La nouvelle loi sur les marchés publics en dix points

Me Véronique Bertrand, avocate au barreau de Liège

Après l’entrée en vigueur des directives 2014/24 sur les marchés publics dans les secteurs classiques et 2014/25 sur les marchés publics dans les secteurs spéciaux, il fallait revoir la loi du 15 juin 2006, qui venait à peine d’entrer en vigueur.

C’est ainsi que, le 14 juillet dernier, la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics a été publiée au Moniteur belge. Elle ne sera d’application, pour la plupart de ses dispositions, qu’après l’adoption de ses arrêtés d’exécution, annoncés pour la fin de l’année 2016. Dans l’attente, je tente de la résumer en dix idées-forces.

Utilisation des moyens électroniques

L’utilisation des moyens électroniques dans les échanges entre le pouvoir adjudicateur et les opérateurs économiques, dont le dépôt des offres, sera obligatoire à partir du 18 octobre 2018 pour les marchés dont l’estimation est supérieure aux seuils européens et à partir du 1er janvier 2020 pour les marchés dont l’estimation est inférieure à ces seuils.

Des exceptions sont toutefois prévues pour les documents qui ne peuvent être communiqués de cette manière, soit pour des raisons techniques, soit pour des raisons de confidentialité.

Les causes d’exclusion et la DUME

La législation antérieure prévoyait des causes d’exclusion obligatoires et des causes d’exclusion facultatives.

Dans la loi du 17 juin 2016, de nouvelles causes d’exclusion obligatoires apparaissent. En effet, sont également nécessairement exclus les opérateurs qui ont été condamnés pour infractions terroristes ou pour travail des enfants et autres formes de traite des êtres humains. Le fait de ne pas être en ordre d’impôts et celui de ne pas être en ordre de cotisations sociales sont en outre devenus deux nouvelles causes d’exclusion obligatoires. Pour les marchés dont l’estimation est supérieure aux seuils européens, la vérification de l’absence de causes obligatoires sera particulièrement lourde : elle devra en effet être effectuée non seulement dans le chef de la société candidate ou soumissionnaire mais également dans le chef de tous les membres de l’organe administratif de gestion ou de surveillance ainsi que des personnes qui détiennent un pouvoir de représentation, de décision ou de contrôle.

Les modalités de ces causes d’exclusion obligatoires sont très précisément décrites par le nouveau texte. L’exclusion est généralement limitée à une période de cinq ans et des possibilités de rattrapage sont prévues.

Les motifs d’exclusion facultatifs sont également plus nombreux. Peuvent également être exclus les opérateurs qui ont manqué à leurs obligations dans les domaines environnemental, social et du travail, les opérateurs qui ont accompli des actes de nature à fausser les conditions de concurrence, les opérateurs qui sont à l’origine d’un conflit d’intérêts ou d’une distorsion de concurrence du fait qu’ils ont participé à la préparation du marché, lorsque ces questions ne peuvent être traitées autrement, les opérateurs qui ont exécuté un marché antérieur ayant donné lieu à des sanctions et, enfin, ceux qui ont tenté d’influencer le processus décisionnel.

Cette fois, la possibilité d’exclusion ne dure que trois ans. Des possibilités d’amendement sont également prévues pour les opérateurs.

Enfin, dans un premier temps, les soumissionnaires peuvent se contenter de remplir la DUME (Document Unique de Droit Européen) dont le contenu a été fixé par le règlement 2016/7, du 5 janvier 2016.

A la différence de notre déclaration sur l’honneur, la DUME couvre non seulement les causes d’exclusion, mais aussi les conditions de capacité. Elle concerne également les entités sur lesquelles les opérateurs s’appuient pour démontrer cette capacité et elle peut être réutilisée dans des marchés postérieurs moyennant confirmation des données qui s’y trouvent. Pas plus que la déclaration sur l’honneur, la DUME ne dispense le pouvoir adjudicateur de vérifier la situation de l’adjudicataire pressenti avant l’attribution du marché.

Un nouveau principe : le principe de proportionnalité

Le principe de proportionnalité prend place aux côtés des principes d’égalité et de non-discrimination ainsi que du principe de transparence.

L’émergence de ce nouveau principe pose question : par les accommodements auxquels il incite, n’est-il pas de nature à écorner les deux autres qui, pour leur part, commandaient la plus grande rigueur ? L’examen de la jurisprudence nous l’apprendra.

 L'in house

 

Les exceptions de l’in house et de la coopération horizontale entre pouvoirs adjudicateurs chargés d’un service public, d’origine jurisprudentielle, sont entérinées dans la loi.

L’in house se décline à présent en différentes variations : l’in house simple, l’in house simple indirect, l’in house simple ascendant, l’in house simple collatéral et l’in house conjoint.

Les conditions en sont précisées pour chacune. Contentons-nous à ce stade de retenir parmi les éclaircissements concernant l’in house simple que l’entité contrôlée doit exercer 80% de ses activités pour le pouvoir adjudicateur et qu’elle ne doit pas comporter de participation directe de capitaux privés, à l’exception de formes « sans capacité de contrôle ou de blocage requise par les dispositions législatives nationales, conformément au traité, qui ne permettent pas d’exercer une attitude décisive sur la personne morale contrôlée ».

Les procédures

Sous la législation ancienne, les procédures - à distinguer des techniques -  proposées étaient l’adjudication, l’appel d’offres, la procédure négociée avec ou sans publicité, la procédure négociée directe avec publicité et le dialogue compétitif.

Comme l’indique l’exposé des motifs, « les nouvelles directives européennes ont changé de paradigme ».

La négociation est mise à l’honneur avec l’élargissement des champs d’application de la procédure concurrentielle avec négociation, équivalent de la procédure négociée avec publicité et du dialogue compétitif ainsi que la création d’une nouvelle procédure, dénommée « partenariat d’innovation ».

Lorsqu’un pouvoir adjudicateur ne trouve pas sur le marché des biens, des services ou des travaux qui correspondent à ses besoins, il peut, par un partenariat d’innovation, désigner le partenaire qui, à la fois, effectuera la recherche et fournira le produit, la prestation ou les travaux qui résulteront de celle-ci.

Le recours à la procédure concurrentielle avec négociation est beaucoup plus ouvert que ne l’était celui à la procédure négociée avec publicité : les pouvoirs adjudicateurs pourront notamment y recourir lorsqu’ils auront besoin de solutions qui, quoique présentes sur le marché, demandent des adaptations, lorsqu’ils rechercheront des solutions complètement innovantes, lorsque les conditions du marché devront être négociées en raison de sa complexité ou encore lorsqu’il leur sera impossible de définir les spécifications techniques avec une précision suffisante.

Dans ces quatre hypothèses, le pouvoir adjudicateur pourra également utiliser le dialogue compétitif qui, pour sa part, est par ailleurs étendu aux cas de l’absence de réponse ou de l’absence de réponse appropriée du marché.

A noter que trois cas ont disparu de la liste de ceux qui permettaient le recours à la procédure négociée sans publicité, devenue procédure négociée sans publication préalable : les fournitures et services complémentaires, les offres irrégulières ou inacceptables et les marchés secrets.

Les services juridiques bénéficient d’un régime très allégé

Tout d’abord, les services juridiques de représentation effectués dans le cadre d’une procédure contentieuse, d’un arbitrage ou d’une conciliation sont exclus de l’application de la loi.

Il en va également ainsi des services prestés en vue de la préparation d’une procédure contentieuse ou lorsqu’il existe des signes tangibles que la question concernée par ces services fera l’objet d’une procédure contentieuse.

Pour les autres services juridiques, qui font partie de l’annexe III à la loi, les pouvoirs adjudicateurs auront en principe le choix entre les procédures énumérées ci-dessus et une procédure sui generis avec publication préalable pour autant que les principes fondamentaux soient respectés.

Les critères d’attribution

Exit « l’adjudication » et « l’appel d’offres ». Le marché doit être attribué à l’offre « économiquement la plus avantageuse », laquelle se détermine d’après le seul critère du prix, le seul critère du coût, le rapport qualité/prix ou le rapport qualité/coût si d’autres critères sont pris en considération.

Le coût pris en compte peut être celui du cycle de vie, qui lui-même peut couvrir le coût lié à l’acquisition, le coût lié à l’utilisation, le coût lié à la fin de vie et le coût lié à l’environnement. La méthode pour apprécier ce cycle de vie devra être indiquée dans les documents du marché.

Autre nouveauté, parmi les critères autres que le prix ou le coût, peuvent figurer l’organisation, les qualifications et l’expérience du personnel affecté à l’exécution du marché si la qualité de celui-ci peut avoir « une influence significative sur le niveau d’exécution du marché ». Cette nouveauté sera d’une grande aide pour les marchés de services.

La division des marchés en lots

Comme le voulait la directive européenne, dans les secteurs classiques,la division du marché en lots devient la règle pour les marchés dont l’estimation est supérieure à 135.000 EUR et le pouvoir adjudicateur qui ne s’y conformera pas devra motiver sa décision.

Le pouvoir adjudicateur reste libre de n’attribuer que certains lots. Il peut aussi limiter le nombre de lots pour lesquels une offre peut être remise à condition de l’avoir indiqué dans l’avis de marché et d’avoir prévu les règles selon lesquelles les lots seront attribués.

Un seul régime pour les secteurs spéciaux

La loi du 15 juin 2006 et, à sa suite, les arrêtés du 16 juillet 2012 et du 24 juin 2013 établissaient des régimes distincts pour les marchés dans les « secteurs spéciaux publics » et les marchés dans les « secteurs spéciaux privés ».

La loi du 17 juin 2016 ne prévoit plus aujourd’hui qu’un seul régime pour les deux types de secteurs et les adjudicateurs sont dénommés indifféremment « entités adjudicatrices ».

Attention que, pour les secteurs spéciaux privés, seules s’appliquent les dispositions relatives aux marchés dont l’estimation est supérieure aux seuils européens. Pour ceux qui se situent en dessous, ce sera toujours la jurisprudence Telaustria qui sera d’application.

Cette fois, le législateur n’a pas fait dans la demi-mesure et c’est une petite révolution qui est en train de s’opérer. Reste à examiner les arrêtés d’application qui ne devraient pas être trop volumineux vu le nombre de dispositions déjà contenues dans la loi.