L'aveu de faillite des dirigeants d'entreprise

Droit de l'entreprise

Me Pierre Henry, avocat au Barreau de Verviers et de Liège-Huy

Tout gérant de société n’est pas nécessairement une entreprise. Pour avoir la qualité d’entreprise, la personne physique doit « exercer une activité professionnelle à titre indépendant » (article I.1,1°a du CDE). Tel est le critère légal et il appartient à la juridiction de vérifier au cas par cas si cette condition est remplie par la personne physique, dirigeant d’une personne morale, qui revendique ou à laquelle voudrait être appliquée cette qualité. (C.A. Bruxelles, 07/07/20, RG 2020/QR/26)

Mais comment ?

Selon la Cour d’appel de Liège, le mandat de gérant constitue soit une activité « professionnelle » au sens commun du terme, s’agissant d’un métier, soit une activité qu’une personne exerce régulièrement afin de se procurer les moyens nécessaires pour subvenir à son existence. 

Les travaux préparatoires de la loi du 15 août 2018 portant réforme du droit des entreprises indiquent que le terme « profession » est utilisé par le législateur  depuis 1807 et encore aujourd’hui pour la notion de « commerçant » (« Sont commerçants ceux qui exercent des actes qualifiés commerciaux par la loi et qui en font leur profession habituelle, soit à titre principal soit à titre d’appoint ») sans que cela soit défini par le législateur. (Doc. Parl., n°54-2028/001, p.11; Bruxelles, 21/12/2018, 2018/QR/48)

L’exercice du mandat de gérant l’a été indéniablement à titre professionnel, en vue de procurer des revenus, dès lors que cela résulte des déclarations fiscales produites.

Une condition supplémentaire ?

En retenant la nécessité de « l’agencement de moyens personnels et distincts de la personne morale » dans le chef du gérant, les premiers juges ont ajouté à la loi une condition qui n’y figurait pas. (CA Liège 02/04/2019, 2018/RG/1340)

Un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 29/04/2021 a en outre confirmé la faillite d’un ancien gérant (franchisé) alors que le franchiseur s’était opposé au prononcé de la faillite et qu’il avait été débouté par le Tribunal de l’Entreprise francophone de Bruxelles.

Cet arrêt rejette également l'exigence "d'un agencement de moyens personnels et distincts de ceux de la personne morale", dès lors que l'exercice du mandat de gérant constitue bien une activité "professionnelle" au sens commun du terme, s'agissant de son métier et non pas d'une activité exercée à titre d'amateur.

Mais un arrêt de la Cour de cassation du 18 mars 2022 -C.21.0006.F.- revient sur la question : 

L’administrateur ou le gérant d’une société est-il une entreprise ?

Selon cet arrêt, une personne physique n’est une entreprise, au sens de l’article I.1, 1°, du Code de droit économique, que lorsqu’elle constitue une organisation consistant en un agencement de moyens matériels, financiers ou humains en vue de l’exercice d’une activité professionnelle à titre indépendant.

Il s’ensuit que le gérant ou l’administrateur d’une société qui exerce son mandat en dehors de toute organisation propre n’est pas une entreprise. Il ne peut dès lors pas être déclaré en faillite...

Dernier rebondissement ? L’avant-projet de loi transposant la Directive (UE) 2019/1023 (Réforme du Livre XX) prévoit un nouvel article XX.1er/1 qui précise :

« Les administrateurs, gérants, délégués à la gestion journalière, membres du comité de direction ou du conseil de surveillance, ainsi que toute autre personne qui détiennent ou ont effectivement détenu le pouvoir de gérer l’entreprise, ne peuvent, du fait de cette seule activité, être considérés comme une entreprise au sens du présent livre. ».

Cette exclusion paraît bien trop large, à tout le moins en ce qu’elle exclut les administrateurs de société professionnels et les sociétés de management... Qu’en penserait la Cour constitutionnelle ?

Affaire à suivre…