Gare aux compensations de l’Administration fiscale

Droit de l'entreprise

Me Catherine Delbouille, avocate au Barreau de Liège-Huy

La compensation est un mécanisme automatique qui emporte l’extinction simultanée, à concurrence de la plus faible, de deux obligations réciproques existant entre deux personnes. Elle est en principe empêchée dans une situation de concours telle que la faillite.

Toutefois, l’Administration fiscale peut déroger à cette règle via l’article 334 de la loi programme du 27 décembre 2004. En pratique, cela lui permet d’opérer une compensation et donc d’obtenir le paiement de sa créance, alors que d’autres créanciers du failli sont impuissants, par les effets de l’ouverture de la procédure de faillite.

La Cour constitutionnelle et la Cour de cassation ont été saisies à plusieurs reprises à propos de cette faveur, exorbitante dans le cadre d’une faillite.


Dans un premier temps, en 2010, la Cour de cassation avait apprécié la légalité de la situation selon un critère temporel

Selon elle, l’article 334 ne permettait pas à l’Administration fiscale de compenser une dette fiscale existant avant la déclaration de faillite avec des crédits fiscaux nés après la faillite, qu’ils s’agissent de crédits nés d’opérations menées par le curateur ou de crédits liés à la nouvelle activité du failli.

Quel critère retenir ?

En 2012, la Cour constitutionnelle avait adopté un tout autre critère, celui de la qualification des dettes dans la masse ou de masse[1].

La compensation était selon elle autorisée entre des dettes de même qualité. Cela impliquait, à l’époque, que l’Administration puisse opérer une compensation entre une dette fiscale reprise dans la faillite et un crédit d’impôt lié à une nouvelle activité du failli.

Dans un second temps, en 2014, la Cour de cassation a rejoint la Cour constitutionnelle puisqu’elle a adopté le critère de la « qualification » de la dette afin de déterminer les pouvoirs de l’Administration.

A l’issue de cette évolution jurisprudentielle, la compensation par l’Administration d’une dette née avant la faillite avec une créance née après la faillite était autorisée, excepté lorsque la créance est liée à la gestion de la faillite par le curateur.

La loi du 11 août 2017 a toutefois bouleversé certaines règles en matière d’insolvabilité.

Partant, l’introduction de l’article XX. 110 du Code de droit économique a emporté la modification de la qualification d’une créance née de la nouvelle activité d’un failli.

On ne peut en effet plus considérer que les créances qui découlent de la nouvelle activité du failli font partie de la masse (ce qui implique qu’elles puissent servir au désintéressement des créanciers dans la faillite), jusqu’à la clôture de la procédure. 

Il conviendra dès lors de considérer que la compensation de dettes dans la masse et de revenus tirés d’une nouvelle activité par le failli est désormais illégale, sur la base du raisonnement – a contrario- de nos Cours Suprêmes.

Aucun arrêt de ces Cours n’est cependant intervenu pour le confirmer après la réforme en la matière. Un jugement du 30 juillet 2021 du Tribunal de première instance de Liège, division Liège a néanmoins approuvé ce syllogisme.

Compte tenu toutefois de l’accueil frileux réservé à cette position par l’Administration fiscale, il conviendra d’être particulièrement attentif aux prétentions et agissements de celle-ci dans le cadre d’une faillite ouverte après le 1er mai 2018[2].

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[1] On distingue les dettes dans la masse qui sont nées antérieurement à la faillite et les dettes de masse qui sont nées à la suite des opérations du curateur. 

[2] Le Code de droit économique, en l’espèce l’article XX.110, ne s’applique en effet qu’aux procédures d’insolvabilité ouvertes après le 1er mai 2018.