Modernisation du droit de superficie

Introduction

  1. Avec l’usufruit et l’emphytéose, le droit de superficie est un mécanisme de démembrement de la propriété traditionnellement et fréquemment utilisé en matière immobilière.

    Par exemple, en matière de promotion immobilière, il est de pratique courante que le propriétaire d’un terrain renonce au droit d’accession au profit d’un promoteur privé, qui va ensuite ériger des immeubles et les commercialiser. Une telle renonciation est régulièrement constituée par le biais d’un droit de superficie.

    Lors de la passation de l’acte notarié, le propriétaire du fonds comparaîtra pour vendre le terrain (ou la quote-part de terrain s’il s’agit d’un immeuble en copropriété), les constructions (ou les parties privatives et la quote-part dans les parties communes) neuves (au sens de la TVA) étant vendues aux acquéreurs finaux directement par le promoteur. Si certaines conditions sont respectées, le terrain pourra être vendu sous le régime des droits d’enregistrement (12,5 % en Wallonie et à Bruxelles) pendant que les constructions seront vendues sous le régime TVA (le plus souvent, 21 %). Dans le cas contraire, la vente du terrain sera soumise à la TVA, ce qui s’avérera plus coûteux pour l’acquéreur non assujetti.
     
  2. Le droit de superficie est régi par une loi du 10 janvier 1824.

    D’évidence, le législateur de l’époque ne pouvait anticiper les besoins actuels. La pratique (notamment financière et juridique) qui s’est développée ces dernières décennies, mais aussi les technologies inventées ces dernières années, ont fait naître des questions inimaginables à l’époque.

    Les difficultés d’interprétation que la loi de 1824 a suscitée, pesaient sur la sécurité juridique de nombre de projets. C’est pourquoi, fort heureusement, le législateur s’est penché sur la question et s’est attaché, par une loi du 25 avril 2014 portant des dispositions diverses en matière de Justice (article 124 à 127), à moderniser le droit de superficie.

Les difficultés posées par la loi du 10 janvier 1824

  1. La loi du 10 janvier 1824 définit historiquement le droit de superficie comme le droit réel qui consiste, pour une personne (le superficiaire) à avoir des bâtiments sur un fonds appartenant à autrui (le tréfoncier).

    Il s’agit donc d’une dérogation aux articles 522 et 523 du Code Civil qui disposent que les constructions et plantations sont présumées avoir été réalisées par le propriétaire du sol.

    Les dispositions de la loi (sur lesquelles nous ne nous attarderons pas) sont supplétives, hormis la limitation de la durée du droit de superficie (cinquante ans) qui est d’ordre public.
     
  2. Les termes de la définition du droit de superficie ont donné lieu à des difficultés d’interprétation, une partie de la doctrine estimant qu’il y avait lieu à adopter une lecture littérale du texte de la loi.

    D’une part, le texte mentionne le fait de posséder un bâtiment « sur un fonds ». Faut-il déduire de l’utilisation du terme « sur » que le droit de superficie ne peut avoir pour objet que le sursol et non le sous-sol ou ne pourrait être constitué pour réaliser des constructions sur un bâtiment, sans contact direct avec le sol ?

    D’autre part, il s’agirait également de posséder un bâtiment sur un fonds « appartenant à autrui ». Dès lors, il serait impossible qu’un emphytéote constitue un droit de superficie sur le terrain dont il a la jouissance, puisqu’il n’en est pas propriétaire : ce terrain ne lui « appartient pas » au sens strict. Le droit de superficie serait tout autant impossible à constituer valablement s’il porte sur un bâtiment appartenant à une autre personne que le propriétaire du terrain (pour autant que l’on admette la possibilité de constituer un droit de superficie sur un bâtiment, voir supra), tel que l’emphytéote ou le superficiaire.
     
  3. Même s’il existe une doctrine, majoritaire, admettant les utilisations plus « modernes » du droit de superficie, force est de constater que ces difficultés entraînaient une insécurité juridique dans bien des cas.

    De telles questions se posent pour des projets souterrains, tels que des parkings, ou encore des installations érigées sur un immeuble : par exemple, de nombreuses entreprises disposent de bâtiments, immeubles de bureaux ou industriels, ... avec d’importantes surfaces de toiture qu’elles sont prêtes à proposer pour l’installation de panneaux photovoltaïques. Ces projets peuvent-ils être considérés comme étant réalisés « sur un fonds » ? Dans le premier cas, le parking souterrain sera réalisé « sous le fonds » et dans le second, les panneaux seront placés sur l’immeuble érigé « sur le fonds » ...

    Cette insécurité juridique rendait difficile, sinon impossible, le financement de ces projets, puisqu’elle fragilisait la valeur des sûretés réelles (hypothèque, notamment) demandées par les banques.

 

Les solutions proposées par la loi du 25 avril 2014 : le droit de superficie modernisé !

  1. Pour répondre à ces préoccupations, le législateur a modifié le texte de la loi du 10 janvier 1824, par une loi « fourre-tout » du 25 avril 2014.

    Tout d’abord, la définition du droit de superficie a été remplacée par ce qui suit :

    Le droit de superficie est le droit réel qui consiste à avoir des bâtiments, ouvrages ou plantations, en tout ou partie, sur, au-dessus ou en-dessous du fonds d'autrui.

    Le droit de superficie peut être constitué par tout titulaire d'un droit réel immobilier dans les limites de son droit.

    Par ces modifications, le législateur affirme donc que :

     
  • d’un point de vue géographique, le droit de superficie peut ne pas uniquement être constitué sur le sol, mais également au-dessus du sol ou en-dessous de celui-ci ;
     
  • le droit de superficie peut donc également prendre appui sur le bâtiment d’autrui ;
     
  • le droit de superficie peut être constitué par un titulaire d’un droit réel démembré (emphytéote, superficiaire, usufruitier, …), mais lorsque c’est le cas, cela ne peut l’être que dans la limite des prérogatives attachées à ce droit réel. Par exemple, en principe, l’emphytéote ne pourra concéder un droit de superficie sur son droit, pour une durée plus longue que celle de sa propre emphytéose.
     

Les termes « propriétaire du fonds » utilisés par différents articles ont également été remplacés par l’expression « constituant du droit de superficie ou son ayant droit ». Par l’utilisation d’une formulation plus large et plus neutre, le législateur a voulu couvrir l’hypothèse de la constitution d’un droit de superficie par un titulaire de droit réel démembré (emphytéote, superficiaire, usufruitier, …).

En conclusion, on ne peut que se féliciter de cette modernisation de la loi du 10 janvier 1824, qui permet d’adapter le droit de superficie aux pratiques et aux besoins modernes. Si beaucoup de projets « simples » peuvent désormais être financés plus facilement, cette adaptation de la loi de 1824 ne répond néanmoins pas à toutes les difficultés qui se posent en pratique, surtout dans des projets immobiliers plus complexes, et, au contraire, risque de faire naître de nouvelles interrogations.

Il reste donc toujours utile de se faire assister par un professionnel ... avant qu’il soit trop tard.