Share on
L’exécution des marchés publics dans la nouvelle réglementation : quels sont les changements au 1er juillet 2013 ?
1. Structure des nouvelles règles d’exécution
Auparavant, les règles d’exécution se trouvaient dans un arrêté royal (qui contenait les dispositions fondamentales d’exécution ainsi que des dispositions complémentaires pour des types de marchés spécifiques (promotion, concession) et dans son annexe, le fameux cahier général des charges (ci-après le C.G.Ch.), qui détaillait les règles d’exécution.
A présent, l’ensemble des règles d’exécution se trouvent dans un texte unique, à savoir l’arrêté royal du 14 janvier 2013 (ci-après l’A.R.).
2. Le champ d’application des règles d’exécution
En bref, le C.G.Ch. ne régissait que les marchés dont le montant estimé était égal ou supérieur à 22.000 EUR HTVA. Il n’était pas applicable aux marchés dont le montant était égal ou inférieur à 5.500 EUR HTVA. Pour les marchés dont l’estimation était comprise entre 5.501 et 21.999 EUR HTVA, seules certaines dispositions du C.G.Ch étaient applicables.
L’A.R. modifie les seuils ci-dessus : il s’applique intégralement au-dessus de 30.000 EUR HTVA, partiellement entre 8.500 (17.000 pour les secteurs spéciaux) et 30.000 EUR HTVA et, sauf décision contraire du pouvoir adjudicateur, pas du tout aux marchés inférieurs à 8.500 EUR HTVA (article 5 A.R.).
3. Les dérogations et clauses abusives
La philosophie générale du système de dérogations aux règles d’exécution n’a pas fondamentalement changé : il reste interdit de déroger à certaines règles tandis qu’il ne peut être dérogé à certaines dispositions qu’au prix d’une motivation formelle. Comme auparavant, les dérogations doivent en tout état de cause être rendues indispensables par les exigences particulières du marché et figurer explicitement au début du cahier spécial des charges.
Trois nouveautés retiennent toutefois notre attention.
D’abord, s’il reste en principe interdit d’allonger les délais de paiement prévus par la règlementation (ainsi que les délais de vérification des états d’avancement), le nouvel A.R. prévoit une exception à cette interdiction. Ainsi, il sera permis de déroger aux délais de paiement si (i) les documents du marché le stipulent expressément, (ii) cette dérogation est objectivement justifiée par la nature particulière ou les caractéristiques du marché et que (iii) le délai de paiement n’excède en aucun cas soixante jours.
De même, les délais de vérification pourront être allongés si (i) les documents du marché le stipulent expressément et que (ii) cette prolongation ne constitue pas, à l’égard de l’adjudicataire, un abus manifeste.
Ensuite, le nouvel A.R. introduit la notion nouvelle d’abus manifeste. Ainsi, une clause contractuelle ou une pratique du pouvoir adjudicateur relative (i) à la date ou au délai de vérification ou de paiement, (ii) au taux d’intérêt pour le retard de paiement ou (iii) à l’indemnisation pour les frais de recouvrement, pourra être considérée comme abusive
si elle s’écarte manifestement, de manière contraire à la bonne foi ou à un usage loyal, aux bonnes pratiques et aux usages commerciaux;
si elle n’est pas justifiée par la nature des travaux, fournitures ou services;
si le pouvoir adjudicateur n’a pas de raison objective de déroger au taux, délais, … établis par l’A.R.
L’A.R. précise que les clauses contractuelles et les pratiques qui excluent le paiement d’intérêts de retard sont considérées comme manifestement abusives, tandis que celles qui excluent l’indemnisation pour les frais de recouvrement sont présumées manifestement abusives. De telles clauses sont réputées non écrites.
Enfin, l’A.R. précise expressément la sanction qui s’attache aux dérogations illégales ou qui ne sont pas motivées formellement alors qu’elles devraient l’être : de telles dispositions dans le cahier spécial des charges sont maintenant réputées non écrites, comme les clauses abusives. Une exception est toutefois prévue lorsque le marché est conclu par une convention signée entre les parties (ce qui peut être le cas en procédure négociée ou dans un dialogue compétitif). En effet, dans ce cas, l’adjudicataire aura pu dûment apprécier la portée de la dérogation et l’accepter, même implicitement, à l’occasion des négociations. La sanction de la ité pour défaut de motivation serait donc disproportionnée.
4. Le cautionnement
Quelques adaptations et nouveautés ont été introduites en matière de cautionnement.
Ainsi, une nouvelle exception à l’obligation de fournir un cautionnement a été ajoutée. Il s’agit de marchés dont le montant initial est inférieur à 50.000 EUR HTVA (100.000 EUR pour les secteurs spéciaux).
Par ailleurs, alors que le C.G.Ch sanctionnait les défauts de constitution du cautionnement d’une pénalité sans qu’il soit nécessaire pour le pouvoir adjudicateur d’adresser un procès-verbal de carence, un tel procès-verbal est désormais obligatoire (étant entendu que la mise en demeure vaut procès-verbal de carence).
En cas de reconduction d’un marché, le cautionnement est automatiquement transféré, sauf disposition contraire du cahier spécial des charges.
Enfin, le nouvel A.R. prévoit que la demande par l’adjudicataire de procéder à la réception, provisoire ou définitive, vaudra désormais comme demande de libération du cautionnement. Dès lors, l’adjudicataire ne devra plus introduire formellement une demande séparée de libération du cautionnement.
5. Le commencement et l’évolution du marché
a. Le délai pour le commencement des travaux
En matière de travaux, les délais prévus par le C.G.Ch pour donner l’ordre de commencement des travaux ont été allongés :
pour les marchés de classe 5 au maximum : le délai est désormais fixé entre le 15ème et le 60ème jour (au lieu du 45ème jour) suivant la conclusion du marché;
pour les marchés supérieurs à la classe 5 : le délai est fixé entre le 30ème et le 75ème jour (au lieu du 60ème jour) suivant la conclusion du marché.
La sanction du non-respect de ce délai par le pouvoir adjudicateur a aussi été revue. L’ancienne règlementation permettait à l’adjudicataire de postuler une indemnité ou la résiliation du marché s’il introduisait une réclamation dans les trente jours du dépassement du délai. La possibilité de postuler une indemnité a été supprimée : désormais, seule la résiliation du marché peut être demandée, si le pouvoir adjudicateur n’a pas fixé la date de commencement des travaux à l’expiration du 120ème ou du 150ème jour suivant la conclusion du marché (selon qu’il s’agisse d’un marché de classe 5 maximum ou plus). Cette résiliation doit être demandée par lettre recommandée au plus tard dans les trente jours à compter de la notification de l’ordre de commencer les travaux.
b. Les modifications au marché
Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice, l’article 7 de l’A.R. du 26 septembre 1996 a subi une importante modification en ce qui concerne les modifications au marché initial apportées unilatéralement par le pouvoir adjudicateur.
Outre les conditions déjà connues imposant que l’objet du marché reste inchangé et qu’une juste compensation soit, s’il y a lieu, prévue pour l’adjudicateur, l’A.R. prévoit désormais que la modification en valeur doit rester limitée à 15 % du montant initial du marché. Cette nouvelle disposition, très imprécise, promet assurément de grandes difficultés d’application !
6. Les incidents en cours d’exécution
a. Les réclamations de l’attributaire
Plusieurs nouveautés, plus ou moins perceptibles, caractérisent le nouvel A.R. qui reprend pour l’essentiel le contenu de l’article 16 C.G.Ch.
Le formalisme de dénonciation a été très légèrement modifié : l’article 16, § 3 C.G.Ch imposait à l’adjudicataire qui constatait des faits ou circonstances perturbant l’exécution du marché et lui ouvrant le droit à une prolongation des délais ou à des dommages et intérêts, de les dénoncer au plus tôt, sous peine de déchéance, en signalant sommairement l’influence qu’ils avaient ou pourraient avoir sur le déroulement et le coût du marché. La réclamation n’était pas recevable si la dénonciation des faits ou circonstances n’avait pas lieu par écrit dans les trente jours de leur survenance. La Cour de cassation avait estimé qu’au vu de la rédaction de cette disposition, le délai de trente jours ne portait que sur l’obligation de dénoncer les faits et non sur celle de signaler l’influence sur le déroulement et le coût du marché.
Le nouvel A.R. revient partiellement sur cette jurisprudence et impose également la notification de l’influence qu’un ordre écrit du pouvoir adjudicateur pourrait avoir sur le déroulement et le coût du marché dans un délai de trente jours. Même si cette modification n’est pas spectaculaire et peut passer inaperçue, ses conséquences pourraient être lourdes, puisque l’adjudicataire pourrait se trouver dans l’impossibilité d’obtenir une compensation, suite à un ordre modificatif du pouvoir adjudicateur, en cas de notification tardive.
Le délai d’introduction des réclamations passe de 60 jours à 90 jours lorsqu’elles trouvent leur origine dans des faits ou circonstances survenus pendant la période de garantie. L’objectif est d’uniformiser le délai avec celui prévu pour les réclamations portant sur une révision du marché autre qu’une prolongation de délai ou la résiliation, ou des dommages et intérêts.
Enfin, last but not least, lorsque la réclamation se fonde sur des circonstances exceptionnelles et imprévisibles, le nouvel A.R. objective la notion de « préjudice très important » et donc le seuil de recevabilité des réclamations. Il y aura préjudice très important dès qu’il atteindra 2,5 % du montant du marché initial, étant entendu que ce seuil sera en toute hypothèse atteint à partir d’un préjudice de 100.000 EUR.
Le nouvel A.R. introduit également une seconde nouveauté importante, à savoir la prise en compte d’une franchise : en cas de révision du marché prenant la forme d’une indemnité, une franchise de 17,5 % du montant du préjudice sera appliquée. L’adjudicataire verra donc son indemnisation limitée à 82,5 % du préjudice. Cette franchise sera par contre plafonnée à 20.000 EUR en toute hypothèse.
b. Les délais de paiement en matière de travaux
Les modalités de paiement des marchés de travaux ont été légèrement révisées : comme auparavant, l’entrepreneur est tenu d’introduire une déclaration de créance appuyée d’un état d’avancement, mais le pouvoir adjudicateur dispose désormais d’un délai de vérification de trente jours (auparavant, ce délai était « au plus tôt »). Comme mentionné ci-dessus, ce délai peut être allongé sous certaines conditions. En outre, ce délai est toujours prolongé du nombre de jours de dépassement du délai de cinq jours accordés à l’entrepreneur pour introduire sa facture, mais également, ce qui est nouveau, du nombre de jours nécessaires pour obtenir la réponse de l’entrepreneur, lorsque celui-ci doit être interrogé sur le montant réel de sa dette sociale ou fiscale au sens de la règlementation relative à la responsabilité solidaire des entrepreneurs.
Le délai de paiement est différent selon que le marché concerne un pouvoir adjudicateur qui dispense des soins de santé (délai de 60 jours à partir de l’échéance du délai de vérification) ou un autre pouvoir adjudicateur (délai de 30 jours à partir de l’échéance du délai de vérification). Cependant, le délai de paiement reste de 60 jours pour les marchés conclus avant le 16 mars 2013, pour autant qu’il s’agisse du paiement du solde ou en cas de paiement unique du montant du marché.
c. Les délais de paiement en matière de fournitures et de services
Les modalités de paiement des marchés de fournitures et de services ont également été révisées.
Dans l’ancienne réglementation, le délai de paiement était de 50 jours à dater de la réception (au sens légal) des fournitures ou de la déclaration de créance du prestataire.
Désormais, le délai maximum de paiement est fixé à 30 jours (60 jours dans le secteur des soins de santé) à dater de l’expiration du délai de vérification de la livraison ou des services (lequel délai est fixé à 30 jours), soit un total de 60 jours (90 jours dans le secteur des soins de santé).
d. Les intérêts de retard
En cas de retard de paiement, l’adjudicataire a droit au paiement, de plein droit et sans mise en demeure, à un intérêt au prorata du nombre de jours de retard.
Pour les marchés conclus avant le 16 mars 2013, l’intérêt de retard est majoré de 7 %. Par contre, pour les marchés postérieurs, il est majoré de 8 %, conformément à la directive européenne sur la lutte contre les retards de paiement en matière de transactions commerciales.
L’exemption de paiement des intérêts de retard qui n’atteignent pas 5,00 EUR a été supprimée.
Enfin, le nouvel A.R. introduit une nouvelle disposition, également issue de la directive européenne : si, pour des marchés conclus à partir du 16 mars 2013, un intérêt de retard est dû, l’adjudicataire a droit au paiement, de plein droit et sans mise en demeure, d’une indemnité forfaitaire de 40 EUR pour les frais de recouvrement. Outre ce montant forfaitaire, l’adjudicataire est en droit de réclamer une indemnisation raisonnable pour tous les autres frais de recouvrement éventuel encourus par suite du retard de paiement. A titre d’exemple, le texte de la directive cite les dépenses engagées pour faire appel à un avocat ou à une société de recouvrement de créance.
e. Les demandes de remise d’amendes et de pénalités
Le délai pour demander une remise d’amende passe de 60 à 90 jours. Par ailleurs, une nouvelle disposition est insérée, traitant de la remise partielle des pénalités, lorsqu’il y a disproportion entre la pénalité appliquée et le défaut d’exécution constaté. Ce type de remise en équité n’existait auparavant qu’en matière de remise d’amendes.
f. Un nouveau type de sanction
Le nouvel A.R. crée un nouveau type de sanction : le « blacklisting ». Ainsi, un pouvoir adjudicateur peut désormais exclure un adjudicataire de la participation à ces marchés, pendant une période déterminée. L’intéressé doit être préalablement entendu en ses moyens de défense et la décision motivée doit lui être notifiée.
g. Le délai de prescription des actions
Le délai de forclusion des actions judiciaires passe de deux ans à compter de la date de notification du procès-verbal de réception définitive à trente mois à compter de la date de notification du procès-verbal de réception provisoire. Si la citation trouve son origine dans des faits ou des circonstances survenus pendant la période de garantie, elle doit, sous peine de forclusion, être signifiée au plus tard 30 mois après l’expiration de la période de garantie.