPITRE 1 : LE SORT DES TRAVAILLEURS EN CAS DE TRANSFERT CONVENTIONNEL D’ENTREPRISE

 

  1. Champ d’application

 

Le sort des travailleurs sous contrat de travail auprès d’une entreprise cédée conventionnellement est réglé par le chapitre 2 de la convention collective de travail 32bis (ci-après « CCT 32bis) qui prévoit un mécanisme de protection particulièrement complet.

 

Il y a transfert d’entreprise conventionnel lorsque trois conditions sont réunies.

 

  1. Changement d’employeur

 

Il faut qu’il y ait un changement de la personne morale ou physique qui est responsable de la poursuite des activités et assume les obligations d’un employeur vis-à-vis des travailleurs.

 

  1. Transfert d’une entité économique

 

Il faut qu’il y ait un transfert d’une entité économique maintenant son activité, entendue comme un ensemble organisé de moyens en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire.  

 

  1. Origine conventionnelle du transfert

 

Enfin, il faut en théorie que le transfert trouve son origine dans un accord de volonté entre le cédant et le repreneur.

 

En résumé, on considère qu’il y a transfert d’entreprise en cas de cession (en ce compris entre deux sociétés faisant partie du même groupe), de fusion, de donation et de scission d’une entreprise ou d’une de ses parties. A l’inverse, le changement de contrôle de l’entreprise par le biais d’une cession d’actions ou de parts ne constitue pas un transfert d’entreprise.

 

Il faut encore préciser que toutes les cessions opérées dans le cadre de liquidations de sociétés doivent être analysées comme des transferts conventionnels.  

 

 

  1. Conséquences du transfert conventionnel

 

  1. Transfert automatique des contrats de travail

 

Par le fait du transfert, il y a un transfert automatique des contrats de travail. Il n’y a pas besoin d’établir d’avenant au contrat de travail et aucun formalisme n’est requis. Les travailleurs continuent à prester selon les mêmes conditions qu’auparavant.

 

D’autre part, le cessionnaire a l’obligation de reprendre la totalité du personnel occupé au sein de l’entreprise transférée. Il ne peut pas choisir de ne pas reprendre certains travailleurs.

 

En raison du caractère automatique du transfert des contrats de travail, le travailleur ne pourra pas s’opposer au changement de son employeur. Si le travailleur refuse toutefois de passer au service du repreneur, la situation devra être réglée selon les règles habituelles du droit du travail.  

 

  1. Maintien des droits des travailleurs

 

La conséquence du transfert automatique des contrats de travail est le maintien des droits des travailleurs, tant au niveau des conditions individuelles de travail (montant de la rémunération, avantages en nature, fonction,…) que des conditions collectives de travail (régimes de travail, structures salariales, conditions sectorielles,…).

 

  1. Interdiction de licenciement

 

Tant le cédant que le repreneur ne peuvent se prévaloir du transfert pour procéder au licenciement de travailleurs.  Ainsi, les travailleurs ne peuvent être licenciés ni par le cédant, peu avant le transfert, ni par le repreneur, peu après le transfert.

 

La CCT 32bis prévoit toutefois que le licenciement est autorisé s’il est justifié soit par un motif grave, soit par une raison économique, technique ou d’organisation.

 

  1. Solidarité entre le cédant et le repreneur.

 

Enfin, le cédant et le repreneur sont tenus solidairement au paiement des dettes sociales existant à la date du transfert.

 

 

CHAPITRE II : LE SORT DES TRAVAILLEURS EN CAS DE REPRISE APRES FAILLITE

 

  1. Champ d’application

 

La situation des travailleurs repris après faillite est réglée par le chapitre 3 de la CCT 32bis qui prévoit un régime de protection minimale.

 

 On considère qu’il y a reprise après faillite moyennant les conditions suivantes :

 

 

  1. De la reprise d’actif après faillite

 

Il faut qu’il y ait un rachat de tout ou partie de l’actif d’une entreprise en faillite par un repreneur avec une poursuite de l’activité principale de la société faillie et que la reprise intervienne dans les 6 mois suivant le jugement déclaratif de faillite.

 

  1. Conditions liées aux travailleurs

 

Les travailleurs concernés sont ceux qui à la date de la faillite, étaient toujours sous contrat de travail ou qui avaient été licenciés dans le mois précédant la faillite.

 

De plus, les travailleurs doivent être réengagés soit au moment de la reprise de l’actif, soit dans les 6 mois suivant la reprise de l’actif.

 

  1. Liberté du repreneur quant aux choix des travailleurs

 

En cas de reprise après faillite, le repreneur peut choisir librement les travailleurs qu’il souhaite reprendre. Les travailleurs protégés sont ainsi placés sur le même pied que les autres travailleurs.

 

Toutefois, les travailleurs ne sont pas tenus de passer au service du repreneur sans que cela n’ait de conséquence au niveau de leurs indemnités de rupture ou de leur droit au chômage.

 

  1. Conséquences de la reprise après faillite

 

  1. Libre négociation des conditions individuelles de travail

 

En l’absence de transfert automatique des contrats de travail, le repreneur est libre de conclure un nouveau contrat de travail avec le travailleur qu’il souhaite reprendre et de renégocier les conditions de travail (diminution de la rémunération, changement de fonction,…).

 

Cette liberté de négociation connaît toutefois deux limites, le maintien de l’ancienneté et le respect des conditions collectives de travail.

 

  1. Maintien de l’ancienneté

 

Le repreneur aura l’obligation de conserver l’ancienneté acquise par le travailleur auprès de la société en faillite en ce compris durant la période d’interruption d’activité, ce qui aura une conséquence non négligeable en cas de licenciement postérieur du travailleur.

 

  1. Les conditions collectives de travail

 

Les conditions de travail conclues collectivement ou appliquées collectivement au sein de l’entreprise en faillite doivent être maintenues par le repreneur.

 

 

CHAPITRE 3 : LE SORT DES TRAVAILLEURS EN CAS DE TRANSFERT SOUS AUTORITE DE JUSTICE

 

Sur base de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises (ci-après « LCE »), une entreprise reconnue comme étant « en difficulté » peut procéder à la réalisation d’un transfert sous autorité de justice, à un ou plusieurs tiers, de tout ou partie de ses activités.

 

Dans l’hypothèse d’un tel transfert, la protection des travailleurs est réglée par la convention collective 102 (ci-après CCT 102) et l’article 61 de la LCE.

 

  1. Conséquences du transfert sous autorité de justice

 

  1. Maintien des droits des travailleurs repris

 

Du fait du transfert, l’ensemble des droits et obligations résultant des contrats de travail existants sont transférés au repreneur.

 

Ce principe du maintien des droits des travailleurs repris constitue une charge sociale très importante pour le repreneur qui est toutefois tempérée par les dispositions suivantes.

 

  1. Libre choix des travailleurs repris

 

Le repreneur peut choisir librement les travailleurs qu’il souhaite reprendre pour autant que son choix soit dicté par des raisons techniques, économiques ou organisationnelles.

 

Le choix doit être opéré sans différenciation interdite, ce qui signifie que la proportion des représentants des travailleurs existante dans l’entreprise transférée doit être respectée après le transfert d’entreprise.

 

  1. Le repreneur n’est tenu que par les obligations qui lui ont été communiquées par écrit

 

Le repreneur ne peut être tenu vis-à-vis des travailleurs repris qu’aux droits et obligations dont il a été expressément informé par écrit.

 

Doivent ainsi être portées par écrit les conditions individuelles de chaque contrat ainsi que les conditions collectives de travail, les dettes résultant des contrats de travail et les actions judiciaires intentées par des travailleurs.

 

  1. Possibilité de dérogations aux conditions de travail.

 

Sur un plan collectif, le repreneur et les représentants des travailleurs peuvent convenir, dans le cadre d’une procédure de négociation collective, de modifier les conditions de travail conclues collectivement ou appliquées collectivement au sein de l’entreprise avant le transfert.

 

Sur un plan individuel, le repreneur et le travailleur peuvent convenir de modifier les conditions du contrat de travail, pour autant que ces modifications soient liées principalement à des raisons techniques, économiques ou organisationnelles.

 

 

 

  1. Sort des dettes sociales

 

Le repreneur ne peut être tenu à l’égard des travailleurs repris que des dettes sociales dont il a été expressément informé par écrit.

 

Trois sortes de dettes doivent être distinguées.

 

  1. Les dettes nées avant l’ouverture de la procédure en réorganisation judiciaire

 

Le cédant et le repreneur sont tenus solidairement au paiement de ces dettes sociales. Ainsi le travailleur peut s’adresser soit au cédant, soit au repreneur afin d’obtenir le paiement intégral de sa créance.

 

  1. Les dettes exigibles à partir de la date d’ouverture de la procédure de réorganisation judiciaire jusqu’au transfert effectif

 

Ces dettes sont à charge du cédant, afin de ne pas imposer au repreneur un passif social dont il ne peut estimer l’ampleur.

 

  1. Les dettes nées à partir du transfert effectif

 

Ces dettes sont naturellement à charge du repreneur qui est devenu le nouvel employeur.

 

 

CONCLUSION

 

L’analyse comparative des mécanismes prévus pour les 3 types de cessions d’entreprise fait apparaître une échelle de protection des travailleurs nettement marquée.

 

Au moment des négociations en vue de la reprise d’une entreprise ou d’une partie de celle-ci, il incombera dès lors au candidat repreneur d’être particulièrement attentif aux obligations sociales qui s’imposeront à lui en fonction du type de transfert envisagé.

 

Avril 2017