Comment rédiger une facture et quelle est sa portée ?

Me Maxine Baivier, avocate au barreau de Liège

 

Bien que la facture soit un document commercial bien connu, il n’existe pas de définition légale de la facture, ni de loi qui en traite de manière systématique. Néanmoins, différentes législations particulières y font références (exemple : l’article 1348bis du Code civil, le titre III du Code de droit économique et notamment l’article III.86, l’Arrêté royal n° 1 relatif aux mesures tendant à assurer le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, l’article 20, 5° de la loi hypothécaire concernant le privilège du vendeur impayé, l’article 4 de la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, …) etc.

 

  1. Eléments de la définition

 

De manière générale, la facture :
 

  • contient un état descriptif, une énumération des biens livrés et/ou des services prestés par le créancier (avec indication des prix, date et endroit de livraison,…) ;
     
  • confirme les obligations principales des parties ; elle a pour objet d’attester l’engagement de son destinataire, le client, au profit de l’expéditeur, le fournisseur de biens ou le prestataire de service ; en adressant la facture, le fournisseur/prestataire affirme à son client qu’il le considère comme débiteur du montant de la facture ; la facture confirme ainsi l’existence du contrat ayant donné naissance à l’obligation de payer et en constitue un moyen de preuve ;
     
  • constitue une invitation, adressée au destinataire, à honorer à sa dette.

 

  

  1. Fonctions de la facture

 

La facture constitue un document comptable

 

L’article III.86 du Code de droit économique, lequel traite de la comptabilité des entreprises, exige que toute écriture s’appuie sur une pièce justificative datée ; les opérations et les créances faisant presque toujours l’objet d’une facture, elle constituera la pièce justificative la plus courante des écritures comptables.

 

Elle est un instrument de l’administration de la preuve

 

La facture fournit la preuve de l’existence d’un contrat contre le fournisseur. Et en vertu de l’article 1348 bis du Code civil, la facture « acceptée » fournit également la preuve du contrat contre l’entreprise cliente n’ayant pas contesté la facture reçue. En droit fiscal, la facture est aussi un des moyens de preuve les plus utilisés (c’est sur base des factures d’entrée que chaque assujetti peut prouver la TVA portée en compte par son fournisseur, tandis que c’est dans ses factures de sortie qu’il porte la TVA en compte à ses clients).

 

Elle constitue un instrument de contrôle et une source d’informations pour le destinataire et pour certains services publics

 

Elle joue un rôle dans l’octroi de crédit

 

Elle est un instrument de recouvrement de la dette, amiable ou judiciaire

 

 

 

  1. Obligation de délivrer une facture

 

  • Principe : Aucune disposition de droit civil ou de droit commercial n’impose une telle obligation mais il est néanmoins quasi unanimement admis que le client peut exiger de son fournisseur qu’il lui délivre une facture.
     
  • Réserves :
     
  • l’article VI.89 du Code de droit économique impose une obligation d’information du consommateur ainsi qu’une obligation de délivrance d’un document justificatif s’il en fait la demande
     
  • Les articles 51, 53 et 54 du Code TVA impose une obligation de délivrance à tout assujetti à la TVA : celui-ci est tenu de délivrer une facture à son cocontractant
     
  • Moment où la facture doit être délivrée :
     
  • En principe : le jour où nait l’engagement
     
  • En pratique : dans un délai raisonnable après la livraison ou la prestation
     
  • En vertu de la règlementation TVA : la facture doit être délivrée au moment où la taxe est exigible, et au plus tard le 15ème jour suivant le mois au cours duquel le bien a été livré ou le service parfait (art 4 AR n°1 du 29 décembre 1992) – ex : une facture du 3 février pourra concerner une livraison du 31 janvier aussi bien qu'une livraison du 6 janvier, étant entendu que l'assujetti déposant mensuel qui délivre le 3 février une facture se rapportant à des opérations de janvier doit reprendre ces opérations dans sa déclaration périodique du mois de janvier.
     
  • Preuve de l’envoi de la facture : la charge de la preuve de l’envoi incombe au fournisseur. Il peut en apporter la preuve par toutes voies de droit, même à l’encontre d’un consommateur. Une présomption d’envoi peut résulter du facturier de sortie du fournisseur/prestataire. L’inscription d’une facture dans le facturier et la naissance de l’obligation de payer la TVA n’ont en effet pas de sens si le créancier ne fait pas le nécessaire pour son recouvrement et, dès lors, pour son envoi !

 

 

  1. Mentions de la facture

 

Aucune disposition légale relevant du droit commercial ne définit quelles mentions sont essentielles et doivent à ce titre figurer sur la facture. Il convient donc de partir de l’essence même et de la fonction de la facture. Certaines mentions sont néanmoins imposées par des lois spécifiques dont les règles de droit fiscal (art. 5 de l’AR n°1 du 29 décembre 1992) qui doivent à tout le moins être respectées.

 

Outre la mention du mot « facture », elle doit donc comprendre les mentions suivantes :

  1. Date de facturation (d’émission)
     
  2. Numéro d’ordre – numéro d’inscription dans le facturier de sortie
     
  3. Nom du fournisseur ou du prestataire. S’il s’agit d’une personne morale, il est nécessaire de mentionner sa dénomination sociale [1] et sa forme sociétaire (SPRL, SA, SC,…) ainsi que l’adresse complète du siège social et le numéro de TVA / BCE
     
  4. Nom du client. S’il s’agit d’une personne morale, il est nécessaire de mentionner la dénomination de la société et sa forme sociétaire (SPRL, SA, SC,…), ainsi que l’adresse complète du siège social  et le numéro de TVA / BCE.
     
  5. Description précise (quantité et nature) des fournitures, des biens livrés ou des services prestés
     
  6. Prix unitaire hors TVA en euros ainsi que les escomptes et RRR éventuels (rabais, remises et ristournes[2]) et les frais de transport ainsi que l’indication du taux de TVA appliqué sur chaque base d’imposition, le montant de la TVA due et le prix total à payer.
     
  7. Date de livraison ou de prestation (dans le mesure où celle-ci serait différente de la date d’émission de la facture).
     
  8. Numéro du compte bancaire (IBAN et BIC) et le nom de l’institution bancaire qui gère ce compte

 

  

  1. Langue dans laquelle la facture doit être libellée

 

  • En principe : sans entrer dans le dédale des différents décrets réglant l’emploi des langues, retenons qu’en principe, la facture doit être rédigée dans la langue du siège d’exploitation du fournisseur de biens ou du prestataire de services.
     
  • En pratique : il faut admettre comme pratique commerciale que la facture soit rédigée dans une langue connue du destinataire de manière à ce que le destinataire puisse en comprendre le contenu et qu’il puisse l’approuver et au besoin, la contester.

 

 

  1. Force probante de la facture


La facture comme force probante des engagements du fournisseur

 

La facture fournit la preuve de l’existence du contrat et des engagements du fournisseur tels qu’ils ressortent des mentions qu’elle comporte. Elle constitue une sorte d’aveu extrajudiciaire du fournisseur. Cette force probante vaut à l’avantage du client, entreprise ou consommateur.

 

La facture comme force probante des engagements du client

 

  • Si le client est une entreprise : En vertu de l’article 1348bis du Code civil,  la facture acceptée sans réserve par le client fournit la preuve de l’existence du contrat né entre les parties et de son objet, tels qu’ils ressortent des mentions de la facture. L’acceptation de la facture peut être expresse (elle ressort d’une signature « pour accord » du client, d’une lettre dans laquelle il accuse bonne réception de la facture,…), implicite (c’est-à-dire raisonnablement déduite du comportement du destinataire ; par exemple, la prise de possession sans réserve de la marchandise, le paiement ainsi que la comptabilisation dans les livres comptables du client,…) ou tacite (non protestation dans un délai raisonnable – silence du destinataire).
     
  • Si le client n’est pas une entreprise mais un consommateur : La règle du « qui ne dit mot consent » ne s’applique pas au consommateur - s’il ne proteste pas, il n’est présumé avoir accepté la facture que jusqu’à preuve du contraire

 

 

  1. Les conditions générales

 

Outre les mentions obligatoires qui doivent se retrouver sur une facture, il est utile de voir figurer au recto ou au verso de celle-ci des conditions générales de vente ou de prestations de services qui viennent modaliser les règles de droit commun supplétives (c’est-à-dire celles auxquelles on peut déroger).

 

La force probante d’une facture ne concerne donc pas exclusivement l’existence de la convention en tant que telle mais intervient également lorsque se pose la question de l’application des conditions générales mentionnées sur la facture.

 

  • Si le client est une entreprise : en vertu de l’article 1348bis du Code Civil, la facture acceptée (expressément, implicitement ou tacitement) fournit la preuve de l’existence du contrat et cette force probante s’étend en principe à toutes les dispositions de la facture et aux conditions générales qui y sont apposées.
     
  • Si le client n’est pas une entreprise : Le fournisseur qui veut se prévaloir des conditions générales reprises sur sa facture devra prouver que le client en avait eu connaissance et qu’il les avait acceptées (ce sera le cas notamment s’il peut produire un contrat écrit, signé par les parties, dans lequel les conditions générales étaient déjà intégrées). A contrario, si elles figurent uniquement sur la facture, il est généralement admis qu’elles ne sont pas opposables au client consommateur à moins que ce dernier n’ait pu prendre connaissance de ces conditions lors de la réception de précédentes factures qu’il aurait payées.

 

 

  1. La facture électronique

 

Les technologies de l’information et de la communication (internet, courriers électroniques,…) font désormais partie de la vie des affaires. Il est notamment possible d’y recourir en matière de facturation (exemple : envoi d’un fichier PDF signé électroniquement en pièce jointe d’un mail). Le gain financier, la simplification administrative et organisationnelle, l’impact écologique sont autant d’avantages qui poussent à abandonner la facturation papier à terme au profit de la facturation électronique. Il importe néanmoins que la sécurité juridique du processus soit garantie.

 

En Belgique, la loi du 28 janvier 2004 et ses arrêtés royaux d'application est venue fixer le cadre juridique. Une circulaire de l'administration de la TVA en 2008 (Circulaire n° AFER 16/2008 - E.T.112.081 - dd. 13.05.2008) a quant à elle précisé les modalités d'archivage. La loi du 17 décembre 2012 modifiant le Code de la taxe sur la valeur ajoutée, l’arrêté royal du 19/12/2012 et la circulaire AAF n° 2/2013 dd 23/01/2013 sont venues plus récemment en préciser les contours. L’article VI.83, 33° du Code de droit économique érige également en « pratique abusive » le fait d’augmenter un prix annoncé pour un produit en raison du refus du consommateur de recevoir ses factures par courrier électronique.

 

Quelles sont les 5 conditions à satisfaire pour qu'une facture électronique soit reconnue ?

  • accord préalable du preneur (avant l'envoi de la première facture électronique) ;
     
  • garantie de l'authenticité de l’origine (l’identité de la personne qui émet la facture doit être garantie) et de l'intégrité du contenu (le contenu de la facture ne peut pas avoir subi de modifications) : Il est donc nécessaire d'utiliser une signature électronique avancée ou un transfert par échange informatisé de données (« EDI ») ; techniquement, un simple document au format PDF de base (non signé et crypté) ne présente pas les caractéristiques d’authenticité et d’intégrité ;
     
  • lisibilité du contenu (version PDF notamment) et présence des mentions obligatoires d'une facture papier sur la version électronique ;
     
  • archivage électronique obligatoire de la facture électronique : une impression papier de ce document dématérialisé ne sera donc pas considérée comme un original ;
     
  • toute facture doit être "délivrée" : Le fournisseur peut l'envoyer électroniquement, mais peut également la mettre à disposition sur une plateforme en ligne, à condition qu'il laisse un temps raisonnable pour la télécharger (que l'administration estime à minimum 2 mois) et que la facture soit effectivement délivrée au terme de ce délai si elle n'a pas été téléchargée.

 

Si ces conditions sont respectées, il peut être décidé de ne maintenir que le circuit électronique de transmission. L'entreprise émettra des factures électroniques et les archivera sous cette forme et le récepteur des factures en fera de même. Cependant, l’'entreprise devra vraisemblablement prévoir le cas de figure où elle devra émettre deux types d'archives de factures sortantes : des factures électroniques ainsi que des factures papier adressées à des clients n'ayant pas consenti à recevoir des factures électroniques. Il en est de même pour les factures entrantes.

 

  1. Conclusion

 

Le contrat commercial étant le fondement même de l'activité de l'entreprise, le dirigeant d'entreprise devra veiller à la qualité de la rédaction de ses contrats, de ses factures et des conditions générales qu’il souhaite voir figurer au verso de celles-ci.

 

Pour ce faire, il est prudent de s’entourer des conseils d'un avocat à qui il confiera ses besoins, les spécificités de son entreprise et de son marché, afin de pouvoir disposer de modèles de factures, de contrats et/ou de conditions générales répondant parfaitement à ses exigences, sécurisant le cadre de l’exécution du contrat et prévenant les cas d'inexécution.

 

La rédaction de ces documents commerciaux va en effet figer les obligations des parties dans la mesure où, sauf dispositions d'ordre public contraires, le contrat deviendra « la loi des parties ».

 

En cas de litige, et pour autant que les conditions visées ci-dessus soient remplies, le juge se réfèrera donc aux mentions de la facture et aux conditions générales de l’émetteur, dès lors que celles-ci sont claires, complètes, non équivoques et non excessives.

 

Février 2019

 


[1] Le nom commercial (nom sous lequel l’entreprise participe à la vie des affaires – fonction marketing) est à distinguer du de la dénomination sociale ou raison sociale (qui est le nom officiel de la personne morale, tel que repris dans les statuts et qui revêt une fonction d’indentification)

[2] Remise : réduction accordée en fonction de l’importance de la vente ou encore de la profession du client ;

Ristourne : réduction calculée sur l’ensemble des opérations avec un même client (par exemple, si le client achète pour au moins 5.000 €/an, on prévoit une ristourne de 2%) ;

Rabais : réduction exceptionnelle accordée au client suite à un défaut de conformité ou de qualité des produits vendus.