Insertion du livre XX «Insolvabilité des entreprises» dans le code de droit économique

 

Maître Pierre Thiry, avocat au barreau de Liège

«L’insertion dans le Code de droit économique, sous le Titre XX, des règles relatives aux Chambres des entreprises en difficultés (nouvelle dénomination des Chambres d’enquête commerciale), aux procédures de réorganisation judiciaire et aux faillites a été l’occasion pour le législateur d’étendre leur application notamment aux professions libérales et aux ASBL. En outre, de nombreuses modifications ont été apportées afin de moderniser cette matière, mettre un terme à diverses controverses et en améliorer les procédures.»

La loi du 11 août 2017, publiée au Moniteur Belge le 11 septembre 2017, insère dans le Code de droit économique un livre XX intitulé «Insolvabilité des entreprises» reprenant l’ensemble des règles relatives aux Chambres des entreprises en difficulté,  procédures de réorganisation judiciaire et faillite. Les objectifs ainsi poursuivis par le législateur sont les suivants :

  • moderniser et unifier le droit de l’insolvabilité afin qu’il corresponde mieux à la réalité économique de l’entreprise;
     
  • consacrer le principe du registre électronique (Regsol) comme instrument de gestion de l’ensemble des procédures d’insolvabilité;
     
  • favoriser la deuxième chance pour les opérateurs économiques par le biais de modifications substantielles à la loi sur les faillites, notamment en matière de dessaisissement et d’effacement des dettes des faillis personnes physiques.

Insolvabilité étendue

L’une des principales nouveautés est l’extension du champ d’application des procédures d’insolvabilité à l’ensemble des «entreprises» définies par l’article XX, 1er comme :

  • toute personne physique qui exerce à titre indépendant une activité professionnelle en ce compris les professions libérales ;
     
  • toute personne morale quelle que soit sa forme ou son activité ;
     
  • toute autre organisation sans personnalité juridique à l’exception de celles qui ne poursuivent pas de but de distribution et qui en fait ne distribuent pas davantage à leurs membres ou leurs responsables.

Les personnes morales de droit public ainsi que les autorités publiques (Etat fédéral, Régions, Communautés, Provinces, Communes, …) sont exclues de cette définition. Les établissements de crédit, d’assurances ou d’investissement reçoivent un statut hybride : elles pourront être déclarées en faillite mais non solliciter l’ouverture d’une procédure de réorganisation judiciaire.

Le législateur a donc renoncé au critère de la commercialité qui prévalait jusqu’alors.

Fichier et informatique

Le livre XX instaure «Regsol» comme élément central de la gestion des procédures de réorganisation judiciaire et de faillite en lui conférant la qualité de source authentique pour les actes et données qui y sont enregistrés et en imposant son recours pour tout dépôt, notification ou communication visés par les procédures d’insolvabilité.

Les Chambres d’enquêtes commerciales deviennent les Chambres des entreprises en difficulté et voient leur mode de fonctionnement assoupli et davantage informatisé.

Nombreuses modifications

L’insertion des règles relatives à la procédure de réorganisation judiciaire dans le Code a été l’occasion :

  • de mettre un terme à des controverses importantes, comme par exemple :
     
    • l’article XX.58 précise dorénavant que les « prélèvements, cotisations ou dettes en principal fiscaux ou sociaux » nés en cours de sursis seront considérés comme dettes de masse à l’exclusion de leurs accessoires (frais, majorations, …).
       
    • l’article XX.73 dispose que le plan de réorganisation ne peut prévoir de réduction ou d’abandon des créances sursitaires nées de prestations de travail « à l’exclusion des cotisations ou dettes fiscales ou sociales ». Le législateur protège donc la rémunération nette des travailleurs tandis que le précompte professionnel ou les cotisations ONSS qui y sont relatives pourront toujours être abattus.
       
  • d’adapter la procédure pour la rendre plus efficace (par exemple, la contestation des mentions portées à la liste des créanciers doit être introduite par requête déposée au moins un mois avant l’audience de vote afin d’éviter des débats tardifs).
     
  • D’apporter des modifications plus substantielles comme par exemple :

 

 

  • le dividende minimum que devra servir le débiteur à ses créanciers passe de 15 à 20 % du principal;
     
  • dans l’hypothèse d’un transfert sollicité par le titulaire d’une profession libérale, le tribunal devra désigner au moins un mandataire membre de l’institut ou ordre dont dépend cette profession libérale (notamment dans la perspective du respect du secret professionnel);
     
  • l’article XX.87 § 3 prévoit le transfert automatique des contrats visés dans l’offre retenue par le tribunal sans que l’accord des cocontractants soit requis, à l’exception des conventions intuitu personae;
     
  • le débiteur personne physique dont l’activité a été cédée intégralement peut solliciter l’effacement de ses dettes par requête déposée dans les trois mois du jugement autorisant le transfert.

La procédure de faillite a également fait l’objet de diverses modifications dont voici quelques exemples :
 

  • le dessaisissement du failli est limité à l’actif existant au jour de la faillite et à celui qui lui échoit en cours de faillite en vertu d’une cause antérieure à l’ouverture de la faillite. Echappent donc au dessaisissement les revenus professionnels, les successions et donations postérieures au jugement déclaratif de faillite;
     
  • l’excusabilité disparaît au profit de l’effacement des dettes qui doit être sollicité par le failli personne physique;
     
  • certaines actions en responsabilité telle l’action en comblement de passif sont insérées dans le Code de droit économique;
     
  • dans l’hypothèse de faute grave et caractérisée commise par le failli ayant contribué à la faillite, le Tribunal de Commerce peut prononcer une interdiction de commercialité à charge du failli, de l’organe de droit ou de fait de l’entreprise faillie pour une durée maximale de 10 années.

Entrée en vigueur le 1er mai

Les nouvelles dispositions s’appliquent aux procédures d’insolvabilité ouvertes à partir de l’entrée en vigueur de la loi, soit le 1er mai 2018. Ce droit transitoire implique une cohabitation du Code de droit économique, de la loi sur la continuité des entreprises et de la loi sur les faillites en fonction de la date d’ouverture des procédures concernées.

Le législateur a ainsi modernisé l’approche de l’insolvabilité des entreprises en élargissant son champ d’application et en favorisant le rebond après l’échec. Il appartient dorénavant aux différents acteurs de ce droit de dégager les opportunités nouvelles créées par ces nombreuses modifications.